samedi 26 novembre 2016

« Le Livre de la jungle » (The Jungle book) de Rudyard Kipling (1894)

    « Le Livre de la jungle » possède un charme certain pour moi. Il a en effet bercé mon enfance, dans le cadre du scoutisme, qui pioche allègrement dans ses personnages et l’esprit d’aventure qui le baigne. Je me suis rendu compte que cet ouvrage est fort éloigné de ses adaptations, notamment du dessin animé Disney. En fait, il est bien plus riche, même si hélas Mowgli et ses amis n’apparaissent que dans trois chapitres : trois nouvelles plutôt. Car « Le Livre de la jungle » est en réalité construit comme un ensemble de nouvelles séparées, sans lien entre elles, sauf pour ce qui est des trois premières. Cela confère nécessairement un caractère inégal à l’ouvrage, car certaines nouvelles sont bien plus passionnantes que d’autres. Néanmoins on retrouve dans chacune un mélange heureux d’audace, d’humour, de panache, avec toujours ce fond moraliste – mais non moralisateur ! Car Kipling est l’égal d’un Jean de La Fontaine : ses personnages animaux lui permettent de dépeindre toute une palette de comportements et sentiments humains, et de donner chair à des principes universels, dont son célèbre poème « If… » est un magnifique exemple. Certains passages sont à ce titre des fables morales savoureuses, comme le passage sur les Bandar-Logs, ces singes stupides et indisciplinés, qui ne sont pas sans rappeler les pires travers de l’espèce humaine. Et ce que j’apprécie particulièrement chez l’auteur britannique, c’est qu’il sait joindre « l’utile à l’agréable ». Il sait faire passer son message humaniste et plein d’espérance avec une plume subtile et délicate, tout en sachant ménager un rythme continu. Les aventures de ses héros sont menées tambour battant : le fond comme la forme permettent donc de passer un très agréable moment de lecture en dévorant les pages de son ouvrage. Et puis le caractère exotique de ces péripéties du bout du monde est rafraichissant. Clairement il s’agit là d’un grand classique de la littérature, que je recommande particulièrement !

[4/4]

« Demain » de Cyril Dion et Mélanie Laurent (2015)

    « Demain » part d’une bonne intention, et même d’une intention louable : redonner de l’espoir en l’avenir, en donnant la parole à des acteurs d’un monde plus juste, plus humain, plus durable. Et de fait, ce documentaire regorge d’initiatives sympathiques, qui poussent même à la réflexion. Toutefois assez rapidement on ressent comme un malaise. Peu ou pas de contradictions, tout paraît simple, évident… Et il suffit au réalisateur d’interroger ses interlocuteurs pour avoir la réponse aux plus grands problèmes de l’humanité (semble-t-il). Ils répondent, et ce qu’ils disent est forcément vrai. Du moins c’est ce que laissent entendre Mélanie Laurent et Cyril Dion puisqu’ils ne posent pas (ou peu) de questions, et prennent ce qu’on leur dit pour argent comptant. Nos « héros » des lendemains meilleurs deviennent alors des sortes de gourous... En fait la réalité est bien plus complexe. Les spécialistes savent que les éoliennes ne sont pas rentables, notamment car il faut un entretien régulier pour qu’elles fonctionnent à plein régime. Mais qui a déjà vu les éoliennes se faire entretenir ? Ne parlons pas des éoliennes offshore, en pleine mer ! La monnaie locale ne manque pas d’intérêt, mais comme les intervenants le disent sans détour, elle ne peut constituer qu’un complément au système financier actuel. Si on est passé du Moyen-Âge et de sa multitude de monnaies aux fluctuations plus que variables à des systèmes centralisés, ce n’est pas pour rien ! Idem pour l’agriculture de proximité et urbaine, elle ne remplacera pas de sitôt l’agriculture de masse, tout aussi néfaste qu’elle puisse être à long terme. De fil en aiguille, on a donc l’impression qu’on nous égrène des propositions homéopathiques, agréables en apparence mais sans grand effet. Plein d’idées finalement naïves, parfois réellement originales et intelligentes (faire pousser des légumes dans les espaces délaissés d’une petite ville), mais dont on peine à croire qu’elles puissent réellement bouleverser le monde. Pire encore, on reste à la surface des problèmes, et nos réalisateurs ne poussent pas la réflexion aussi loin que ce que j’aurais espéré. C’est comme s’ils mettaient du sparadrap pour boucher les trous d’un cargo de plusieurs tonnes en train de couler… L’un des problèmes réside notamment dans le fait qu’ils semblent totalement novices pour aborder ces sujets de poids et de fond. Manifestement Cyril Dion ne connaît pas grand chose à l’économie, ne parlons pas de Mélanie Laurent ! Je leur concède toutefois une chose, c’est que leur film procure une certaine envie de faire bouger les choses à son niveau, de ne pas se résigner les bras croisés. En somme, et je me répète, un film sympathique mais qui sera vite oublié…

