Affichage des articles dont le libellé est 1/4. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est 1/4. Afficher tous les articles

dimanche 11 septembre 2022

« Once Upon a Time... in Hollywood » de Quentin Tarantino (2019)

 

    Ma révélation avec ce film : Quentin Tarantino ne sait pas filmer... Ses cadrages sont très pauvres, ses plans ne sont pas composés, ils font vides, la photographie fait hyper artificielle... Esthétiquement, tout est plat et sonne faux...

Alors Tarantino se rattrape avec deux choses : une foultitude de gimmicks, des idées de mise en scène pillées chez d'autres, bien meilleurs que lui, mais qui ne durent que quelques secondes ici et là. Et des personnages plutôt bien écrit, avant tout (et surtout) les deux héros principaux, joués par deux excellents Leonardo DiCaprio et Brad Pitt, qui sont le principal (à vrai dire le seul...) intérêt de ce film.

Je le concède, il est plaisant de suivre les mésaventures de nos deux héros, dont les interprètes cabotinent à mort... Mais avec talent. En outre, leurs scènes et leurs lignes de dialogues sont bonnes, ce qui reste un des rares atouts de Tarantino. Gros problème : hormis les protagonistes joués par Pitt et DiCaprio, quasiment aucun personnage n'existe, pas même Margot Robbie censée incarner Sharon Tate... sans convaincre. Elle n'arrive à aucun moment à nous faire croire à son personnage et encore moins à lui insuffler de la vie, Tarantino la filmant de façon extrêmement superficielle... Alors ne parlons même pas d'émotion, même à la toute fin, censée être le climax...

Pour le reste, film après film Tarantino dilue son maigre talent dans des métrages de plus en plus longs... 2h41 de néant, ou presque... Alors, oui, il y a une reconstitution plutôt sympathique des années 60, mais qui fait toc au possible. Préférez « Licorice Pizza » de Paul Thomas Anderson, bien meilleur dans la reconstitution à la fois nostalgique et lucide d'une époque révolue.

Et puis cette fin ignoble m'a achevé... Cette réécriture infantile, et pour tout dire stupide, de l'histoire, indécente même, révèle la pauvreté d'esprit de Tarantino, dont le cinéma est fondé sur des ressorts très limités. En gros exposer crânement sa cinéphilie, son amour de la musique (bien utile pour masquer le vide de la mise en scène) et du sang qui gicle (hi hi). Tarantino a fait bien pire, mais ça ne vole décidément toujours pas bien haut...

[1/4]

dimanche 9 janvier 2022

« Corto Maltese - Océan Noir » de Martin Quenehen et Bastien Vivès (2021)


     Une fois n'est pas coutume, je salue la relative prise de risque de Casterman. La célébrissime maison d'édition laisse quartier libre à Bastien Vivès et Martin Quenehen pour revisiter Corto, en le transposant à une époque plus contemporaine, en prise avec les enjeux de notre temps. Clairement cet album est peu ou prou le meilleur de la série post-Hugo Pratt. Car il ose enfin !

Malheureusement, Vivès et surtout Quenehen n'ont pas le talent suffisant pour approcher le génie du maestro italien. Pour ce qui est du dessin, Vivès s'en sort honorablement. Il actualise l'aspect visuel de Corto avec talent, notamment son visage. Pas de doute, il est bien plus talentueux que Rubén Pellejero et ne livre pas une copie servile, mais une nouvelle version de Corto, à la fois personnelle et dans l'esprit du personnage d'origine. 

Dommage qu'il soit loin de maîtriser le noir et blanc comme Pratt... La BD est colorisée en nuances de gris, certainement à la tablette, et Vivès use des couleurs sans en faire un atout narratif supplémentaire. Là où Pratt excellait à dramatiser une scène ou à la rendre contemplative par sa gestion virtuose de l'encre de Chine et des aplats de noir.

Dommage également que la moitié du temps, Vivès ne daigne pas dessiner complètement les visages des personnages. Pour les personnages secondaires, ça passe encore. Mais que Corto n'ait pas d'yeux ou de bouche la moitié de l'album, c'est soit de la paresse monstre, soit du pur je-m'en-foutisme. Le pire, c'est que je pense que ce sont les deux à la fois...

Ça rejoint ma remarque sur la gestion des couleurs. Vivès, qui a sans doute un agenda chargé du fait de ses nombreux autres projets, et l'éditeur Benoît Mouchart, n'ont sans doute pas considéré qu'une série pourtant culte comme Corto Maltese méritait qu'on passe du temps sur un album et qu'il soit de la meilleure qualité possible. Comme pour les reprises de Blake et Mortimer etc., il semble que la logique industrielle du travail à la chaîne prévale... En résulte un album complètement bâclé d'un point de vue visuel. Oui, de temps en temps, Vivès nous livre une belle vignette. Mais la plupart du temps, ses vignettes ressemblent plus à des esquisses à peine dignes d'un storyboard... Je serais curieux de savoir combien de temps Bastien Vivès a passé pour dessiner et coloriser cet album !

Visuellement, la BD fait donc très cheap, entre les visuels dessinés à la va-vite et les couleurs utilisées sans aucun sens graphique ou narratif... Si le scénario était réussi, je serais passé outre. Mais le hic, c'est que le scénario est encore pire que le dessin... Il commence plutôt bien, en installant du mystère... Puis patatras, il s'effondre sur lui-même en se heurtant à deux écueils.

Premièrement, celui de tomber dans du James Bond ou du Mission Impossible de deuxième zone. Depuis la reprise de Corto, il semble acquis qu'un album de la série doit faire voyager les héros dans le monde entier, sur au moins 3 continents. Forcément en 166 pages, les péripéties s'enchaînent à vitesse grand V, les ellipses foisonnent, et tout passe tellement vite que les auteurs n'ont le temps d'installer aucune ambiance ou atmosphère... Alors que les albums de Pratt avaient un ton et une saveur uniques, souvent liés à des lieux extraordinaires et visuellement marquants. Il faut dire aussi que la plupart de ses albums se contentaient d'une seule localisation, qui lui suffisait pourtant à exploiter tout le potentiel de ses récits.

Deuxièmement, Quenehen cherche à injecter bien trop de sujets divers dans son scénario. Entre l'écologie, les fascistes japonais, les cartels sud-américains, le journalisme d'investigation, le théâtre nô... Et surtout le 11 septembre 2001 et Colin Powell, sortis de nulle part et ne servant strictement à rien... Le pire, c'est que Quenehen survole complètement ces sujets et qu'ils ne sont utilisés que comme des décors ou des faire-valoir, à aucun moment il les approfondit et en fait vraiment quelque chose d'intéressant...

Bref, le scénario se contente de cocher les cases du cahier des charges d'un Corto du XXIe siècle, sans aucune inspiration. Seule une certaine ironie rappelle le ton si particulier d'Hugo Pratt. Mais les phrases pseudo-poétiques et qui se veulent définitives tombent quasiment toujours à plat... N'est pas Pratt qui veut...

Au total, si Casterman prend (un peu) de risques, le résultat est bien loin de l'ambition de l'éditeur de nous livrer des albums post-Hugo Pratt qui aient un intérêt autre que purement commercial et financier. Certes, les nouveaux albums valorisent le catalogue historique en relançant les ventes. J'incite donc les lecteurs qui ne connaissent pas encore Corto Maltese à lire la série d'origine, il se prendront une belle claque. Pour le reste, ne gaspillez pas votre argent. Cet album qui coûte cher pour ce qu'il est et qui prend de la place ne vous sera d'aucune utilité...

