vendredi 18 avril 2025

« A Study of Losses » de Beirut (2025)


Un album de Beirut est toujours agréable, Zach Condon, l’homme-orchestre derrière ce groupe, étant un musicien talentueux. De plus, il a débuté sa carrière avec trois immenses albums, et cet artiste est attachant (il n’hésite pas à montrer sa fragilité, et il est un grand amoureux de la France et de l’Europe), il bénéficie donc toujours d’un grand capital sympathie en ce qui me concerne.

Cela étant posé, je dois bien dire que j'attendais cet album au tournant. Le précédent opus de Zach, Hadsel, m'avait déçu, par son ton éthéré et son manque d'inspiration. C'était un album à part, conçu dans le froid d'un endroit reculé de la Norvège, avec une esthétique visuelle et sonore complètement à part dans la discographie de Zach. Il avait un côté plus dépouillé : les cuivres, les nombreux instruments organiques et les boucles électroniques – véritable signature sonore de Beirut – étant beaucoup moins présents que d’habitude. Un vrai pas de côté, pas inintéressant, mais assez mineur.

Avec A Study of Losses, l'artiste américain reprend ses pochettes d'albums énigmatiques, invitant à la rêverie et au voyage. Je pensais donc que celui-ci se placerait dans la lignée de Gallipoli, un album inégal, mais qui voyait Beirut livrer un certain nombre d'excellentes chansons, au gré d'un album cohérent et homogène. Gallipoli faisait suite à No No No, un opus maudit, né dans la douleur et le syndrome de la page blanche, après un divorce et un éprouvant épisode de dépression.

Pourtant, je dois bien dire que je regrette même No No No, qui était encore plus inégal que Gallipoli, mais qui comportait certaines pépites. Dans A Study of Losses, je ne retiens que le single Caspian Tiger pour le moment, qui soit un minimum abouti et réussi. Le reste ressemble à une sorte de remplissage instrumental et ambiant, le tout formant une longue complainte qui fait du surplace…

18 titres, c'est ambitieux ! Mais encore faut-il avoir les moyens de ses ambitions... Ce n'est clairement pas le cas de Zach ici... Il y a trop de chansons monotones et répétitives, qui ressemblent à des faces B ou C de Gallipoli, ou de sa compilation Artifacts... On sent le soin apporté au son, mais les grandes absentes ce sont les mélodies, pourtant imparables par le passé, lors de l’âge d’or du groupe… Ici, Zach fait plutôt dans la ritournelle qui tourne en rond…

Je compte bien réécouter cet album, Artifacts avait été un « grower », peut-être en sera-t-il de même pour A Study of Losses... Mais j'ai tout de même des doutes. Artifacts balayait l'ensemble de la carrière de Zach, et par le passé il avait produit beaucoup de superbes chansons.

Aujourd'hui, il semble être l'ombre de lui-même, ce qui fait peine à voir... Ce fut un miracle que je puisse le voir en concert lors de sa tournée faisant suite à la sortie de Gallipoli. Ça a été un des meilleurs concerts de ma vie, mais depuis Zach en a annulé pas mal et ne semble pas prêt à revenir en France de sitôt, lui qui ne vit pourtant pas très loin désormais, à Berlin...

Une fois de plus, je ne peux donc qu'espérer que Zach se ressaisisse, et qu'il retrouve sérénité et inspiration... Il a en lui ce potentiel inouï, le tout est qu'il arrive à le laisser s'épanouir de nouveau...

[2/4]

dimanche 16 mars 2025

« Quatre nuits d’un rêveur » de Robert Bresson (1971)

 

Fidèle à lui-même, Robert Bresson livre avec « Quatre nuits d'un rêveur » un film déconcertant, qui n'a pas très bien vieilli. Nombreux furent les rires gênés dans la salle, moqueurs ou exaspérés, face à ce style ampoulé et kitsch au possible...

Le non-jeu des acteurs, ces dialogues réduits à leur simple fonctionnalité, ce fétichisme des mains et des pieds, malaisant quand on regarde ces êtres humains ramenés à des poupées monocordes face à ce cinéaste démiurge, la femme presque réduite à un objet, cette masculinité passablement toxique... Il y a beaucoup de choses à dire de ce film, et pas forcément en bien...

Pour autant, comme toujours chez Bresson, il y a des passages renversants. Brefs, mais inoubliables. Comme ces vues de Paris, la nuit, de la Seine, des quais et des bateaux qui s'élancent dans l'obscurité, absolument sublimes. Ou encore ces gestes gracieux, captés par une caméra maniériste. Ou bien sûr, cette adaptation intelligente de la nouvelle de Dostoïevski, dont Bresson garde les différents degrés de lecture, l'immense tristesse, l'humour amer et la grande cruauté.

Bresson s'aventure aussi à dépeindre ses contemporains, entre joueurs de bossa nova et hippies musiciens. Tout en manifestant aussi son attrait pour la peinture moderne, lui qui rêvait d'un cinéma moderne, presque abstrait. Le tout fait parfois un peu composite, et s'éparpille un peu trop, multipliant les moments bancals. Mais mis bout-à-bout, cela en fait une œuvre témoin d'une époque révolue.

A mon sens, avec « Une femme douce », « Quatre nuits d'un rêveur » figure dans le ventre mou de la filmographie tardive de Robert Bresson. Il s'essaie à la couleur sans toujours en tirer grand-chose, et livre des films intéressants, mais inégaux. Avec « Lancelot du Lac », il nous offrira un film là encore très décrié, mais que j'ai beaucoup aimé. Et ses deux derniers longs métrages, « Le Diable probablement » et « L'Argent », le verront asseoir sa maîtrise du cinématographe, avec deux œuvres sombres et puissantes.

Pour autant, la ressortie en salles (et sans doute bientôt en support physique) de « Quatre nuits d'un rêveur » est bien un petit événement cinématographique. Petit car ce n'est pas l'un des meilleurs films de Bresson, mais événement, car il était introuvable depuis plusieurs dizaines d'années, et parce qu’il constitue un des chaînons manquants de sa filmographie, dans cette transition vers la couleur. Tout en reprenant l'une de ses influences majeures : l'écrivain tourmenté Fiodor Dostoïevski, dont il avait déjà adapté « Crime et Châtiment » pour son chef-d’œuvre « Pickpocket », et la nouvelle « Une femme douce ».

[3/4]