dimanche 3 juillet 2011

« Voyage à Tokyo » (Tōkyō monogatari) de Yasujirō Ozu (1953)

    Un chef-d'oeuvre. Voilà ce que l'on peut qualifier sans trop se tromper de perfection cinématographique. Un film qui refuse la dramaturgie traditionnelle et tout effet lacrymogène pour se concentrer sur l'indicible, le temps qui passe, la désintégration de la cellule familiale, la reconstruction du Japon d'après-guerre, le passage d'une génération à une autre, l'isolement, l'amour filial, des sentiments qui peinent à s'exprimer par les gestes ou les mots, un rythme lent et contemplatif... C'est le cours de la vie qu'Ozu dépeint, dans toutes ses contradictions, ses joies et ses peines, avec une subtilité qui force l'admiration : tout n'est que suggestion et retenue, une extraordinaire pudeur. Il est d'ailleurs bien difficile de décrire ce que l'on peut éprouver en tant que spectateur en regardant une telle oeuvre, sinon une sensation de discrète mélancolie, calme et douce, un émerveillement attendri devant la beauté indescriptible de ces plans inimitables, de ces personnages si humains et ce montage si organique... Le « Voyage à Tokyo » fait partie de ces films atteints par la grâce, réalisés par des artistes en pleine possession de leurs moyens, mais s'apparentant à tout sauf à une « démonstration de force ». Le dépouillement, voire l'austérité de la manière d'Ozu surprend au premier abord, mais pour qui se laisse porter par cette façon de faire si simple et si riche à la fois, voilà un film qui promet un moment bien émouvant. La mise en scène est magistrale, cet art de la composition du plan, fait de plein et de vide, est décidément tout japonais, et la façon particulière dont Ozu se sert du cinématographe lui permet de s'attarder sur ce que l'on a tendance à négliger, aussi bien d'un point de vue artistique et visuel, que d'un point de vue sentimental : ici l'affection des enfants envers leurs parents. Le « Voyage à Tokyo » est loin d'être le seul chef-d'oeuvre d'Ozu, à vrai dire nombreux sont ses longs métrages à l'égaler aisément, ce n'est donc pas à proprement parler le sommet de sa filmographie (il était d'ailleurs agacé que l'on puisse en voir le summum de son art, et il n'avait pas tort), mais l'une des multiples réussites qui émaillent sa carrière cinématographique. Incontournable.

[4/4]

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