Grosse grosse déception avec ce trèèès long
métrage lourd, indigeste et d’une grande vacuité. J’avais quitté Damien Chazelle
avec le superbe « La La Land » (n’ayant pas vu « First Man »),
et je le retrouve en bien piètre forme avec « Babylon »… Lui qui était
il y a quelques années un jeune prodige prometteur semble s’être brûlé les
ailes et montrer clairement ses limites dès son quatrième long métrage…
Car toute la « machinerie » Chazelle
semble révélée, avec toutes ces ficelles qu’on voyait à peine dans « La La
Land » ou « Whiplash » et qui sont par trop évidentes ici. Chazelle
paraît même faire de « Babylon » un écho de « La La Land »,
comme si c’était son envers sombre, sale et lubrique, en mode bad trip. On
retrouve un même duo de personnages masculin et féminin qui rêvent de gloire et
de succès à Los Angeles, et dont les parcours se croisent et s’éloignent
régulièrement. On retrouve aussi un portrait de Los Angeles, à la fois ville
magique et factice, peu reluisante, constituant presque un personnage à part
entière. Ou encore des motifs mélodiques communs dans la bande son de Justin
Hurwitz, avec 3 ou 4 fois ces zooms sur une trompette, répétés jusqu’à plus
soif, pour mieux tenter de dynamiser une séquence et le film… Mais tous ces
gimmicks, ces clins d’œil pas très fins, je les vois davantage comme un certain
manque d’inspiration (la BO d’Hurwitz était tout à fait oubliable et très
décevante), alors que Chazelle rame pour nous offrir quelque chose d’un minimum
intéressant.
Car il n’est pas aidé par son scénario, qui prend
l’eau de partout. Certes les 3 heures du long métrage passent plutôt bien, le
fait que ce soit relativement décousu n’est pas un problème, ça évite qu’il
soit trop prévisible. Pour autant, avec sa trajectoire d’ascension puis de
chute typiquement scorsesienne (Chazelle signe là son « Loup de Wall Street »),
on est clairement dans quelque chose d’attendu, pour tout dire de déjà-vu et
même complètement téléphoné. La bande annonce l’annonçait d’ailleurs, et sur ce
plan, comme sur beaucoup d’autres, Chazelle ne nous surprend absolument pas.
Le thème central de ce film, c’est le passage du
cinéma muet au parlant, avec la nostalgie de cet art à la fois industriel et artisanal,
exubérant et fou, qui a cédé la place à un cinéma lisse et puritain, vidé de sa
substance. En filigrane, Chazelle semble parler aussi de la situation d’aujourd’hui,
avec la fin du cinéma à grand spectacle et ambitieux, alors que les films ultra
formatés Disney/Marvel règnent sans partage sur le box-office mondial et que
les plateformes du type de Netflix et Disney+ ont donné le coup de grâce au
septième art.
Le problème est que Chazelle le fait très maladroitement.
Son film est une accumulation de scènes délirantes et vulgaires (du genre
pipi-caca), certes souvent drôles voire très drôles, mais qui donnent du cinéma
muet une image de fête foraine stupide et sans fin (à l’image de la séquence
introductive du film), ou d’un art grotesque et très bas de gamme (comme ces
films avec l’aguicheuse Nellie LaRoy, jouée par Margot Robbie). Par conséquent,
on a du mal à comprendre ce qui peut être sauvé et pourquoi ce cinéma-là a tant
de valeur… Certes, Chazelle se la joue « politiquement incorrect »,
il ne voulait pas livrer un monument froid et glacé à la gloire du septième art,
et en un sens heureusement. Mais à force de tout le temps jouer la dérision et
le graveleux, impossible de se sentir touché ou ému par les acteurs, même dans
les « séquences émotions » pourtant bien surlignées par la mise en
scène balourde de Chazelle…
Le problème vient peut-être aussi des acteurs…
Honnêtement, le film repose avant tout sur les épaules de Brad Pitt, qui
cabotine à mort, mais qui est à la fois excellent, réjouissant et attachant.
Chacune de ses scènes vaut son pesant de cacahuètes. Il a un rôle proche de
celui qu’il avait dans « Once Upon A Time… In Hollywood » de Tarantino,
celui d’un acteur déchu, une ancienne gloire, un vieux de la vieille qui a tout
traversé et qui tient encore debout malgré une avalanche d’excès. C’est
certainement lui l’acteur le plus drôle (l’air de rien) et le plus touchant du
film. Le plus talentueux en somme. On peut même y voir une réflexion méta, Brad
Pitt étant sans doute l’un des derniers grands acteurs américains, capable de
tout jouer, tout en sachant faire preuve d’auto-dérision (coucou Tom Cruise).
Pour Margot Robbie et Diego Calva, en revanche,
le bât blesse. Oh ils font le job, c’est certain et je le reconnais volontiers.
Mais j’ai eu le plus grand mal à m’attacher à eux. Pour ce qui est de Robbie, avec
son personnage très cliché et mal écrit de fille décérébrée mais ambitieuse, on
ne peut que s’attendre à ses déconvenues. De plus, son manque de
caractérisation et de personnalité l’empêche de « vivre » au-delà des
séquences où elle apparaît. Là elle est juste en deux dimensions, purement fonctionnelle, sans la moindre nuance…
A l’instar de Diego Calva, qui joue le personnage en retrait avec qui on
découvre Hollywood et auquel on est censé s’identifier, comme de coutume dans
les romans ou les films. Mais il est bien trop terne pour emporter notre adhésion…
En plus de tous ces défauts qui grèvent le long
métrage, la mise en scène de Chazelle est d’une banalité affligeante. Si la
photographie est plutôt belle mais un poil trop artificielle, ses cadrages et
sa construction des plans n’ont rien d’impressionnants. Certes, il joue de la profondeur
de champ et de mouvements de caméra ambitieux, mais visuellement, son film n’a aucune
personnalité. Il se place dans le droit sillage d’un Scorsese, comme une sorte
de Paul-Thomas Anderson du pauvre. Seul le rapport entre l’image et la musique
(jazz) est un début de marque de fabrique, mais bien dérisoire. Rappelons-nous d’ailleurs
que dans « La La Land », Chazelle vole beaucoup de ses bonnes idées à
d’autres cinéastes souvent bien plus talentueux…
Et puis à la fin des fins, après 3 longues heures
complètement hystériques, Chazelle s’est dit que ça ne suffisait pas et qu’il
voulait nous en mettre encore plus plein la vue. Il nous « offre »
alors un montage accéléré des films les plus iconiques de l’histoire du cinéma,
avec dans les oreilles une bande son à la limite du supportable. Comme s’il crachait
à la gueule du spectateur « regarde comme je suis un génie »
(kubrickien). Ça plus la séquence hideuse et glauque au possible avec Tobey Maguire,
c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Sans parler des nombreux
appels du pied à « Chantons sous la pluie », un authentique chef-d’œuvre,
lui, qui ne devrait rien avoir à faire avec ce sinistre long métrage…
Ainsi donc Chazelle ça ne serait que du flan ?
Une imposture de plus, un cinéaste qui pique tout aux autres et incapable de
proposer quelque chose de réellement neuf et intéressant ? Hélas, j’en ai
bien peur…
[2/4]