Quelle belle surprise! Dans «Et vogue le navire», Fellini retrouve une certaine poésie qui faisait défaut à la plupart de ses films antérieurs. En effet, à mon sens, la qualité des films du maestro va crescendo jusqu’à ces trois chefs d’œuvres que sont «La Dolce Vita», «8 ½» et «Juliette des esprits». A partir de «Satyricon», le cinéma de Fellini succombe à une certaine surenchère visuelle. Les films du maestro regorgent alors toujours de quelques moments grandioses, durant lesquels on en prend plein les mirettes, et qu’on attend entre des séquences de transition moins pertinentes, parfois même ennuyeuses. Les films perdent de leur unité, on en retient d’ailleurs des scènes, des passages, mais rarement l’œuvre dans son intégralité. Avec «Et vogue le navire», c’est comme si Fellini, en retrouvant une certaine sobriété esthétique (le film est beaucoup moins dans la démesure que les précédents, tout en représentant un concentré de l’univers fellinien), se devait d’enrichir le propos et la dimension poétique de son œuvre. Et c’est une réussite, le cinéaste réalisant probablement là son plus beau film depuis «Juliette des esprits». Placé sous le sceau de la mort (le film est la traversée funéraire d’un groupe d’artistes partis disperser les cendres d’une célèbre diva au large d’une île, la veille de la guerre de 14), «Et vogue le navire» est une fable nostalgique sur la fin : celle de l’innocence, celle du cinéma, celle de l’opéra (il n’y aura plus jamais une telle diva), sur la fin de l’art même, puis dans sa dernière partie, sur la fin de l’Italie et sur la fin de l’Europe. Bref, un film sur la fin d’un certain monde… Dans la première séquence, formidable, Fellini retrace l’histoire du cinéma, du muet burlesque en noir et blanc, au parlant, puis, lors d’un très beau fondu, à la couleur. L’avant-dernière séquence fera écho à cette ouverture, par ce mouvement d’appareil prodigieux qui nous montre le plateau de tournage, l’équipe, le studio, puis se termine par un zoom sur l’objectif d’une caméra en travelling. La boucle est bouclée, Fellini dévoile tous les artifices du cinéma, ouvrant la voie à une vaste méditation sur le statut de l’image cinématographique, méditation qui a alimenté et alimente encore le travail de nombreux cinéastes. Mais «Et vogue le navire» ne se limite pas à cette réflexion du cinéma sur lui-même, et offre de nombreux moments savoureux, que ce soit du point de vue de la mise en scène (la scène du restaurant, celle de l’apparition de la jeune fille sur le pont du bateau, etc), du propos de Fellini, toujours aussi virulent dans la satyre sociale, ou encore dans les passages de pure comédie que nous offre le cinéaste qui, malgré le pessimisme de son regard, n’en reste pas moins drôle. Je ne m’attendais pas à découvrir un si grand film parmi les dernières réalisations du maestro…
[4/4]