[1/4]

vendredi 27 décembre 2019

« Le Jour de Tarowean » de Juan Díaz Canales et Rubén Pellejero (2019)

    C'est maintenant une habitude. Depuis plus de 20 ans, chaque fin d'année voit fleurir en librairie de nouveaux albums reprenant des séries phares et historiques de BD, à destination d'un lectorat fidèle, presque captif, et dépensant manifestement sans compter. La première série à avoir franchi le pas de façon ostensible est Blake et Mortimer, avec deux albums au grand succès (et d'une certaine qualité il est vrai) : « L'Affaire Francis Blake » en 1996 et « La Machination Voronov » (un net cran en-dessous) en 2000.

Alix a continué alors que son créateur Jacques Martin perdait la vue, remplacé dans un premier temps au dessin, puis également au scénario à sa mort en 2010. 10 « Alix » et 8 « Alix Senator » (hideux spin off de la série historique) ont depuis vu le jour. 18 albums en 9 ans ! Les affaires n'attendent pas, le temps c'est de l'argent... Le comble étant bien sûr son nom, Jacques Martin, écrit en gros sur ces albums posthumes, alors qu'ils n'ont plus rien avoir avec lui, des repreneurs comme ceux de Blake et Mortimer ayant la décence (c'est bien la seule que je leur concède) d'indiquer « d'après les personnages d'Edgar P. Jacobs ».

Bien d'autres BD ont suivi cette trajectoire, beaucoup de façon catastrophique, comme les séries écrites par Jean Van Hamme « XIII » ou « Thorgal », reprises et massacrées en règle. Après tout, comme tout le monde le rappelle quand on évoque ce sujet, c'était déjà le cas de Spirou en son temps... Même si cette série est peut-être bien l'exception qualitative (du temps de Franquin) qui confirme la règle. Car deux autres séries phares ont marqué cette tendance : la célébrissime série des aventures d'« Astérix », reprise avec plus ou moins de réussite par un duo qui ne démérite pas, sans faire non plus des étincelles... Et la cultissime série « Corto Maltese », réputée non « reprenable », sauf peut-être par un Lele Vianello... mais ce n'est pas le choix qui a été fait par les ayants-droits de Pratt et Casteman (mille fois hélas).

Or les 3 albums réalisés par le duo Juan Díaz Canales et Rubén Pellejero sont venus toujours plus renforcer cette affirmation : Hugo Pratt n'est plus, et avec lui Corto Maltese est bel et bien mort. Car si « Le Jour de Tarowean » joue sans vergogne la filiation avec Pratt et son inaugurale et mythique « Ballade de la Mer Salée », si l'on omet le nom de la série et son personnage éponyme, rien n'est plus éloigné d'un album de Corto Maltese que celui-ci.

D'autant que s'il y a bien une chose que j’abhorre dans l'art actuel, c'est cette mode du préquel, qui vient tout expliquer. Le cinéma et la BD en sont gangrénés, surtout les séries et autres sagas... devenues de simples marques à exploiter purement et simplement (rappelons-nous l'ancien site internet officiel de la série Blake et Mortimer administré par Dargaud, où le merchandasing était regroupé sur une page avec pour titre « Autour de la marque »).

Le préquel est l'antithèse de l'authentique créativité et du sens artistique. L'impérieuse nécessité de tout savoir, de tout rationaliser, de tout expliquer, se fait aux dépens du mystère et de la poésie, deux choses dont est complètement dépourvu ce dernier album de Corto Maltese... Et bien souvent aux dépens de la cohérence et surtout de l'esprit d'origine de la série en question. Toute ressemblance avec « Le Bâton de Plutarque » de la série « Blake et Mortimer »... est tout à fait avérée ! Quand je vous dis qu'il s'agit d'une tendance de fond...

Le Moine, personnage central et fascinant dans « La Ballade de la Mer Salée » est ici caricatural, et son avènement est ridicule, complètement expédié et des plus simplistes. Les péripéties s'enchainent à une vitesse folle mais Juan Díaz Canales ne construit rien, pas d'histoire et encore moins de mythe. Tout sonne faux, sans parler des dialogues niais et bêtement actualisés : végétarisme, écologie... rien ne nous est épargné.

Certes, la page Wikipedia de l'album (rédigée par Casterman ?) mentionne tout un tas de références littéraires et savantes... Mais c'est de la poudre aux yeux ! Rien n'est digéré ou amalgamé, Díaz Canales nous vomit ses références comme si Pratt n'était qu'un simple érudit lénifiant... Aucun effort n'est fait pour raconter une histoire digne de ce nom, alors le scénariste multiplie les clins d’œil et autres effets de manches douteux pour tenter de combler les trous... Mais ça ne trompe personne, ou pas moi en tout cas.

Je n'attendais rien de cet album, mais il est encore pire que ce que j'imaginais. Casterman est en train de détruire Corto Maltese, comme tant d'autres entreprises culturelles le font avec leurs séries phares historiques. Le parallèle avec la destruction minutieuse de Star Wars par Disney est plus que criant. Quant à Casterman, tout comme Media Participations, ce n'est plus une maison d'édition, juste un fonds financier qui gère des actifs de façon industrielle et mercantile. Quelle tristesse...

Seul un échec financier peut faire prendre conscience aux industries culturelles qu'elles se fourvoient avec leur politique de financiarisation et d'exploitation à outrance de licences. Alors il n'y a qu'une solution : lecteurs, rebellez-vous et n'achetez pas ces albums honteux, car on vous prend pour de simples tiroirs caisses... et surtout pour des c... !

[1/4]

samedi 19 janvier 2019

« Le Retour du héros » de Laurent Tirard (2018)

    « Le Retour du héros » part d'une, voire de plusieurs bonnes idées. Tout d'abord, dépeindre la lâcheté, personnifiée par un anti-héros, au début du XIXème siècle, pendant les guerres napoléoniennes. Le sujet est original : l'époque est d'habitude le théâtre de grandes fresques romanesques et romantiques, très premier degré (ce qui n'est pas forcément un mal), avec des héros flamboyants, des intrigues tortueuses, des scènes de batailles épiques, un amour passionné ou impossible, etc. C'est du reste la deuxième bonne idée de ce film : proposer une parodie plus ou moins déguisée (volontaire ou non) des romans de Jane Austen. D'ailleurs, l'héroïne s'appelle ici Elisabeth, tout comme le personnage principal d'« Orgueil et Préjugés ». Coïncidence ? Peut-être pas.

Dans tous les cas, Laurent Tirard raille dans ce long métrage l'héroïsme, les grands sentiments, qui s'ils sont convoqués par certains personnages, ne servent qu'à mieux dissimuler veulerie et bassesse. Le « couple » de personnages principaux est à ce titre assez bien trouvé, pour une fois Mélanie Laurent reste relativement sobre et rend plutôt crédible son personnage de jeune femme intelligente et insolente. Jean Dujardin, égal à lui-même, incarne à merveille ce héros de pacotille, pathétique et ridicule, qui finit même par devenir inquiétant.

Le problème, c'est qu'on retrouve en fait dans ce film... OSS 117. Oui, Dujardin fait du OSS 117 à 200%, il reprend son personnage à la fois drôle et lourdingue d'Hubert Bonisseur de la Bath, à l'époque de Napoléon donc. Ce qui veut dire un jeu tout sauf naturel et sincère, fait de sourcils levés, de sourires ravageurs et de rires gras. Ce qui fait encore sourire à certains moments, mais lasse quelque peu.

