Adapté du roman de Suzanne Lilar «La confession anonyme», «Benvenuta» est un bel exemple du raffinement extrême de l’art d’André Delvaux, raffinement si subtil que l’on peut facilement passer à côté du film sans en avoir saisi toute l’intelligence et la complexité. Un jeune scénariste cherche à réaliser un film sur un personnage imaginaire, «Benvenuta», inventé par une romancière plusieurs années auparavant. Il rend alors visite à cette auteure, à Gand, convaincu de la part autobiographique importante qu’elle a mis dans ce personnage et l’interroge sans relâche, cherchant à connaître Benvenuta, à la comprendre et à la rencontrer. Cette recherche d’un personnage imaginaire à travers l’auteure qui l’a inventé est l’occasion pour Delvaux de mettre en scène, comme à son habitude, différents niveaux de réalité et de développer un double récit. Alors que la romancière se livre petit à petit, relatant les épisodes de l’aventure amoureuse passionnée de Benvenuta avec un napolitain plus âgé, figure du père absent, un véritable jeu de miroir se met en place entre les deux couples du film : couple imaginaire Benvenuta-amant italien et couple réel scénariste-romancière. Les deux récits se recoupent, se croisent, font écho l’un à l’autre et, peut-être, s’autoalimentent, jusqu’à la magnifique séquence finale dans laquelle ces deux espaces-temps, ces deux niveaux de réalité, se réunissent, non dans le même plan, Delvaux entretenant l’impossible communication des deux, mais dans la même séquence, par une utilisation poétique du champ contre-champ. Ce qu’il y a donc d’intéressant dans le film de Delvaux, et qui fait d’ailleurs de ce cinéaste un cinéaste précieux, ce n’est pas le récit de la passion amoureuse de Benvenuta avec son amant, ni même le portrait, pourtant psychologiquement très travaillé, de cette femme dévorée par son romantisme exacerbé. La grande subtilité de cette œuvre réside dans les nombreuses pistes de réflexion et les saillies poétiques révélées par ce dialogue entre les deux récits parallèles de son film, interrogeant les liens entre l’écrivain et ses héros, la contamination réciproque entre personnages imaginaires et vie réelle (nous ne saurons pas vraiment si Benvenuta est née de l’imaginaire ou de la mémoire). De manière plus générale le film est une parfaite illustration des liens entre cinéma et littérature, liens qui ont souvent été à la base des œuvres du cinéaste. Si «Benvenuta» est ainsi une œuvre extrêmement raffinée qui contient (en les cachant bien je le concède) de magnifiques petits trésors, le film peine à véritablement émouvoir ou fasciner. La mise en scène impeccable et élégante de Delvaux n’en reste pas moins quelque peu figée, trop sûre d’elle-même, ce qui conduit à un certain académisme manquant de folie (pour être un peu mordant, on pourrait voir en «Benvenuta» un film traduisant une certaine vieillesse de son réalisateur). L’interprétation peut également laisser dubitatif, Fanny Ardant sur jouant légèrement. De plus, le personnage de François peine à vraiment s’incarner à l’écran et tend à se borner et s’enfermer dans son unique utilité scénaristique. Ce personnage ne vit pas vraiment, reste uniquement un moyen narratif. «Benvenuta» peut donc prendre des allures de «joli» film (entendu péjorativement), qui ne laisse pas, in fine, l’impression remarquable que le travail considérable de Delvaux aurait mérité d’engendrer. Le film ne met pas en valeur son grand potentiel... Mais grand potentiel il y a quand même, et il serait dommage de s’en priver!
[2/4]