Brillante idée de la Cinémathèque Française que de proposer une rétrospective sur les pionnières du cinéma soviétique. Fait notable : jusqu'aux années 1960, c'est en URSS qu'il y eut le plus de femmes réalisatrices. Sur ce sujet, l'Occident faire clairement figure de mauvais élève. Mais comme l'ont indiqué les deux programmateurs de la rétrospective en introduction du film, il faut prendre ce fait avec des pincettes : l'ère soviétique a connu plusieurs phases, et si au début des années 30 soufflait un certain vent de liberté et d'audace, l'avènement de Staline a jeté un grand froid et un retour en arrière, notamment pour les droits des femmes.
Venons-en maintenant à « Souliers Percés ». C'est un magnifique film, subtil, aux nombreux degrés de lecture : un film pour et avec des enfants... mais aussi pour les adultes. Le scénario : dans l'Allemagne des années 20 ou 30, les revendications sociales éclatent, défendues par les communistes, alors que le nazisme gagne du terrain. Ce qui se vit dans le monde des adultes se joue aussi à l'école et dans la cour de récréation.
Margarita Barskaïa s'était fait une spécialité de filmer des enfants. Et on peut dire qu'elle retranscrit parfaitement cet âge de la vie, son innocence, son insouciance, son goût du jeu et des facéties, mais aussi la façon dont on reproduit ce qu'on voit et entend de ses parents. Elle parvient à tirer le meilleur de ses jeunes acteurs, qui nous font régulièrement sourire.
Mais plus encore, ce qui fait le charme de ce film c'est son ton : à la fois drôle et poétique, d'une très grande fraicheur, parfois même ironique, souvent irrévérencieux et bien sûr socialement engagé. Avec un art cinématographique consommé, il suffit de quelques plans à Barskaïa pour brosser la situation économique dramatique de toute une partie de la population. La faim, le travail des enfants, le chômage, la maladie... La cinéaste n'omet rien, sans pour autant verser dans le misérabilisme.
Elle dépeint par ailleurs tout un nuancier de conditions sociales et d'appartenances politiques, chez les adultes comme chez les enfants. Un des enjeux du film est en effet la mise en place d'une grève chez les dockers, leurs enfants tentant à leur mesure de les aider dans leur lutte, tandis que les pro-nazis s'y opposent.
Bien sûr, à l'époque de la réalisation de ce film, la liberté de création en URSS était relative. La deuxième partie du long métrage se fait donc un peu pesante, en s'attardant sur cette fameuse grève un peu comme un passage obligé, à grands renforts de chants, de défilés et de drapeaux flottant au vent. Pour autant, la première partie, qui sert d'exposition et d'introduction, réussit à manifester l'enjeu derrière : se battre pour une vie meilleure.
« Souliers Percés » est donc un film multiple, aux intérêts nombreux. Film sociologique, film artistique, film dramatique mais aussi plein d'espoir, à la fois grave et léger, c'est un long métrage d'une grande qualité qui figure en bonne place dans ce que le cinéma soviétique a fait de mieux.
[3/4]
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