L'autre problème, c'est que le film peine à se trouver, on ne sait jamais s'il s'agit d'une vraie comédie, d'une comédie virant au drame psychologique, d'une parodie... Loin d'être le reflet d'une supposée complexité, à l'image du scénario qui réserve certains errements et autres temps morts, cette indécision manifeste me fait dire que Laurent Tirard ne semble pas toujours savoir où il va.

Tout comme une bonne partie des seconds rôles d'ailleurs. Noémie Merlant et Christophe Montenez en font des tonnes, la première en névrosée (même si elle se révèle assez drôle à la fin) et le second en falot timide maladif. En fait, rares sont les seconds rôles à réellement exister et à être crédibles. En revanche, Christian Bujeau et Évelyne Buyle sont parfaits en parents intéressés, tout comme Féodor Atkine en général éreinté par la guerre.

Et pour finir, tant de veulerie finit par écœurer un peu, une fois le film fini, laissant un goût amer, on ne peut que se remémorer les meilleurs films de Philippe de Broca et de Jean-Paul Rappeneau en se disant qu'un peu de finesse et de panache n'auraient pas été de trop...

[1/4]

dimanche 18 février 2018

« Equatoria » de Juan Díaz Canales et Ruben Pellejero (2017)

    Un trésor à trouver, des villes exotiques et mystérieuses, des femmes fières à la répartie implacable, l'Afrique, dans toute sa beauté et son âpreté, et notre marin au grand cœur et au flegme inimitable... Tout semble être réuni pour que Corto revive l'espace d'un album de BD une aventure extraordinaire dont Hugo Pratt avait le secret, pour notre plus grand bonheur... Mais le cœur n'y est plus. Je viens seulement de comprendre. Pratt était un érudit, doublé d'un aventurier, doublé d'un humaniste polyglotte, doublé d'un globe trotteur, et je n'ai sûrement pas fait le tour de ses nombreux talents. En fait Pratt a vécu une dizaine de vies en une. Pratt EST Corto Maltese. Ou plutôt était. Corto est mort avec lui. Plus personne ne pourra faire revivre ses contradictions, entre anarchie et sens du devoir, entre subtilité, poésie, onirisme et trivialité, cette irrévérence dont Corto est l'incarnation même. D'ailleurs je viens de découvrir sur Wikipédia que l'arbre généalogique de Pratt suffirai à remplir des dizaines d'albums de bande dessinée.

C'est ainsi, certains héros de fiction ne peuvent survivre à leur auteur, quand d'autres, sans doute plus schématiques, le peuvent. Non seulement car Corto est un personnage complexe, mais aussi car le contexte dans lequel il évolue et les personnages qu'il rencontre sont tout aussi complexes, du moins dans la série d'origine. Il faut vraiment avoir vécu pareilles situations pour les coucher avec vraisemblance sur le papier. Ce fut le cas de Pratt, qui a vraiment vécu la vie de Corto Maltese. Ce n'est manifestement pas le cas de Juan Díaz Canales, habile moine copiste quand il s'agit de recréer un film noir en bande dessinée, beaucoup moins à l'aise dès qu'il s'agit d'évoluer dans les hautes cimes du neuvième art, à la suite du maestro italien. Je concède pourtant avoir souri à la lecture de certains bons mots de Corto dans « Equatoria ». Pour le reste, que c'est fade et scolaire ! Rien de vraiment surprenant, comme un cahier des charges dont on coche les cases une à une... D'autres que moi l'ont mieux dit, comme Maz ici ou comme Step ici. Et hormis Corto, le dessin est d'une paresse et d'une laideur ! D'autant que la version colorisée est ici tout aussi dispensable que pour la série d'origine, Corto se savoure d'autant mieux en noir et blanc.

Je ne peux pas conclure sur ce dernier opus sans évoquer le travail de fossoyeur de Casterman, qui repackage la série Corto Maltese de façon tout à fait grotesque. Maz l'a très bien noté, donc je ne vais pas faire de la redite, mais tout est fait pour que le fan naïf vide son portefeuille : albums numérotés, doubles versions couleur (complètement inutile au risque de me répéter) et noir et blanc. Et le coup de grâce : certainement un prochain méfait de Juan Díaz Canales et Ruben Pellejero l'année prochaine. L'art au XXIème siècle est dans un bien triste état : au cinéma comme en bande dessinée, la finance règne en maître, et les suites pullulent comme de la mauvaise herbe. Prime à la sécurité et non à l'audace. Comment tant de grandes bandes dessinées ont-elles pu naître par le passé ? Il semble que l'on en ait perdu le secret, hélas, à trop regarder dans le rétroviseur et à préférer la rentabilité à tout prix à la création digne de ce nom...

[1/4]

lundi 27 mars 2017

« Rome » de John Milius, William J. MacDonald et Bruno Heller (2005)

    Il n’aura échappé à personne, sauf à avoir passé les dernières années sur une île déserte, que les séries télévisées font l’objet d’un véritable plébiscite depuis disons les années 2000. Entre ambitions clairement affichées et nouvelles pratiques de consommation (le fameux « binge watching »), on ne compte plus les entreprises qui investissent des millions là-dedans (pèle mêle Netflix, Amazon, Canal +, Orange...), les écrits d’universitaires décortiquant l’apport sociologique de telle ou telle série et les téléspectateurs passant des nuits devant leur petit écran. Tout le monde autour de moi ne parle pratiquement que de cela, au point de devenir bien souvent le sujet de conversation numéro 1. J’avoue pour ma part être resté plus ou moins hermétique à cette vague d’enthousiasme. Je regarde de temps en temps des séries passant sur les chaines publiques de la TNT, rien de plus. Je suis bien plus amateur de films, et j’ai toujours pensé que d’un point de vue artistique, le format relativement court d’un long métrage était un bien meilleur gage de qualité qu’une série. Songeons au hasard à des films comme « La Vie est belle » ou « Princesse Mononoké ». Existe-t-il un équivalent télévisuel ? Pas à ma connaissance, cela dit je veux bien être détrompé.

Toutefois, je me suis dit qu’il fallait bien que j’essaie au moins une série de référence, pour me faire un avis. J’ai longtemps cherché – et hésité – entre « True Détective » ou « The Wire », entre autres. Puis un jour les soldes à la Fnac ont fait que mon choix s’est porté sur « Rome ». Série elle aussi ambitieuse, historique, et faisant l’unanimité chez la plupart des critiques. Le choix imparable me disais-je. Au bout d’une dizaine de minutes de visionnage du premier épisode j’ai vite déchanté. La réalisation absolument insipide et les costumes du type « vrai-faux-usagé » en toc m’ont fait tiquer. Esthétiquement, on est très loin de la réussite… Maintenant y a-t-il quelque chose à se mettre sous la dent du côté du scénario ou de l’interprétation ? Un tiers de sexe, un tiers de violence sanguinolente et un tiers de guéguerres complotistes en mode « untel m’a regardé de travers, attend que je le fasse saigner au détour d’un banquet décadent »... Risible... Quant aux acteurs je n’en retiens que trois : César surtout, puis Vorenus et Pullo. Entendons-nous bien : la série ne vaut que pour la prestation de Ciarán Hinds en César. Pour le reste on finit par s’attacher (un peu) à Vorenus (Kevin McKidd) bien qu’il soit au début absolument détestable en rustre patriarcal et à Titus Pullo (Ray Stevenson), le comique troupier de la bande. Tout le reste du casting ne sont que conspirationnistes de soaps operas… et de bas étage. Si bien qu’au bout d’un épisode je me suis pris la tête entre les mains en me demendant pourquoi avoir acheté cette série de malheur. Pour avoir un avis vraiment construit dessus, je me suis forcé (et ça a été douloureux) à regarder la saison 1 jusqu’au bout. Et chaque épisode était du même acabit : du sexe, du sexe, du sexe, du sang, de la violence, des complots, de la haine... A se demander comment peut-on être fasciné par cet étalage de ce qu’il y a de plus bas chez l’être humain. Le pire c’est que je ne crois pas me tromper en avançant que « Rome » est la matrice de « Game of Thrones », soit l’une des séries les plus regardées du monde et du moment. Donc des gens du monde entier se tapent ce genre d’inepties nuits et jours... Ça m’inquiète un peu sur l’état de notre monde... En même temps ça peut expliquer pas mal de choses... Enfin bref, je ne me ferai sûrement pas des amis avec cette critique, mais je suis ouvert au débat, tant que ça reste courtois bien sûr...

