«Je veux seulement que vous m’aimiez» est un très beau mélodrame, probablement celui dans lequel Fassbinder parvient le mieux à traduire l’innocence blessée de personnage en quête d’amour, broyés par une société de l’argent et de la consommation incompatible avec le sentiment. Cette société, en détruisant l’amour dans les affaires humaines, accule les êtres sensibles au manque d’affection et les plonge dans un insatiable sentiment de soif sentimentale. Pour combler cette solitude affective, le personnage du film, Peter, tente alors d’acheter l’amour des autres en les comblant de cadeaux ou en travaillant pour eux gratuitement (il construit la maison de ses parents), au prix de sa ruine financière et de son humiliation morale. Mais l’amour ne peut s’acheter, car il n’évolue pas dans le même référentiel de valeur. Peter fait la cruelle expérience de l’impossible conversion des biens matériels en sentiments amoureux. Bien au contraire, son air de chien battu, son incapacité à se révolter, sa candeur insouciante conduisant à des situations impossibles et l’acculant au mensonge, inspirent bien plutôt le mépris ou la colère des autres. En quête initiale d’affection et de tendresse, Peter se retrouve ruiné, dans une situation qu’il ne peut plus surmonter, et à bout de nerfs, épuisé, il commet l’irréparable. L’acte meurtrier devient le seul moyen qu’il trouve pour se sortir de cette situation infernale. C’est finalement la prison qui lui permet de recouvrer sa liberté, en tirant un trait sur ses ennuis… Fassbinder fustige une consommation motivée par le seul désir de faire "pareil", de faire "comme" ("pourquoi n'aurai-je pas droit à ce qu'ont les autres?"), mais totalement éloignée des besoins réels. Peter apparaît alors comme la victime d’une interaction spéculaire qui pousse au confort bourgeois. Il arrive libre à Munich, puis il commence à gagner son argent, ce qui le conduit inéluctablement à la consommation, qui elle-même le démunit de sa liberté. Il devient soumis à des pulsions qu’il ne parvient pas à contrôler. Là où dans l’imaginaire de la propagande publicitaire la consommation est l’expression de la liberté (celle, trompeuse, de choisir), Fassbinder nous montre froidement qu’elle est en réalité un outil de mise en esclavage. Le crédit comme aliénation. Peter se ruine dans tous les sens du terme : il accumule les dettes et s’use la santé. Plus fragile que les autres, car plus sensible, il est un témoin du dysfonctionnement profond de la société libérale, société du pouvoir de l’argent et non du pouvoir des valeurs, où la morale est privatisée. Fassbinder montre aussi l’origine du malaise psychologique du personnage par un troublant flash-back sur son enfance (la séquence de la fessée). Le cinéaste insiste par la suite sur l’aspect étrange de la relation entre Peter et ses parents, signant probablement là son film le plus freudien. Produit pour la télévision, «Je veux seulement que vous m’aimiez» avait vocation à toucher le plus grand monde. C’est donc un film simple, séduisant mais qui en même temps révèle une riche construction scénaristique basée sur une structure temporelle non linéaire assez audacieuse pour le petit écran. Le film se présente comme un vaste flash-back, la confession de Peter à son assistante sociale, et comme pour «L’année des 13 lunes», le récit fonctionne sur un processus de remémoration, ponctuellement perturbé par des flashs qui traduisent des résurgences incontrôlées du drame final. Une œuvre touchante et profonde à la fois, populaire dans le bon sens du terme, et qui, loin d’être mineure dans la filmographie de Fassbinder, en constitue au contraire l’une des pièces maîtresses.
[3/4]