dimanche 3 octobre 2010

« Le Sacrifice » (Offret) d'Andreï Tarkovski (1986)


   Je suis très heureux d'inaugurer la section « critique » de ce blog avec une oeuvre qui me tient particulièrement à coeur : l'ultime long métrage d'Andreï Tarkovski.

* * *

    Difficile, impossible même de parler d'un tel film, d'une oeuvre aussi accomplie et bouleversante sans être réducteur. La seule chose à faire est de le regarder, encore et encore! Toutefois je vais me risquer à placer quelques mots - pardonnez mon ton lourd et sentencieux, mais je ne peux évoquer ce film sans me répandre en louanges. « Le Sacrifice » est bien, et de loin, l'un des deux ou trois plus grands films de toute l'histoire du cinéma (à mon sens le plus grand), mélange de prière, d'essai philosophique, de testament spirituel, de leg paternel et bien évidemment sommet du septième art à tous points de vue. Le film de Tarkovski est à la fois d'une simplicité évidente, presque enfantine, et à la fois d'une richesse que deux visionnages ne font qu'effleurer. Une fois de plus Andreï Tarkovski parvient à réaliser un long métrage extrêmement personnel et complètement universel à la fois, à un degré vraiment impressionnant! Par où commencer? Tout d'abord ce qui m'a vraiment frappé c'est son rythme : c'est comme si le film respirait de lui même d'une façon très douce et harmonieuse, contrastant avec le profond écoeurement de Tarkovski pour la dérive de notre monde vers un matérialisme qu'il qualifie lui-même de suicidaire. Son dernier long métrage est une exhortation à aimer l'autre et au don de soi, seul moyen de nous sauver, nous qui courons à notre perte, nous qui ne savons plus ce que signifie le sens du sacrifice. La première fois que je l'avais vu la mise en scène et la photographie m'avaient surpris par leur relative simplicité (« Le Sacrifice » est bien différent d'un « Stalker » ou d'un « Andreï Roublev » sur ce point), mais ce que je prenais pour une hypothétique paresse (!), une esthétique excessivement consensuelle pour un tel cinéaste, n'est en réalité que subtilité et délicat équilibre entre maîtrise de la forme et profondeur (et beauté!) du fond. Le degré de maîtrise atteint par Tarkovski laisse sans voix : comment a-t-il fait pour réaliser un film aussi harmonieux et fort à la fois? « Le Sacrifice » est bien évidemment à mettre en parallèle avec la vie, l'engagement de cet immense artiste (et penseur!) que fut Andreï Tarkovski, et en ce sens quel film terriblement émouvant! Pour autant, il s'agit d'une oeuvre qui se suffit à elle-même, qui a son propre rythme (d'une perfection confondante), sa vie propre, ses images magnifiques, sa richesses inépuisable… Oui il s'agit d'un véritable chef-d'oeuvre, au sens premier du terme, de ceux qui semblent venus de nulle part et qui mènent très très loin, qui élèvent l'âme au plus haut! Si vous ne deviez voir qu'un seul film de toute votre vie, je vous conseillerais celui-là. Et si vous ne comprenez rien la première fois, c'est presque normal (ce fut mon cas). Il s'agit d'un film d'accès difficile, mais qui témoigne de sa qualité. Et puis quel bonheur de se perdre dans une telle oeuvre! Rares sont les films à traverser le temps et les visionnages successifs sans perdre de leur substance (on les compte sur les doigts de la main), « Le Sacrifice » y parvient sans peine.

[4/4]

4 commentaires:

  1. La langue suédoise me rebute trop hélas pour que je puisse apprécier ce film. On saisit mal le message que veut faire passer son réalisateur, même après 2 visionnages. Peut-être les sous-titres ne rendent pas compte de la richesse du texte, c'est souvent le cas avec certains films (ou je peux m'en rendre compte).

    A revoir donc, plus concentré.

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  2. Je pense que je suis trop laudatif et pompeux dans ma critique, mais l'enthousiasme de la seconde fois où je l'ai vu m'a rendu intarissable. Je pense qu'il faut avant tout aborder ce film avec simplicité. C'est un film à la fois angoissé et apaisé, angoissé par l'abîme vers lequel verse notre monde, et habité par la sérénité de l'amour et la beauté du monde. Je pense qu'il faudrait que je le revoie moi aussi encore une fois, je suis certain que je le percevrais encore différemment.

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  3. Voilà une analyse pertinente et fort bien écrite.
    J'avoue m'être sentie un peu seul tant les critiques considèrent ce film comme un échec.
    Ce qui me semble avoir déplu à nombre de "tarkovkiste", est que le réalisateur expose ses convictions religieuses de manière frontale dans une grille de lecture unique.
    Certes le film n'a peut-être pas la fulgurance esthétique de Nostalghia (encore que...), mais c'est sans doute celui qui caractérise le mieux la pensée et l'art de Tarkovski.
    De tous ses films, c'est sans aucun doute celui qui m'a le plus profondément bouleversé.

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  4. Merci pour vos compliments.

    « Le Sacrifice », comme toute œuvre, comporte quelques défauts. Néanmoins ses qualités sont nombreuses, et dépassent de loin ses faiblesses. Citons la beauté du cadrage, des plans-séquences et du montage (d'une grande sérénité), un onirisme du meilleur aloi, des symboles magnifiques (cet arbre...), des personnages mystérieux (le facteur, la sorcière, le petit garçon à la maladie étrange), un propos dense et profond...

    Peut-être le film le plus maîtrisé de Tarkovski, ce qui le rend il est vrai quelque peu hermétique.

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