[1/4]

lundi 28 décembre 2015

« Sous le soleil de minuit » de Juan Díaz Canales et Rubén Pellejero (2015)

    Non, je dis non. Pas comme ça. Faire renaître Corto Maltese n'était pas une mauvaise idée, mais c'est peu dire que l'attente était grande, car il ne s'agit pas de n'importe quelle série : ses sommets sont de grands moments de poésie et d'aventure, dignes de Conrad ou Stevenson, servis par un coup de crayon exceptionnel car très original. Et là, que nous offre-t-on ? Une bouillasse infâme, un mélange d'humour scolaire, de semblant d'aventure sans aucun souffle, le tout dessiné avec les pieds, même s'agissant de Corto... Il y a bien deux genres d'albums de reprise, ceux qui osent et qui font quasiment jeu égal avec les albums d'origine, pour notre bonheur à tous, et les pompes à fric, ceux qui sucent ce qu'il y avait de meilleur dans la série pour accoucher d'une souris. Clairement, « Sous le soleil de minuit » fait partie de la funeste seconde catégorie... Par où commencer ? Eh bien par les premières pages. Qu'est-ce que c'est que ces ellipses à répétition (et malvenues) ? Corto et Raspoutine discutent, ils sont en Arctique. Puis ils continuent à discuter, mais au Mexique où dans un autre endroit aussi chaud. Soit. Comment sont-ils arrivés là ? On ne sait pas. Puis l'histoire commence, et là une fois de plus rien à voir, autres lieux, autres personnages. A quoi servait l'introduction avec Raspoutine, que nous ne reverrons plus jamais durant l'album ? A rien, si ce n'est à servir de teaser menteur dans les pages du Figaro... Et tout l'album est de cet acabit. Les ellipses brutales s'enchaînent, le scénario est haché... à la hache, et surtout, l'histoire est très décevante. Où est l'aventure ? Où sont les personnages complexes et hauts en couleur ? Ici il n'y a que des frustrés qui deviennent méchants... à grands renforts d'explications sur comment ils sont devenus méchants, avec flash-back sur leur enfance... Sans que ça serve le moins du monde le propos. Les morts s’empilent, mais aucun souffle, rien, tout reste cruellement artificiel, cousu de fil blanc. Et que dire du dessin ? Le visage de Corto est réussi deux fois sur trois (et encore), certes, mais son corps ? Souvent de travers, esquissant un mouvement maladroit... Et les personnages secondaires, c'est-à-dire tous les autres personnages sauf Corto ? Ratés. Rien à voir avec le trait d'Hugo Pratt. Je veux bien avoir affaire à quelque chose de neuf comme avec Ted Benoît ou André Juillard pour Blake et Mortimer, mais là, c'est franchement moche... Et que dire des décors, à peu de choses près du foutage de gueule : on esquisse le bord des arbres et on griffonne un peu, et voilà, on ne se foule pas trop ! Vraiment, quelle déception que cet album annoncé à grands renforts de publicité tonitruante... Je ne retrouve pas du tout l'esprit de la série, juste des clichés et un semblant d'histoire bâclée, sans âme... Hélas, Corto Maltese est bien mort...

[1/4]

samedi 27 décembre 2014

« Un coup de dés jamais n'abolira le hasard » de Stéphane Mallarmé (1914)

    « Un coup de dés... » fait partie de ces œuvres fondatrices de la modernité artistique, qui ont conduit à la situation de l'art d'aujourd'hui, c'est-à-dire un art en crise, vidé de son sens et de sa substance. Ce poème posthume de Mallarmé confine aux limites de la fumisterie, si l'on excepte la sincérité de l'auteur, qui croyait en la poésie comme on croit en Dieu. Adepte de l'art pour l'art (autrement dit, l'art coupé de la vie et du sens), Mallarmé est de ces talentueux artistes qui ont précipité leur art dans le néant et la médiocrité, à l'image de Picasso, brillant technicien et commerçant, mais piètre artiste et visionnaire, fossoyeur de la peinture occidentale. Mallarmé a écrit des choses magnifiques, et est un fin versificateur. Seulement il a cru aveuglément que les mots pouvaient se suffire à leur sens, que leur gangue esthétique, leur seul aspect et leur seule sonorité pouvaient combler l'absence de sens, et mener à une perfection qu'il ne percevait pas complètement ampoulée (et stérile). Voulant créer une sorte de religion de la poésie, Mallarmé nous livre là un poème qui ne manque pas d'allure (notamment par la finesse des mots choisis), mais dont le vers libre se brise totalement sur les écueils de la vacuité. L'art pour l'art, l'esprit pour l'esprit, autrement dit le narcissisme artistique dans son plus bel éclat, tout cela ne mène à rien. Mais au début du XXème siècle, personne ne pouvait encore le deviner. Aujourd'hui, nous sommes les témoins impuissants des errements de nos aïeux (sinon en osant créer à notre tour du sens). Mallarmé, malgré sa longue quête artistique, ne semble pas avoir compris que l'essence du mot est d'être vecteur de sens. Le sens est véhiculé par la structure même du mot et par sa sonorité, et je me risquerai à avancer que l'art n'est rien d'autre que l'expression du sens, un langage qui utilise un support (ici les couleurs, là les mots, ou encore les sons) pour exprimer quelque chose, ce quelque chose étant l'opposé du rien. Alors il est vrai que ce poème est une longue divagation sur la notion de hasard, il a donc un certain sens, coulé dans son esthétique quelque peu prétentieuse et absconse. Mais si l'on juge à présent de l'intérêt de ce qui est véhiculé par ce poème, on en vient à être troublé. Quoi, tant de bruit pour si peu ? A l'image de l'art d'aujourd'hui, le choc stylistique masque la vacuité du fond et de la démarche de cette œuvre de bien faible envergure.

