Quel plaisir de
retourner au cinéma et d'y découvrir un vrai film. Ce sentiment, je l’ai eu
pour la dernière fois en allant voir « Parasite » de Bong Joon-ho en
salles. D’ailleurs, les deux longs métrages ont certains points communs, outre
leur moisson de récompenses.
Il s’agit de films multiples, ambivalents, mixant
comédie et tragédie, rire et émotion, réflexion et légèreté. Deux longs
métrages qui radiographient notre société contemporaine et notamment leur pays.
Deux films alliant une brillante interprétation à une réalisation inspirée et
efficace.
Je tiens ainsi à saluer en introduction l’interprétation
parfaite des différents acteurs, l’immense Mads Mikkelsen en tête. Mais aussi à
tirer mon chapeau à Thomas Vinterberg, que j’avais quitté en très petite forme,
avec un « Submarino » décevant et manichéen au possible.
La grande force de « Drunk » est son ambiguïté.
Vinterberg se cache d’ailleurs un peu derrière pour ne pas prendre position,
mais soit, son film perdrait en intérêt sinon. Ce long métrage est ainsi à la
fois une célébration et une dénonciation de l’ébriété. Plus encore, c’est un
film constamment sur le fil du rasoir, à l’image de ses protagonistes.
En effet, ceux qui l’ont testé le savent :
boire peut-être libérateur... Jusqu’à un certain point. Cela permet de se désinhiber,
on est plus volubile, plus sûr de soi, parfois même plus lucide sur certains
points, plus détendu. Mais, et il y a un gros mais, ça ne vaut qu’avec
modération. Dès que la prise d’alcool est trop répétée ou trop importante, le rêve
éveillé peut devenir un cauchemar.
Et c’est tout l’enjeu de ce film. Montrer des
personnages cinquantenaires, englués dans leur quotidien et la banalité de leur
vie, qui décident de renverser la table, de se mettre à boire comme leurs
jeunes élèves, à célébrer la vie, mais qui pensent pouvoir se maîtriser. 4
hommes en lutte avec eux-mêmes et qui tentent de retrouver un équilibre…
précaire et instable.
Au début, c’est comme un jeu, une boutade, une
pseudo-expérimentation qui les fait rire et nous avec. Un psychologue norvégien
indique que l’homme est fait pour vivre avec 0,5 grammes d’alcool dans le sang,
pas plus, pas moins. Au début, donc, on y croit. Nos (anti)héros sont
transformés, métamorphosés, tout semble leur réussir. Ils auraient pu s’arrêter
là. Mais non, la démesure humaine les rattrape.
Ils franchissent alors la ligne jaune. Ils perdent
le contrôle. Tout s’emballe. Si certains arrivent encore à se raccrocher à des
bouées dérisoires, pour d’autres c’est la fuite en avant. Thomas Vinterberg
aurait pu en rester là, et faire de ce film une amère condamnation de l’alcool.
Mais il fait un autre choix. D’un côté il semble
presque glorifier la saoulerie, qu’elle soit monumentale et impressionnante
chez les jeunes étudiants, ou plus discrète mais tout aussi festive pour nos 4
personnages. De l’autre, il montre crument les ravages de l’alcool, avec des
conséquences parfois irréversibles.
Vinterberg ne tranche donc pas. D’un côté l’alcool
est une fête à lui seul, de l’autre il blesse et tue profondément, le corps
comme l’âme. Ce n’est pas l’un ou l’autre, ce sont les deux à la fois. Les deux
faces d’une même pièce.
La séquence qui le manifeste le mieux est la
dernière, brillante. Une scène survoltée, avec un Mads Mikkelsen en transe.
Jusqu’à ce plan final, suspendu. Martin est-il en train de renaître, de
revivre, de s’amuser une dernière fois avant de reprendre le contrôle de sa vie ?
Ou est-ce vraiment la fin, la fête de trop, puis la mort ?
Le film s’achève, irrésolu. Plein de cette
contradiction : l’alcool est synonyme de convivialité, mais aussi de
déchéance, de joie et de détresse. Est-il possible – et souhaitable
– de rester raisonnable ?
[3/4]