Drôle de coïncidence (enfin, façon de parler)... Depuis plusieurs mois, l’envie me prenait de revoir « Cléo de 5 à 7 », l’un des films clés de la Nouvelle Vague. Alors qu’Agnès Varda nous a quitté, deux jours après je le regardais de nouveau. Cela faisait longtemps que je n’avais pas vu ce long métrage, au moins 10 ans après un premier visionnage qui m’avait conquis. Entre temps, je me suis renseigné sur ce film et j’ai pu constater qu’il divisait en deux camps : d’un côté, ceux qui louaient son audace formelle et sa fraîcheur, de l’autre, ceux qui dénonçaient ses maladresses et sa superficialité. Clairement, je faisais partie des « pro-Cléo », mais je voulais confronter ce lointain souvenir à un deuxième visionnage.
Et bien il fut profitable, tant il m’a conforté et m’a permis de passer de nouveau un excellent moment ! Il me paraît excessif d’ergoter sur les faiblesses formelles de ce long métrage, alors qu’au contraire il est très maîtrisé : excellente gestion de ce « temps réel » qui a fait sa réputation, construction narrative à tiroirs, débutant par un prologue en couleurs qui donne tout son sens au récit, avant un passage à un noir et blanc magnifiquement photographié, résonances multiples entre le fond et la forme, musique diégétique insérée à bon escient…
En fait, ce film conjugue tant de talents que sa réussite me semble indéniable. Tout d’abord, « Cléo de 5 à 7 » est un film profondément féminin. Écrit et réalisé par une femme, une fois n’est pas coutume, il bénéficie d’un regard tout sauf neutre sur son histoire et ses protagonistes : il est plein de sensibilité et de nuances, tout en conservant une forme de regard amusé voire ironique sur son héroïne, qui a peur de perdre santé… et beauté. Comment être femme quand son intégrité physique et surtout son apparence corporelle risque d’être remise en cause ? Comment être « femme-sujet » et non « femme-objet » dans une société machiste ? Comment être femme quand la maladie nous affaiblit, alors qu’on peine à conserver les attentions d’un homme plus intéressé par ses (petites) affaires que par son aimée ? Comment ne pas se sentir profondément seule quand on peine à faire sa place d’un point de vue professionnel et personnel ?
Beaucoup de questions qui restent en suspens, mais Agnès Varda ne tarde pas à apporter un peu de réconfort à son héroïne bouleversée en la personne d’un jeune soldat en permission... destiné à retourner en Algérie pour son service militaire. On le voit, le bonheur a beau être parfois présent, il reste fugace. Derrière son apparence légère, « Cléo de 5 à 7 » est en fait un film très profond, grave, qui sonde l’âme humaine, et plus précisément l’âme féminine. Rare sont les œuvres à avoir eu l’occasion de le faire, et c’est peu dire qu’Agnès Varda s’en sort haut la main. D'autant qu'elle densifie son récit en en faisant une méditation sur la vie et la mort. « Cléo de 5 à 7 » est donc tout sauf un film purement visuel ou un gadget 60's qui n'aurait plus rien à nous dire.
Maintenant, ce long métrage n’aurait pas tout cet attrait sans sa forme assez virtuose, tout en restant spontanée et délicate, Agnès Varda s’autorisant à peu près tout. Variations formelles entre couleur et noir et blanc donc, mais aussi insertion d’un bref court métrage muet en plein milieu du film, resté célèbre par sa distribution et son sujet (Jean-Luc Godard en personne, avec et sans lunettes noires, ce qui occasionnera certaines péripéties, Anna Karina bien sûr, mais aussi Danièle Delorme, Jean-Claude Brialy, Sami Frey, Yves Robert...), parties chantées, dont le magnifique passage « Sans toi »… Bien sûr, impossible d'évoquer « Cléo... » sans parler de son talentueux photographe, Raymond Cauchetier, et bien sûr de son génial compositeur de musique, Michel Legrand, hélas disparu également il y a peu. On découvre même ce dernier acteur, avec pas mal de talent qui plus est, pour une séquence très amusante.
Mais on ne peut pas faire allusion à ce long métrage sans mentionner son actrice principale, Corinne Marchand, au charme envoutant. Certes, on pourra objecter que ce n’est pas (du moins à l’époque) une actrice accomplie : son jeu légèrement bancal fait un peu amateur et artificiel. Pour autant ça donne un cachet Nouvelle Vague et surtout ça ne dessert pas son interprétation d’une femme fragile, également artiste (chanteuse de variété en l’occurrence), à la fois sûre d’elle et très féminine tout en étant troublée par sa santé qu’elle craint en danger et une certaine solitude, que son statut de vedette cache mal.