[2/4]

dimanche 13 novembre 2016

« Little Big Man » d'Arthur Penn (1970)

    « Little Big Man » est un film singulier : flamboyante épopée à l’humour ravageur, au premier abord il s'agit d'une vaste fresque sans queue ni tête, mais en fait c'est une puissante dénonciation de la barbarie humaine, baignant dans l’esprit subversif et contestataire des années 60-70 durant lesquelles le long métrage a été réalisé. Ce film suit la vie d’un jeune yankee recueilli par des Indiens à la suite du massacre de sa famille par ces derniers. Mais dès le début, une précision de taille nous est donnée : la tribu qui a recueilli le jeune Jack Crabb n’est pas la même que celle qui a tué ses parents. Les Indiens ne sont donc plus perçus comme un bloc monolithique : des distinctions sont faites entre les courageux, braves et justes Cheyennes (qui s’appellent entre eux Human Being – les Êtres Humains) et les lâches et violents Pawnee. Pour l’une des toutes premières fois à Hollywood, le point de vue de la narration et de l’histoire est bien plus du côté des Indiens que des conquérants blancs. Arthur Penn porte qui plus est un regard plein de dérision et d’ironie sur ces fameux blancs, soi disant civilisés, mais quelque peu hypocrites, comme ce pasteur malfaisant qui recueille Jack après que les Indiens aient subi une défaite. Et la femme nymphomane de cet odieux pasteur n’est pas en reste… Bref tout le monde en prend pour son grade. Et au milieu de tout ça, impuissant, Jack Crabb assiste en témoin de premier plan aux évènements qui voient s’affronter Indiens et cavalerie yankee. Tantôt ce sont les uns qui gagnent, tantôt ce sont les autres. Difficile de trouver un juste milieu : Jack ne sera jamais tout à fait accepté par chacun des deux camps et aura toujours du mal à se positionner, à savoir qui il est vraiment. Toutefois la figure tutélaire de son « grand-père » d’adoption indien, fascinante, l’aidera à se construire : sage, innocent, naïf et pourtant plein de bon sens, lui aussi traverse les évènements sans y pouvoir grand chose. Et à chaque fois, il garde les bras grands ouverts pour accueillir Jack, avec ces paroles pleines d’amour et de bonté pour celui qu’il considère comme issu de son propre sang. Face à l’absurdité de l’Histoire et de ces évènements funestes, il garde la foi jusqu’au bout et est comme une boussole pour notre jeune héros. Il est vraiment l’âme de ce récit, au cœur de toute la complexité de ce qui est évoqué, ces rapports d’amour-haine entre Occidentaux et Indiens. Passionnant de bout en bout, scénaristiquement riche et magistralement interprété, notamment par un Dustin Hoffman au sommet, « Little Big Man» est plus qu’un excellent western original et réussi, c’est un grand film tout court, notamment sur l’histoire mouvementée des Etats-Unis d’Amérique. Un film indispensable en somme.

[4/4]