« Prince Vaillant » ou en anglais « Prince Valiant » (avec un seul « l » et le « i » juste après) est un grand classique de la bande dessinée. J'ai découvert ce héros et ses aventures, contemporaines du Roi Arthur, dans ma jeunesse, avec la série animée éponyme. Inutile de préciser que c'était l'un de mes dessins animés préférés, et encore aujourd'hui, plus de 20 ans après, je me souviens de certains épisodes et personnages, tant la série m'avait marqué. Plus tard, en me plongeant dans l'art de la bande dessinée et en lisant des ouvrages de référence, j'ai pu voir des extraits de la bande dessinée d'origine. La composition magistrale des vignettes, le noir et blanc sculptural, l'audace de certains passages à la fois oniriques et philosophiques, ne pouvaient qu'aiguiser ma curiosité.
Je me devais donc de lire ce fameux comic qui semblait être un chef d’œuvre inestimable du Neuvième Art. Bien évidemment, la série est quasiment introuvable à l'heure actuelle, et pendant des années, comme dans toute bonne chasse au trésor, j'ai dû chercher longtemps sans grand espoir d'avoir un jour ne serait-ce qu'un exemplaire entre les mains. C'est aujourd'hui chose faite, grâce aux bibliothèque de Paris (que ferait-on sans nos chères bibliothèques...) : j'ai pu ainsi lire les 3 premiers tomes de la série, allant de 1937 à 1943.
Et si obtenir un exemplaire de « Prince Vaillant » se mérite... il en va de même pour sa lecture ! Car Valiant est une série archaïque à bien des égards. Tout d'abord, c'est une accumulation de planches uniques, car à l'époque la série était diffusée, comme de coutume alors, dans un journal hebdomadaire, planche par planche. Ce qui fait que chaque page débute par un résumé de la précédente, et s'achève sur un teasing de la suivante... Et c'est perturbant, car de temps en temps on lit le résumé, ce qui brise le rythme de lecture, parfois on le passe, car souvent c'est de la simple redite sans aucun intérêt... mais quelquefois y sont incluses des informations indispensables pour comprendre la planche... Perturbant vous dis-je.
De plus, pas de bulles pour retranscrire les paroles des personnages, tout est écrit en mode « récitatif », en haut ou bas de case. Cela dit ce n'est pas le plus gênant. Ce qui m'a le plus décontenancé, c'est le ton très daté du scénario et de la psychologie des personnages. Valiant est un jeune homme fougueux qui ne songe qu'à massacrer ses ennemis, sauf en de rares occasions quand l'un d'eux se montre suffisamment noble, drôle ou pitoyable pour mériter sa miséricorde. En guise d'humour, lourdingue au possible, quelques diatribes contre les femmes jugées juste bonne à régner... sur le foyer familial, à geindre ou à papillonner des yeux pour séduire le pauvre mâle bagarreur ; des passages douteux du type (je cite, sic) « Val trébuche bientôt sur un signe indubitable du passage du courageux et humoriste Gauvain », et l'on voit un bonhomme raide mort une grosse épée plantée dans le cœur, et j'en passe.
Si Valiant a quelque défauts : son orgueil, son arrogance, son impatience, il est aussi un modèle de force et de brutalité. Sans aucun doute était-ce un parangon de virilité pour le citoyen américain du milieu du XXème siècle. Néanmoins c'est peu dire que cette image d'Epinal n'a pas survécu au temps. D'autant que Valiant avec sa coiffure figée de Playmobil et son visage de cire n'est pas non plus un personnage des plus complexes... Et de fait, la quasi totalité des personnages de cette épopée flamboyante est très binaire, visuellement comme psychologiquement. Les mages ont des robes avec des étoiles et des lunes, les méchants ont des rictus bien fourbes, etc. etc. Toutefois, à de rares passages, certains personnages se révèlent un brin plus complexes et touchants, comme le géant du tome 2 ou le jeune infirme du tome 3... Mais ce ne sont à chaque fois que 2-3 pages sur 120... Idem, les passages onirico-philosophiques sont l'exception qui confirme la règle : 2-3 pages à tout casser par tome.
En bref, si je salue le style graphique de Foster, impressionnant il est vrai, notamment dans sa composition du plan puissante et dans la finesse des détails, je suis plus circonspects quant à certaines facilités visuelles propres à son époque (ah les brushings impeccables des damoiselles et damoiseaux so 1940 et le visage de poupon de Valiant...) et je suis effaré par la balourdise du scénario, à de trop rares occasions illuminé d'éclairs de génie. Je ne peux m'empêcher de comparer Valiant à « Little Nemo », créé 30 ans plus tôt par le génial Winsor McCay. Et c'est peu dire que Nemo offre un plaisir de lecture ô combien plus subtil, avec ses visuels au goût parfait dans leur fantaisie débridée, avec des personnages bien plus complexes l'air de rien comme Flip, l’histrion « ami-ennemi » de Nemo. Si je devais retenir une bande dessinée fondatrice, ce serait donc bien celle pensée et mise en images par McCay, et non ce Valiant lourdaud, même si la bande dessinée de Harold Foster possède des qualités indéniables et a été un jalon dans l'histoire du Neuvième Art.
Exception faite de « Little Nemo », donc, je ne peux m'empêcher de penser combien la bande dessinée franco-belge, victime de censure ou d'auto-censure certes, est bien plus humaine et bien plus riche que sa cousine outre Atlantique. Pour tout dire, c'est bien d'humanité que manque « Prince Vaillant »... Je ne pense donc pas partir à la recherche des tomes suivants, je préfère continuer mon exploration de la BD européenne, bien plus intéressante à mon goût. Même si j'ai été heureux d'avoir pu enfin lire les aventures de Prince Valiant au temps du Roi Arthur.
[2/4]
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