Bref, « Cléo de 5 à 7 » regorge de qualités, qualités très bien mises en valeur par Agnès Varda, qui signe sans doute-là son film phare, mais également un jalon clé dans l’histoire du cinéma féminin, et même dans l'histoire du cinéma tout court. Pour de multiples raisons, il mérite donc d’être vu, que ce soit pour son fond touchant, la beauté et l'intelligence de sa forme ou son apport indéniable au septième art. D'ailleurs, les nombreux verbatims de l'affiche d'origine, proférés par certains des plus grand artistes de l'époque, rendent un bel hommage à cette cinéaste de talent.
Et bien il fut profitable, tant il m’a conforté et m’a permis de passer de nouveau un excellent moment ! Il me paraît excessif d’ergoter sur les faiblesses formelles de ce long métrage, alors qu’au contraire il est très maîtrisé : excellente gestion de ce « temps réel » qui a fait sa réputation, construction narrative à tiroirs, débutant par un prologue en couleurs qui donne tout son sens au récit, avant un passage à un noir et blanc magnifiquement photographié, résonances multiples entre le fond et la forme, musique diégétique insérée à bon escient…
En fait, ce film conjugue tant de talents que sa réussite me semble indéniable. Tout d’abord, « Cléo de 5 à 7 » est un film profondément féminin. Écrit et réalisé par une femme, une fois n’est pas coutume, il bénéficie d’un regard tout sauf neutre sur son histoire et ses protagonistes : il est plein de sensibilité et de nuances, tout en conservant une forme de regard amusé voire ironique sur son héroïne, qui a peur de perdre santé… et beauté. Comment être femme quand son intégrité physique et surtout son apparence corporelle risque d’être remise en cause ? Comment être « femme-sujet » et non « femme-objet » dans une société machiste ? Comment être femme quand la maladie nous affaiblit, alors qu’on peine à conserver les attentions d’un homme plus intéressé par ses (petites) affaires que par son aimée ? Comment ne pas se sentir profondément seule quand on peine à faire sa place d’un point de vue professionnel et personnel ?
Beaucoup de questions qui restent en suspens, mais Agnès Varda ne tarde pas à apporter un peu de réconfort à son héroïne bouleversée en la personne d’un jeune soldat en permission... destiné à retourner en Algérie pour son service militaire. On le voit, le bonheur a beau être parfois présent, il reste fugace. Derrière son apparence légère, « Cléo de 5 à 7 » est en fait un film très profond, grave, qui sonde l’âme humaine, et plus précisément l’âme féminine. Rare sont les œuvres à avoir eu l’occasion de le faire, et c’est peu dire qu’Agnès Varda s’en sort haut la main. D'autant qu'elle densifie son récit en en faisant une méditation sur la vie et la mort. « Cléo de 5 à 7 » est donc tout sauf un film purement visuel ou un gadget 60's qui n'aurait plus rien à nous dire.
Maintenant, ce long métrage n’aurait pas tout cet attrait sans sa forme assez virtuose, tout en restant spontanée et délicate, Agnès Varda s’autorisant à peu près tout. Variations formelles entre couleur et noir et blanc donc, mais aussi insertion d’un bref court métrage muet en plein milieu du film, resté célèbre par sa distribution et son sujet (Jean-Luc Godard en personne, avec et sans lunettes noires, ce qui occasionnera certaines péripéties, Anna Karina bien sûr, mais aussi Danièle Delorme, Jean-Claude Brialy, Sami Frey, Yves Robert...), parties chantées, dont le magnifique passage « Sans toi »… Bien sûr, impossible d'évoquer « Cléo... » sans parler de son talentueux photographe, Raymond Cauchetier, et bien sûr de son génial compositeur de musique, Michel Legrand, hélas disparu également il y a peu. On découvre même ce dernier acteur, avec pas mal de talent qui plus est, pour une séquence très amusante.
Mais on ne peut pas faire allusion à ce long métrage sans mentionner son actrice principale, Corinne Marchand, au charme envoutant. Certes, on pourra objecter que ce n’est pas (du moins à l’époque) une actrice accomplie : son jeu légèrement bancal fait un peu amateur et artificiel. Pour autant ça donne un cachet Nouvelle Vague et surtout ça ne dessert pas son interprétation d’une femme fragile, également artiste (chanteuse de variété en l’occurrence), à la fois sûre d’elle et très féminine tout en étant troublée par sa santé qu’elle craint en danger et une certaine solitude, que son statut de vedette cache mal.
Bref, « Cléo de 5 à 7 » regorge de qualités, qualités très bien mises en valeur par Agnès Varda, qui signe sans doute-là son film phare, mais également un jalon clé dans l’histoire du cinéma féminin, et même dans l'histoire du cinéma tout court. Pour de multiples raisons, il mérite donc d’être vu, que ce soit pour son fond touchant, la beauté et l'intelligence de sa forme ou son apport indéniable au septième art. D'ailleurs, les nombreux verbatims de l'affiche d'origine, proférés par certains des plus grand artistes de l'époque, rendent un bel hommage à cette cinéaste de talent.
Merci et adieu, Agnès Varda…
[4/4]
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