samedi 28 juillet 2012

« Lettres de mon moulin » d'Alphonse Daudet (1869)

    Dans son ouvrage, Alphonse Daudet nous offre près d'une trentaine de chroniques provençales, qui fleurent bon le parfum de la garrigue, les cigales, le soleil, la chaleur du sud. Autant de petites fantaisies tantôt amusantes, tantôt mélancoliques. Daudet nous conte les (més)aventures de toute une galerie de personnages tous plus truculents les uns que les autres. Maître Cornille et son moulin qui continue fièrement de tourner quand tous ses confrères ont dû arrêter, en raison de l'industrialisation galopante, Monsieur Seguin et sa chèvre qui a soif de liberté, la mule du pape maltraitée par un gredin, le curé de Cucugnan et sa paroisse réfractaire à la parole de Dieu, le célèbre poète Mistral, dom Balaguère, tenté par le diable, et ses trois messes basses, le révérend père Gaucher et son fantastique élixir... Avec un style dépouillé et limpide au possible, Alphonse Daudet nous emmène avec grâce dans le sud de la France, et même le nord de l'Afrique. Vous l'aurez compris, les « Lettres de mon moulin » se lisent très facilement et promettent de passer un moment ensoleillé, plein d'humour et de tendresse. Un petit classique, à lire sans hésiter.

[3/4]

jeudi 5 juillet 2012

« Régime sans pain » de Raoul Ruiz (1986)


Les bras m’en tombent… N’importe quoi! «Régime sans pain» est un film que l’on pourrait qualifier positivement de barré, de déjanté et d’absurde et, négativement, de débile, sans queue ni tête, et affreusement kitsch… Pourtant, le film garde pour lui un atout précieux qui fait que l’on pardonne aisément Ruiz pour ce ratage : «Régime sans pain» est drôle dans son absurdité et ne génère jamais l’ennui. On finit rapidement par comprendre qu’il va nous falloir considérer le film avec une grande légèreté, et celui-ci se dote alors d’un certain charme. Les costumes extravagants, les coupes de cheveux à la Desireless, la musique ringarde du duo Angèle et Maimone (groupe français de new wave des années 80), également acteurs principaux du film, et le look général du film décrochent inévitablement au spectateur qui a connu ces années quelques sourires sympathiques. Mais pour le reste… Que c’est débile! Jugez plutôt : dans la principauté rock du Vercors, le prince Jason III, qui ressemble à un mannequin de salon de coiffure, voit son audience télévisée décliner. C’est le signe de sa mort imminente dans un accident de voiture rituel. Refusant de se soumettre à ce sort, il fuit dans la banlieue des émigrés catholiques où il est retrouvé par une bibliothécaire paralytique, animée d’un amour intellectuel pour lui. Celle-ci le confie à un professeur psychothérapeute coiffé comme le Robert Smith des Cure, qui le dépersonnifie puis le repersonnifie pour en faire son propre successeur, Jason IV. Voilà pour le scénario, à qui l’on ne reprochera pas de manquer d’originalité!… Le tout est entrecoupé de séquences absurdes et de scènes qui s’apparentent à des vidéo-clips des chansons du duo de comédiens-chanteurs. On comprend pas toutes les allusions que le cinéaste glisse dans les répliques souvent impénétrables du film, que l’on pressent pourtant drôles. Mais l’humour de Ruiz nous échappe grandement… Et c’est bien plutôt ce sentiment d’assister à un vaste délire de cinéaste, qui s’amuse à pasticher son époque, qui engendre, dans l’ensemble, un certain effet comique. Rajouté à cela une esthétique particulière, qui accentue l’étrangeté du film (ciels peints en orange par exemple), et on se retrouve face à quelque chose de tout à fait singulier, qui a au moins le mérite de son originalité et de son décalage hautement assumé, même s’il semble difficile à qui que ce soit de suivre Ruiz sur des chemins qu’il emprunte résolument en solitaire. Au final, le film laisse en mémoire un souvenir plus sympathique que d’autres films du cinéaste, se voulant plus sérieux et moins légers, mais sans âme («Les âmes fortes» par exemple). Ruiz est décidément un cinéaste surprenant, que l’on continue à aimer, et qui reste attachant, même dans ses plus grands ratages. 