[1/4]

jeudi 25 décembre 2014

« Le Bâton de Plutarque » d'Yves Sente et André Juillard (2014)

    Un album à destination hautement... commerciale. Je ne vois pas d'autre explication possible à sa raison d'être. « Le Bâton de Plutarque » fait partie de ces albums de bande dessinée qui sucent jusqu'à la moelle d'autres albums d'envergure. Qui n'hésitent pas à reprendre des personnages qui n'ont vocation qu'à apparaître une seule fois et disparaître dans l'ombre pour faire place à de nouvelles aventures (et ouvrir le champ à l'imagination féconde de tout artiste digne de ce nom, pour le plus grand bonheur des spectateurs/lecteurs). Ici, rien de nouveau. L'histoire prend place juste avant « Le Secret de l'Espadon », peut-être la plus grande réussite de feu Edgar P. Jacobs (qui doit se retourner dans sa tombe), et assurément l'une des plus grandes aventures du neuvième art. Et paresseusement, l'intrigue sommaire (digne d'un collégien de classe de troisième), déroule maladroitement ses entrelacs pour ouvrir sur le grand récit bien connu de tous les aficionados de « B & M ». Le problème est que tout est bancal. On repère la taupe de l'histoire à des kilomètres à la ronde. Les péripéties semblent cousues de fil blanc, tout est mécanique et semble creux, factice, juste bon à servir de prétexte. Le scénario est soporifique, et seule l'arrivée d'un personnage clé de l'univers jacobsien vient pimenter le tout. Mais lui aussi fait de la figuration, il a bien plus d'allure et d'épaisseur dans la suite des aventures de Blake et Mortimer, surtout sous le crayon de Jacobs en personne. Je l'ai déjà évoqué, le problème des aventures de B & M postérieures au maître est qu'elles doivent remplir un cahier des charges bêtement établi. On ne rend pas hommage à l’œuvre d'un artiste en la copiant fidèlement (et c'est vrai pour tout art et toute époque), mais en créant quelque chose de tout à fait neuf tout en s'en inspirant avec parcimonie. Et de fait, les meilleurs albums post-Jacobs (à savoir « L'Affaire Francis Blake » et « La Machination Voronov ») sont excellents parce qu'ils osent tout. Tout reprendre à zéro, tout remettre en question, changer totalement de cadre et proposer autre chose. Le pire cauchemar de tout artiste ou créateur est (ou devrait être) de s'enfermer dans des tics et une expression auto-référentielle des plus nombrilistes, pauvre et stérile au possible. Dans une parodie sans âme qui ne fait rire personne. Malheureusement, il semble que les continuateurs de B & M s'enfoncent de plus en plus dans cette direction...

[1/4]

samedi 29 novembre 2014

« Poulet aux prunes » de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud (2011)

    Je vais être un peu dur avec ce film. J'aime beaucoup Marjane Satrapi et ses bandes dessinées. Son humour est à l'image de son coup de crayon : simple, enfantin, malicieux, drôle, sensible. « Persépolis » est une très grande bande dessinée et une réussite cinématographique, un véritable et excellent dessin animé. Et « Poulet aux prunes » a les qualités de « l'univers Satrapi » : c'est une très belle histoire d'amour contrarié dans les meilleurs moments du long métrage, doublée d'une peinture sociale de l'Iran de la deuxième moitié du XXème siècle fort convaincante. Mais c'est bien là le problème : ce film est inégal, malgré d'indéniables sommets. Il faut bien le dire, on s'ennuie poliment la majeure partie du temps, et l'on a du mal à trouver Mathieu Amalric sympathique... Tout droit sorti des films d'auteurs franchouillards chiants à mourir (pardonnez-moi l'expression), il plombe le long métrage par son humeur dépressive et suicidaire. Je ne me souviens plus trop de la bande dessinée originale, mais je l'avais plutôt bien appréciée dans mon souvenir. Prendre Amalric pour jouer le rôle principal était osé, mais un acteur inconnu aurait été sans doute préférable tant il en fait trop. Le film ne tourne plus qu'autour de lui, et les personnages secondaires peinent à ressortir. Le résultat est que l'on a de la peine à ressentir quoique ce soit pour les personnages et ce qui se trame à l'écran. « Poulet aux prunes » devient alors un long métrage tout à fait artificiel, aussi factice que son éclairage à la Jean-Pierre Jeunet. Bref, et ça me fait mal de le dire : sans âme. C'est vraiment dommage. Car quelques passages valent le détour : l'irruption inattendue d'Azraël, l'ange de la mort, incarné par un Edouard Baer méconnaissable, et surtout les moments avec Golshifteh Farahani, qui crève l'écran. Quelques éclats de lumière d'un diamant brut, malheureusement bien terne... 

[1/4]

mercredi 15 janvier 2014

« Tabou » (Tabu) de Miguel Gomes (2012)

    A première vue, « Tabou » est un beau film. Mais à y regarder de plus près, qu'est-ce qui est vraiment beau ? La photographie, indéniablement. Un film photographié dans un noir et blanc aussi impeccable, ce n'est pas si courant, tant mieux donc. Mais mis à part la surface visuelle, la couleur et le grain de l'image, « Tabou » est-il réellement un « beau » film ? En fait, non. L'histoire est assez quelconque, si ce n'est qu'elle s'inspire très fortement du « Tabou » de Murnau (sans en retrouver la splendeur, loin, mais vraiment très loin de là), long métrage que l'on peut qualifier sans hésiter de chef-d’œuvre, contrairement au film de Gomes pourtant tant acclamé. Les références ostensibles de cet acabit sont tout à fait typique de ces artistes plus doués pour citer autrui que pour créer quelque chose de qualité, sans parler d'une qualité égale aux artistes assez grossièrement convoqués. Car Murnau n'était pas qu'un simple « imagier », c'était aussi et avant tout un véritable artiste, avec une sensibilité propre et des choses à dire. Alors que là, rien, nada, ou presque. Gomes reste à la surface des choses. D'ailleurs, fait éloquent, la musique tient dans ce « Tabou » un rôle tout à fait… cosmétique. Comme les acteurs, certes très beaux, une fois encore… mais tout à fait sans épaisseur. Ils restent des acteurs, et ne s'incarnent jamais vraiment en personnages. Sauf peut-être celle qui joue Pilar, encore qu'elle reste cantonnée à un rôle cliché. Car tout est cliché dans ce film, quel dommage! D'autant que le ton du long métrage n'est pas plus réjouissant, il est amer, presque cynique. En fait, il n'y a pas vraiment de paradis originel ici, juste un semblant de bonheur factice, voué à disparaître avec le destin des protagonistes, brisés par l'échec de leurs vies dénuées de sens. Les personnages sont désabusés, le regard vide, à l'image de leur existence toute en apparence, et seulement en apparence. Hélas, une fois passé le choc de l'image brillante (comme du papier glacé), on se rend compte rapidement que l'intrigue repose sur des ressorts scénaristiques bien maigres… « Tabou » n'est qu'un exercice de style, dont l'existence n'est légitimée que par quelques jolis plans, comme cette nuque tarkovskienne, cette marche dans les herbes hautes (qui ne mène nulle part, tiens tiens, étonnant non ?) ou cette brousse qui étouffe un ciel que l'on imagine d'un bleu azur… Un film pas déplaisant, mais désespérément vide.

[1/4]

dimanche 29 décembre 2013

« L'Onde Septimus » de Jean Dufaux, Antoine Aubin et Etienne Schréder (2013)

