mercredi 17 octobre 2018

« Brol » d'Angèle (2018)

    Il est peu probable que vous n'ayez pas entendu parler d'Angèle, de plus en plus présente dans les média depuis 1 an et la sortie de ses 3 premiers singles, avant celle de son album le 5 octobre dernier. Elle a véritablement explosé sur Youtube et Instagram avec son univers visuel particulier, décliné dans les clips de ses 3 premiers singles. Angèle ne serait-elle qu'un produit marketing ? Il est vrai que ses textes sont dans l'air du temps : l'amour, les réseaux sociaux, la malchance, le mouvement #MeToo, le narcissisme et la superficialité, la célébrité, ses avantages et ses inconvénients... Ses clips n'échappent pas non plus à un certain formalisme sucré déjà vu. Un peu trop consensuelle ?

En fait, une de ses grandes forces est sa « belgitude » pleinement assumée. Prenons le titre de son album : « Brol ». Il faut connaître un minimum le Wallon, patois (ou dialecte local) belge, pour connaître le terme, qui signifie « bazar », « chose », « truc ». Ayant des origines belges, je ne peux que savourer ce titre décalé. Une anecdote à ce sujet : la pub de l'album à la radio dit en gros « écoutez le premier album d'Angèle ». Nulle mention du titre, étonnant non ? Comme s'il y avait quelque chose qui n'allait pas, quelque chose de trop bizarre, de trop ridicule, de trop... Belge.

Et c'est ça la « Angèle touch » : un ton décalé, drôle, ironique, plein d'auto-dérision, mais aussi beaucoup de fraicheur, d'inventivité. Dans ses textes, il y a souvent une petite phrase, une expression, qui rend la chanson amusante et unique à la fois. Alors certes, ce n'est pas du Desproges, mais elle n'hésite pas à se jouer des codes ultra-narcissiques de la jeunesse d'aujourd'hui : elle n'est pas dupe. Si elle maîtrise Instagram à la perfection, elle en connaît la face obscure. Et elle prend plaisir à détourner les codes des médias et de la célébrité, dans un jeu de mise en abyme plus intelligent qu'il n'y paraît.

Beaucoup a déjà été écrit sur son père chanteur, sa mère comédienne et son frère Roméo Elvis, connu dans le milieu du rap. Mais le style d'Angèle est différent, d'ailleurs si son frère a 560 000 abonnés sur Instagram, Angèle en a déjà 534 000, preuve qu'elle le dépassera certainement bientôt en notoriété et qu'elle a su trouver son propre public. Et puis la notoriété de ses parents est toute relative.

Si sa famille a pu l'aider, je pense surtout que c'est dans la gestion de la célébrité, qu'elle prend avec un certain recul, n'hésitant pas à exprimer ses doutes voire ses craintes. Car les réseaux sociaux ce n'est plus vraiment en 2018 l'agora démocratique et citoyenne tant fantasmée à leurs débuts, ni un modèle de liberté d'expression, c'est plutôt la jungle, une jungle qui peut être ultra violente et nauséabonde, le meilleur côtoyant bien plus que le pire, quelqu'un pouvant être en quelques heures porté aux nues puis taillé en pièces.

Pour finir sur ce qui fait la spécificité d'Angèle, je reviens une dernière fois sur sa « belgitude » décomplexée. La particularité de ses chansons est qu'elle sont simples, directes, et mieux encore : sincères. Une sincérité et une simplicité typiquement « du Nord », belges notamment. Pas de pose hypée, pseudo-arty, élitiste ou torturée à la française. Raison qui fait qu'un Stromae et maintenant une Angèle mettent KO ce qu'on appelait un temps la « nouvelle chanson française » (Bénabar et consorts), qui a fini rapidement en eau de boudin. 

Car au-delà des textes, attachants, la musique d'Angèle sait faire danser. La malédiction française qui consiste à mettre le paquet dans les textes et proposer une musique rance est heureusement évitée : il y a un vrai travail sur les mélodies, souvent entraînantes sans être aussi faciles que chez un Stromae par exemple (qui est tout sauf un artiste médiocre cela dit).

Bref, Angèle n'en est qu'à ses débuts, tout n'est pas parfait ni inoubliable, mais elle a du talent à revendre, et c'est le principal. Maintenant, il va s'agir pour elle de durer, rien n'est plus difficile dans le milieu artistique et notamment celui de l'industrie musicale. Une mode en chasse une autre... Et c'est la plus grande crainte d'Angèle : ne pas être la curiosité d'un moment. C'est là le challenge des artistes qui commencent fort : comment égaler des débuts qui déchaînent les foules ? Une chose est sûre, ça ne va pas être facile pour Angèle, d'autant qu'il n'est pas certain qu'elle continue dans cette voie. La dernière chanson de son album, « Flou », évoque le sujet : « la suite, on verra ».

[3/4]

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