[1/4]      

« Les Frères Karamazov » (Brat'ya Karamazovy) de Fiodor Dostoïevski (1879)

    Prodigieux ouvrage, « Les Frères Karamazov » figure sans conteste au panthéon de la littérature mondiale. Sigmund Freud voit en lui « le roman le plus imposant qu'on ait jamais écrit », et ce n'est pas moi qui le contredirai. Ce livre nous conte l'histoire de Fiodor Karamazov et de ses trois fils, chacun ayant un caractère bien à lui et se trouvant plongé dans une intrigue qui les dépasse, un horrible meurtre. Tout le génie de Dostoïevski réside en ce qu'il parvient à littéralement donner vie à des personnages démesurés, au caractère bien trempé, et totalement inoubliables. Chacun des frères Karamazov illustre pourrait-on dire une facette de la personnalité de l'écrivain russe. Dmitri, l'ainé, est bouillonnant, spontané, colérique, il incarne à lui seul l'homme russe. Ivan quant à lui est un intellectuel, un libre penseur athée, typique du XIXème siècle. Aliocha, enfin, représente l'aspiration à la sainteté, il est réservé, sage, étonnamment mûr pour son âge.  Et comment oublier le personnage pivot du roman, sur lequel plane son ombre : le sensuel Fiodor Pavlovitch Karamazov, père débauché et indigne. Tout au long du roman, les évènements tissent leur trame et nous entraînent dans un tourbillon d'idées, de ressentiment, de rage, d'humanité dans ce qu'elle a de plus viscéral, de plus fou. Un peu à la manière de « Crime et châtiment », nous plongeons dans les bas-fonds de la Russie, dans ce qu'elle a de plus sordide sans pour autant tomber dans le misérabilisme ou la bassesse. Dostoïevski a une certaine noblesse d'âme qui fait que ses personnages conservent une certaine dignité, même dans les cas les plus désespérés. De nombreux passages sont remarquables et figurent parmi les plus belles pages jamais écrites. Et les personnages sont esquissés à merveille, ils vous hanteront longtemps encore après que vous ayez refermé ce livre. Je ne peux donc que vous inviter à prendre le temps de lire cet ouvrage fort imposant, vous en serez marqués à jamais pour peu que vous teniez le coup des 900 pages. Un véritable chef d'œuvre de la littérature mondiale (Freud le place avec raison à côté de l'« Œdipe Roi » de Sophocle et de l'« Hamlet » de Shakespeare).

[4/4]

dimanche 1 juillet 2012

« Les Temps modernes » (Modern Times) de Charlie Chaplin (1936)

    « Les Temps modernes » est une brillante et acerbe critique de la société industrielle de la fin du XIXème et du début du XXème siècle. Charlot, comme toujours l'élément perturbateur qui vient gripper le système, ne peut s'adapter à un environnement aussi aliénant. Il porte en lui les séquelles du travail à la chaine, qui fait davantage de lui une sorte d'automate qu'un homme. En effet, si l'homme s'accomplit dans le travail, c'est peu dire que ce n'est pas au poste que tient Charlot, dont les tâches sont divisées et réduites à l'extrême. Avec beaucoup d'humour, Charlie Chaplin nous dépeint la condition de ces travailleurs acharnés, qui doivent leur survie au bon fonctionnement de machines gigantesques, qui avaleront littéralement quelques uns de nos protagonistes. On peut à cet égard faire un parallèle avec le Moloch du « Metropolis » de Fritz Lang, cette machine inhumaine à la gueule béante, sorte de divinité démoniaque des temps modernes. Bien évidemment, Charlot ne pourra pas s'adapter aux cadences de travail, et de maladresses en maladresses finira en prison. Il rencontrera par la suite une gamine orpheline, qu'il tentera tant bien que mal de sauver. Drôle et intelligent, encore un film de Chaplin exemplaire, un véritable classique du septième art.

[4/4]