    « L'Onde Septimus » est un projet mort-né, tout comme « L'Etrange rendez-vous ». Je serai donc tout aussi catégorique. L'équipe à l’œuvre ici, à l'image de celle de l'opus précédemment cité, ont décidé de sucer jusqu'à la moelle des albums de Jacobs se suffisant à eux-mêmes, pour des raisons de facilité bassement commerciales. Bon sang, pourquoi vouloir donner une suite à « La Marque Jaune », qui compte parmi les albums de la série autonomes, cohérents en diable et d'une grande qualité ? Aura-t-on droit au « Secret de l'Atlantide 2 » ? A « S.O.S. Météores 2 » ? Au « Piège diabolique 2 » ? Surtout que le résultat est très décevant. L'intrigue est brouillonne, pleine d'une familiarité déplacée et d'un langage ampoulé loin de l'efficacité narrative jacobsienne, certes très précise donc longue et fastidieuse, mais jamais gratuite. De surcroît, le rythme est bancal : l'intrigue met du temps à démarrer et aboutit à un final médiocre. Dommage, car quelques pistes étaient bienvenues : l'errance hallucinée d'Olrik notamment, que l'on découvre sous un nouveau jour. Et puis n'oublions pas LA fausse bonne idée de l'opus : cette myriade de Septimus sous leur parapluie... absolument ridicule, pas du tout angoissante, et d'une lourdeur pachydermique. Les auteurs ont voulu faire revivre Septimus. Soit. Mais là il lui enlèvent tout mystère, le galvaudent, et il ne se résume plus qu'à ce qu'il est ici (et à ce qu'est cet album) : un cliché défraichi. Décidément, il paraît bien difficile pour les équipes qui ont repris la série de retrouver le souffle et l'universalité qui parcouraient l’œuvre de Jacobs, loin de la science-fiction de pacotille qui veut se substituer à la flamboyance des Jacobs les plus ambitieux. Le dessin quant à lui est excellent en ce qui concerne les personnages : à l'inverse du trait de Juillard, ici nous avons le droit à une copie conforme du style Jacobs. Et c'est bienvenu. Non pas que que le style Juillard me déplaise : tout comme Ted Benoît, Juillard a su redonner vie aux héros de Jacobs avec un brin d'originalité qui ne nuit pas à la qualité visuelle de la série. Aubin, pour sa part, s'en tire plutôt bien... Car dès que l'on regarde trop l'arrière plan, on sent comme une impression de vide : c'est assez bâclé. Mais le pire se ressent vers la fin de l'album : là tout s'étiole, personnages comme décors. Pressés par un Noël 2013 qui s'approchait à grands pas, les auteurs ont en effet dû mettre les bouchées doubles pour sortir l'album à temps... Aux dépens de la qualité de l'ouvrage. Grande déception donc, que cette « Onde Septimus ». L'avenir de la série n'appartient-il pas à ces tentatives de créer de nouvelles intrigues et de nouveaux personnages sans s’arrimer au passé (tout en respectant l'esprit – et non la lettre – de la bande dessinée originelle), comme dans le cas de « L'Affaire Francis Blake », « La Machination Voronov » ou « Le Serment des Cinq Lords » ? Bref, à véritablement (oser) créer, plutôt que reprendre jusqu'à épuisement des œuvres, elles, accomplies ?

[1/4]

lundi 16 décembre 2013

« Un jour je m’en irai sans avoir tout dit » de Jean d'Ormesson (2013)

    Je découvre avec cet ouvrage Jean d’Ormesson, l’écrivain et non la personnalité médiatique, j’entends. Et je suis déçu. M. d’Ormesson est intelligent, il a de l’esprit – enfin il est drôle, il est plutôt joyeux, il est subtil, il est espiègle, il n’a pas peur de ne pas se revendiquer moderne, exècre le consumérisme ambiant... Bonne nouvelle ! Oui, mais il n’est pas Chateaubriand ni même Flaubert. Mince alors ! Car c’est là que le bât blesse : M. d’Ormesson, ne pourriez-vous pas faire un peu d’effort pour dire des choses un peu plus consistantes s’il vous plaît ? Eh oui, hélas, triste constat : « Jean d’O » n’a pas (ou plus) grand-chose à dire. Par contre ce « pas grand-chose » est fort intéressant, presque captivant. M. d’Ormesson  est un  privilégié. Mais il a l’extrême élégance de l’assumer, contrairement à beaucoup d’intellectuels et d’artistes de France ou d’ailleurs. Et en tant que privilégié, M. d’O a un point de vue (relativement) privilégié sur l’histoire de son temps. Il a vécu la fin des grands aristocrates terriens, rongés par le relativisme des mœurs et le relâchement moral (et inversement). Il a vécu la guerre, a côtoyé des résistants et approché les plus grands. Il a vécu l’Amour, avec un grand A. Il a de l’imagination et a goûté à l’Aventure. Et ça, oui, tout ça, c’est fort intéressant. Sur ce point donc, merci Monsieur d’Ormesson de partager votre expérience. Vous le faites bien, simplement et avec goût. Bravo ! Mais pourquoi vous embarrasser de métaphysique de bazar ? Pourquoi vous prendre les pieds dans de la vulgarisation scientifique disgracieuse ? Pourquoi énumérer sans fin vos vacances au soleil ? Et finalement, pourquoi tortiller du croupion (passez-moi l’expression) pour plagier le manuel de sciences naturelles de votre petit-fils, et nous pondre un livre aussi faiblement digne d’intérêt dans l’ensemble ? Avez-vous tant besoin d’argent que cela ? De notoriété ? De postérité ? Ou tout simplement, manquez vous finalement de goût… Ceci dit, je ne vais pas vous accabler, car vos confessions sont touchantes. Et j’exagère un peu, car je comprends que votre démarche pseudo-scientiste s’explique par vos convictions personnelles, bien estimables. Toutefois, comme votre ouvrage reste assez scolaire, je vais le noter scolairement, en bon lecteur qui se respecte. 1 sur 4, car j’estime à environ un quart de votre livre la matière qui mérite le nom de littérature. Et car j’attends un peu plus d’un Académicien (oui, je sais, je dois être un des derniers à attendre quelque chose des Académiciens) que votre effort inégal. Ceci dit, vous êtes loin d’être le pire des Académiciens (dont finalement très peu d’entre vous sont passés et passerons à la postérité, mais vous le savez mieux que personne), surtout que vous avez l’avantage de paraître bien sympathique. Donc continuez à écrire ! Seulement par pitié, prenez un peu plus de temps pour vous relire et sélectionner le meilleur de votre art. Car vous n’êtes certes pas Claudel ou Wilde. Mais vous n’êtes jamais aussi intéressant que quand vous êtes Jean d’Ormesson.

[1/4]

mercredi 11 décembre 2013

« Au-delà » (Hereafter) de Clint Eastwood (2010)

    « Au-delà » signe l'incursion de Clint Eastwood aux frontières du réel. C'est un film profondément marqué par l'idée de mort, comme le sont ses trois principaux personnages. Dans une esthétique assez glauque et terne, un homme, une femme et un enfant se retrouvent aux prises avec la Grande Faucheuse... et l'au-delà de la vie. Plus que les rapports étranges qu'ont les héros avec la mort, c'est le regard sur cette dernière qui semble intéresser Eastwood. Comment vivons-nous, comment acceptons-nous la mort ? Qu'est-ce que cela signifie pour nous ? Un passage, ou une fin de tout, tragique et terrible ? Y a-t-il un au-delà ? Que deviennent dans notre cœur les personnes chères qui nous ont quittées ? Sans proposer de réponses, Eastwood illustre le drame de plusieurs familles et personnes confrontées à ce qui demeure souvent l'inattendu, l'impensé. Sur ce point, je ne peux que louer la sobriété du ton d'Eastwood : sans rien asséner, il nous fait part de tourments que nous avons tous à un moment ou un autre éprouvés. Mais que dire du style ? La mise en scène est tout sauf exceptionnelle, le scénario parfois racoleur (mais parfois intelligent, il faut bien le concéder) nous laisse sur notre fin... et la vision de l'au-delà, même si ce n'est pas le propos du film que d'en montrer la substance, n'est pas plus concluante. En résulte donc un long métrage bancal, tantôt très subtil, tantôt assez grossier... et finalement en demi-teinte. On aurait bien voulu que la recherche du personnage incarné par Cécile de France (qui joue très bien, de loin la mieux, au passage) soit approfondie... Mais non, Eastwood survole le sujet. Et le personnage de Matt Damon n'est pas très crédible... Bref, peut mieux faire.

