jeudi 12 janvier 2012

« Les âmes fortes » de Raoul Ruiz (2001)

L’année 2001 n’était décidément pas un bon cru pour Raoul Ruiz. Après l’anecdotique «Comédie de l’innocence», Ruiz s’attaque à un grand roman de la littérature française, «Les Âmes fortes» de Jean Giono. Après son adaptation de La Recherche de Proust (voir la chronique du «Temps retrouvé»), dans laquelle le cinéaste était parvenu à saisir et à s’approprier l’esprit de l’œuvre, même si l’ambition démesurée du projet le vouait à l’échec, on pouvait légitimement attendre beaucoup de la vision que le cinéaste allait nous donner du roman de Giono. Autant dire que la déception est grande, tant le film est un échec complet, un ratage sur toute la ligne. Incapable de s’accaparer l’œuvre littéraire, Ruiz s’est retrouvé coincé entre son style cinématographique et l’adaptation littérale de l’œuvre. Ne sachant quel parti prendre (faire un film personnel ou une retranscription fidèle), il propose un film qui est un mauvais Ruiz et une mauvaise adaptation… Mauvais Ruiz, car la mise en scène du film fait preuve d’un classicisme et d’un conventionnalisme attristant. Le cinéaste tente bien de placer ici ou là quelques unes de ses signatures stylistiques habituelles (personnages et décors en mouvement injustifié sur des rails, gros plans insolites sur des objets et accentuation de la profondeur de champ, jeux de miroirs, etc…), mais elles apparaissent ici comme de vaines autocitations. Le casting, qui n’est décidément pas le point fort de Ruiz, est lui aussi bien désolant, avec notamment un très mauvais Diefenthal campant un improbable Firmin et une Laetitia Casta qui, si elle correspond bien physiquement à l’idée que l’on peut se faire de Thérèse (notamment pour sa rondeur et ses belles joues rouges collant bien à la ruralité de cette femme), ne parvient pas à se départir d’une ingénuité caractéristique de la comédienne et qui nuit dramatiquement à la complexité du personnage. Et je passe sur l’évanescent John Malkovich et l’exubérante Arielle Dombasle… Mauvaise adaptation ensuite, car on ne retrouve pas ici une once de l’ambigüité fascinante du roman, probablement le meilleur roman de Giono après «Un roi sans divertissement». Aucune trace de la portée mystique et métaphysique du roman, cette peinture noire d’une âme humaine animée par des passions supérieures qui la dépassent. Car Giono est trop souvent encore considéré, à tord, comme un écrivain bucolique louant les beautés des paysages provençaux. Il suffit de lire ses derniers ouvrages pour se convaincre de la grande richesse de son œuvre, plus proche de Dostoïevski que de Pagnol! Ruiz, surtout lui, aurait du être capable de révéler cette richesse, presque transcendantale, de l’œuvre de l’écrivain. Mais rien. Là où le livre de Giono nous conduit aux questionnements essentiels de l’existence, le film de Ruiz se contente, en y parvenant que laborieusement qui plus est, à relater le parcours de l’ambitieuse et calculatrice Thérèse, comme si «Les Âmes fortes» n’était qu’un banal feuilleton rural. On ne retrouve pas non plus dans le film le versant social, proche de la satyre, du roman et Ruiz, qui pourtant est très brillant dans ce registre, s’avère incapable de rendre hommage au talent de conteur de Giono. «Les Âmes fortes» est en effet un récit parlé, proche du conte, narré par une vieille femme au cours d’une veillée funèbre. C’est un récit proche en cela d’une certaine tradition orale aujourd’hui disparue. Ruiz reprend cette forme du récit pour en faire un simple prétexte narratif de plus, un traitement extrêmement classique du flash-back. Une grande déception donc, que ne peut consoler que la relecture du roman d’origine.

[1/4]

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