samedi 7 février 2015

« Souvenirs de Marnie » (Omoide no Mānī) de Hiromasa Yonebayashi (2015)

    « Souvenirs de Marnie » est un Ghibli à part, par bien des aspects, malgré la qualité toujours aussi irréprochable du dessin. Tout d'abord il tourne autour d'une héroïne mal dans sa peau, timide à l'extrême et de surcroît asthmatique. Les héroïnes vaillantes, fières, courageuses de Miyazaki et Kondo semblent bien loin. Ensuite, l'ambiance est sombre, parfois effrayante. Là encore, plus aucune trace de la joie miyazakienne, voire du comique takahatien. Et enfin, c'est probablement le film du célèbre studio japonais le plus ambivalent. Et là, je dois dire que c'est très particulier. Chaque instant du long métrage (si l'on excepte la fin qui, heureusement, vient tout résoudre en apportant une grande bouffée d'air frais) menace de tomber dans l'excès, un excès que l'on craint graveleux, sordide. Mais non, ouf, on y échappe. Et ainsi de suite, jusqu'aux 10 dernières minutes. Les scènes de tension, presque anthologiques, sont légion, et l'on se demande assez rapidement où le film et son réalisateur veulent en venir. Ghibli nous avait habitué à des longs métrages plutôt francs du collier, directs, simples (mais d'une simplicité salutaire, solaire même). Ici tout est compliqué, tortueux, et toujours à la limite du borderline. Le carcan moral qui soutient, l'air de rien, les précédents films signés Ghibli semble fondre sous la chaleur du cœur en fusion de l'héroïne, prêt à exploser de mal être. Heureusement, donc, la fin vient expliquer et dénouer l'histoire, dont on ne faisait qu'entrapercevoir à grand peine le sens, bien tourmenté, mais rationnel il est vrai, et non dénué d'intérêt au demeurant. Toutefois, « Souvenirs de Marnie » marque bel et bien une rupture dans la production du studio. Miyazaki et Takahata, avec toutes leurs influences, à savoir le cinéma japonais, américain et européen de la première moitié du XXème siècle, surtout, tirent leur révérence. Ils laissent la place, en l'occurrence, à un cinéaste de toute évidence nourri au cinéma japonais de la deuxième moitié du XXème siècle, plus angoissé et terrifiant, plus adulte pourrait-on dire, plus sombre en fait. Et là se pose la question du futur : le studio peut-il poursuivre dans cette direction ? Il doit se réinventer, certes, et faire place nette aux jeunes générations. Mais doit-il pour autant s'engager dans cette voie, au risque d'aboutir à une impasse ? La pause intimée par Toshio Suzuki, le talentueux producteur du studio nippon, est éloquente : Yonebayashi est-il réellement un successeur de taille pour Miyazaki et Takahata ? Rien n'est moins sûr.

[2/4]

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