[1/4]

dimanche 9 juin 2013

« Alamar » de Pedro González-Rubio (2009)

    « Alamar » est un film simple et sobre, malgré son esthétique un peu tendance (caméra portée, passages rétro style film de vacance...). C'est l'histoire d'un couple divorcé, d'un père qui emmène son fils avec lui en vacances dans une cabane sur pilotis perdue sur la mer, aux côtés de son grand père. Les protagonistes évoluent en fait sur le récif corallien de Chinchirro, dans les Caraïbes. Il faut louer la science du cadrage du réalisateur mexicain, qui nous réserve de magnifiques plans marins, d'animaux, ou même de ses héros, faisant la part belle à la contemplation. La bande-son est tout aussi discrète et soignée. En revanche, l'auteur-réalisateur pèche plus du côté du scénario, qui brille par sa quasi absence. De l'aveu même de Pedro González-Rubio, « Alamar » est un plaidoyer pour la sauvegarde du massif corallien, et tient donc davantage du documentaire que de la véritable œuvre d'art. On peine en effet à s'identifier à ces personnages (sauf au petit garçon, très bien interprété, tout à fait candide et curieux au contact de la nature), notamment à ce grand-père très bavard qui ne dit finalement pas grand chose d'intéressant. A la mesure de tout le film. Le cinéaste n'approfondit pas la relation filiale qui prend un nouveau tour entre le père et le fils qui se retrouvent loin de la mère, brièvement évoquée au début du long métrage. On peut louer la retenue de González-Rubio, mais comment ne pas y voir un certain manque d'âme ? Un film en demi-teinte donc, relativement joli, mais manquant cruellement de saveur.

[1/4]

jeudi 18 octobre 2012

« Like someone in love » d'Abbas Kiarostami (2012)

    Quelque peu décevant. A l'aide d'une mise en scène sobre et d'un scénario simple mais ingénieux, Abbas Kiarostami nous brosse le tableau d'un Japon (mais ce pourrait être ailleurs) meurtri par la modernité. L'individualisme règne, tout comme la mélancolie ou la solitude, dans un décor bétonné et illuminé de néons, tandis que l'amour (digne de ce nom) est le grand absent. Comme à son habitude, le cinéaste iranien nous gratifie de pérégrinations en voiture. Soit. Chose bienvenue, quelques pensées profondes émaillent le long métrage, la plupart venant de la bouche du sympathique Watanabe Takashi, vieux professeur de sociologie. Ce dernier fera la rencontre de la jeune Akiko, prostituée de son état, et harcelée par son violent petit ami. Cette rencontre illuminera la vie de nos deux protagonistes, même s'ils n'auront pas le temps de faire plus ample connaissance et de vraiment s'apprécier. Et c'est là que la bât blesse. Kiarostami n'arrive pas à nous extraire de son spleen pour nous proposer une fable de l'acabit de ses meilleurs films. Il en avait pourtant la matière et les moyens, il avait de surcroît de bons interprètes. Il n'approfondit pas non plus son étude, trop superficielle, de la modernité. La fin brutale annihile tout espoir d'avoir affaire à une œuvre dense, et surtout de qualité. Le talent de cinéaste et de conteur d'Abbas Kiarostami n'est pas à mettre en doute, le long métrage est porté par son regard pudique sur une relation qui n'aura pas lieu, qu'elle soit corporelle, amoureuse, ou tout simplement humaine. Mais son achèvement soudain vient signifier l'impasse dans laquelle s'est engouffré Kiarostami. A trop vouloir jouer le réalisme, l'art de l'iranien a perdu de son sel et de sa saveur. « Like someone in love » est un long métrage inabouti, et c'est bien dommage.

[1/4]

jeudi 5 juillet 2012

« Régime sans pain » de Raoul Ruiz (1986)


Les bras m’en tombent… N’importe quoi! «Régime sans pain» est un film que l’on pourrait qualifier positivement de barré, de déjanté et d’absurde et, négativement, de débile, sans queue ni tête, et affreusement kitsch… Pourtant, le film garde pour lui un atout précieux qui fait que l’on pardonne aisément Ruiz pour ce ratage : «Régime sans pain» est drôle dans son absurdité et ne génère jamais l’ennui. On finit rapidement par comprendre qu’il va nous falloir considérer le film avec une grande légèreté, et celui-ci se dote alors d’un certain charme. Les costumes extravagants, les coupes de cheveux à la Desireless, la musique ringarde du duo Angèle et Maimone (groupe français de new wave des années 80), également acteurs principaux du film, et le look général du film décrochent inévitablement au spectateur qui a connu ces années quelques sourires sympathiques. Mais pour le reste… Que c’est débile! Jugez plutôt : dans la principauté rock du Vercors, le prince Jason III, qui ressemble à un mannequin de salon de coiffure, voit son audience télévisée décliner. C’est le signe de sa mort imminente dans un accident de voiture rituel. Refusant de se soumettre à ce sort, il fuit dans la banlieue des émigrés catholiques où il est retrouvé par une bibliothécaire paralytique, animée d’un amour intellectuel pour lui. Celle-ci le confie à un professeur psychothérapeute coiffé comme le Robert Smith des Cure, qui le dépersonnifie puis le repersonnifie pour en faire son propre successeur, Jason IV. Voilà pour le scénario, à qui l’on ne reprochera pas de manquer d’originalité!… Le tout est entrecoupé de séquences absurdes et de scènes qui s’apparentent à des vidéo-clips des chansons du duo de comédiens-chanteurs. On comprend pas toutes les allusions que le cinéaste glisse dans les répliques souvent impénétrables du film, que l’on pressent pourtant drôles. Mais l’humour de Ruiz nous échappe grandement… Et c’est bien plutôt ce sentiment d’assister à un vaste délire de cinéaste, qui s’amuse à pasticher son époque, qui engendre, dans l’ensemble, un certain effet comique. Rajouté à cela une esthétique particulière, qui accentue l’étrangeté du film (ciels peints en orange par exemple), et on se retrouve face à quelque chose de tout à fait singulier, qui a au moins le mérite de son originalité et de son décalage hautement assumé, même s’il semble difficile à qui que ce soit de suivre Ruiz sur des chemins qu’il emprunte résolument en solitaire. Au final, le film laisse en mémoire un souvenir plus sympathique que d’autres films du cinéaste, se voulant plus sérieux et moins légers, mais sans âme («Les âmes fortes» par exemple). Ruiz est décidément un cinéaste surprenant, que l’on continue à aimer, et qui reste attachant, même dans ses plus grands ratages. 

[1/4]      

mercredi 27 juin 2012

« Faust » d'Alexandre Sokourov (2011)

    Libre adaptation du Faust de Goethe, la version d'Alexandre Sokourov ne nous offre hélas pas grand chose sinon une esthétique glauque et sordide, et une vision assez repoussante de la vie. Vous l'aurez compris, ce n'est pas la joie de vivre qui caractérise le mieux notre ami russe. « Faust » est un film grotesque. Mais il n'atteint pas le beau, grotesque lui aussi, cependant, du « Faust » de Murnau, grand cinéaste allemand disparu trop tôt. Ici nous avons le droit à des filtres et de l'anamorphose, dans la droite continuité de ce qu'a réalisé jusqu'à présent Sokourov. Mais en plus de deux heures, le cinéaste russe ne parvient pas à hisser son film sur les cimes où on l'attend. Quelques dialogues ici et là viennent nous rappeler que Sokourov a eu un jour un tant soit peu de talent, mais rien de bien consistant à se mettre sous la dent. Vous aurez le droit à des effets spéciaux assez vomitifs en guise de substitut. Bref, difficile de trouver des qualités à cet essai expressionniste, à la manière de Caspar David Friedrich certes, excusez du peu, mais qui peine à renouveler l'art de son auteur, et surtout à égaler son chef-d'œuvre « Mère et fils », la faute à un propos par trop décevant et un manque de goût assez criant. Une déception.

[1/4]

lundi 18 juin 2012

« Obsession » de Brian De Palma (1976)


Une sorte de pâle remake avoué du «Vertigo» de Hitchcock (avec également des clins d’œil nombreux à «Rebecca» et «Marnie»), par un cinéaste spécialiste de cet exercice, et qui nous montre que déjà, en 1976, le cinéma américain tournait en rond, incapable de se réinventer ou de se questionner. Cette tendance s’est dramatiquement poursuivie jusqu’à aujourd’hui, où il suffit désormais de regarder les films à l’affiche de nos salles de cinéma pour se rendre compte que le cinéma américain ne produit plus que des remakes, remakes officiels ou officieux, signe de sa mort clinique. Donc après avoir vu le grand film d’Hitchcock en salles, De Palma, accompagné de son scénariste, écrit une trame très proche de celle de «Vertigo» : un homme perd sa femme de manière tragique et croit ensuite la retrouver quelques années plus tard, tombant dans un piège machiavélique. Formellement également, De Palma s’inspire très largement de l’univers d’Hitchcock, reproduisant directement certains effets visuels du maître (comme le travelling circulaire de «Vertigo» autour du couple), créant une ambiance feutrée par l’utilisation abusive des flous et de la lumière diffuse (en respect aux règles formelles très vilaines de l’onirisme hollywoodien) et en recrutant même le célèbre compositeur attitré de Hitchcock, Bernard Herrmann. De Palma reprend tous les ingrédients du film hitchcockien et réalise un film qui est comme un surlignage, une mise en avant des quelques petits défauts du film originel, ici totalement exacerbés. Si «Vertigo» n’est pas, à mes yeux, l’un des chefs d’œuvres de Hitchcock (ça reste un très grand film toutefois), c’était déjà parce qu’il s’agissait du film le plus hollywoodien du cinéaste, un film où chaque émotion était soulignée à grands coups de musique pompeuse, où Hitchcock se laissait aller, sans le recul ou même l’ironie qu’il prend ailleurs, à une certaine mièvrerie sentimentale, donnant lieu à des scènes de romance assez indigestes. Ici, chez De Palma, il ne reste plus que ça, il ne reste plus que les défauts. «Vertigo» souffrait légèrement d’une musique trop appuyée? De Palma inonde littéralement son film de la musique toujours aussi lourde de Herrmann (ah ces grands envolées de cordes lorsque les personnages jouent à bisou-bisou !...), si bien que l’on peut dire que celle-ci pollue totalement le film. Trop de romance dans «Vertigo»? Ce n’est rien face au sentimentalisme ringard de De Palma… On frôle très souvent le ridicule dans «Obsession», et on fait même plus que le frôler avec la reprise du travelling circulaire hitchcockien lors de la séquence finale dans l’aéroport. Si le scénario de «Vertigo» était l’un des points forts du film, en étant incroyablement ciselé et génialement tortueux, celui d’«Obsession» se révèle très poussif, très peu crédible, bourré d’incohérences et en plus, ce qui est dramatique pour un film qui mise lourd sur sa chute finale, totalement prévisible. Ce n’est pas le jeu lamentable des acteurs qui permet de rehausser le niveau, ni les effets de mise en scène pathétiques que le cinéaste tente de multiplier, pensant peut-être qu’il suffit d’oser pour réussir là où Hitchcock reste l’un des plus grands. «Obsession» est un petit film de rien du tout qui ne peut en aucune façon être comparé à son illustre prédécesseur (de 20 ans tout de même) et dont le titre ne traduit finalement que l’obsession d’un cinéaste pour son maître. Une obsession cinéphilique qui se laisse regarder cependant dans ce qu'elle éveille en nous de mémoire cinématographique.   

[1/4]

dimanche 10 juin 2012

« Judex » de Georges Franju (1963)


«Judex» est un film hommage de Georges Franju au sérial muet du même nom réalisé un demi siècle plus tôt par Louis Feuillade. Franju cherche à traduire un certain esprit du feuilleton muet, mais le cinéaste peine à donner de l’intérêt à sa démarche. Par exemple, pour nous rappeler qu’il réalise un hommage à un film muet, Franju glisse dans son film quelques cartons complètement inutiles et superflus… Le cinéaste n’a donc pas de plus riches idées de mise en scène? L’hommage de Franju n’apporte rien, ne sert à rien (à part peut-être au cinéaste à se faire plaisir), celui-ci se contentant de citer bêtement, en pastichant. Très vite, passée l’illusion de la scène du bal, on en vient à vouloir couper le film pour retourner à la source originale, déjà un peu faiblarde et qui était marquée par une légèreté de ton qui faisait perdre sa complexité au cinéaste de la série «Les Vampires»,... Malgré tout, la petite ritournelle de Maurice Jarre, le visage angélique d’Edith Scob qui nous rappelle que Franju est le réalisateur du très beau «Les yeux sans visage», et puis le jeu absolument ridicule des comédiens, qui nous décroche deux ou trois sourires, maintiennent suffisamment éveillée notre curiosité pour tenir jusqu’au bout. Mais que ce film est anecdotique!... Je vais encore recevoir les foudres de ceux qui considèrent Franju comme un incontournable artiste du cinéma français, mais «Judex» n’est pour moi rien de plus qu’une petite comédie franchouillarde, à peine divertissante. Le scénario se résume au combat manichéen entre un gentil justicier (campé par un improbable Franck Dubosc américain, lisse comme un fond de lavabo) et une méchante "catwoman" avec, au milieu, une angélique jeune femme à la robe immaculée (Edith Scob, donc). Jamais les personnages ne font preuve de la moindre épaisseur ou de la moindre complexité. Ils sont désincarnés, caricaturaux, ridicules. Alors je sais, on va me répondre que ce n’est pas l’intérêt de ce film, qui joue uniquement sur la succession haletante des rebondissements, et doit se regarder comme un épisode de James Bond. Mais personne ne prétend que les aventures de 007 sont des chefs d’œuvres du cinéma, des grands films représentatifs d’une haute vision artistique du 7ème art! Alors pourquoi en est-il différemment de Franju? Ca reste pour moi une énigme (encore une fois, si on excepte «Les yeux sans visage», qui apparaît finalement comme un accident dans la filmographie du cinéaste). On ne retiendra qu’une scène de ce «Judex» qui fonctionne vraiment : celle du bal, débutant par ce plan étrange et poétique sur le masque de volatile du justicier, fort réussi (bravo au costumier), et s’achevant par la mort mystérieuse du banquier Favraux. Il y a là un mélange d’ingrédients (la musique de Maurice Jarre, l’étrangeté de ces masques inquiétants, la tension dramatique, la magie inexpliquée de la mort du banquier, etc…) qui en font un moment réellement beau. Mais une scène ne fait pas un film. La suite ne sera que succession absurde de rebondissements improbables, entre la comédie de Louis de Funès, le petit nanar d’espionnage (ah, les bruitages lors de l’ouverture des passages secrets! Dignes de «La soupe au chou»!) et les aventures de Fantômette… Un mélange kitch explosif qui atteindra la quintessence du ridicule dans le dernier film du cinéaste, un nanar de haute couture, «Nuits rouges». Non, décidément, Franju, ce n’est pas pour moi.

[1/4]