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samedi 24 février 2024

« Adieu Kharkov » de Claire Bouilhac, Mylène Demongeot et Catel Muller (2015)

 


Il m'a fallu du temps pour venir à bout de cette bande dessinée... Il faut dire que devant ce récit fleuve et chahuté de la vie de Claudia Demongeot, mère de Mylène, il y a tellement de choses à raconter et les péripéties inattendues sont tellement nombreuses qu'il faut s'accrocher...

Sans doute que le scénario, un peu trop linéaire, malgré les flashbacks, aurait gagné à adopter une approche plus originale. Malgré tout, le « matériau » est là et justifie de lire cette BD. La vie de Claudia est digne d'un roman : elle a vécu une histoire extraordinaire, aux quatre coins du monde, de la Russie à la Chine, en passant par Singapour, le Vietnam ou la France.

Elle a aussi connu de grandes difficultés, dès son enfance. C'était une femme très courageuse, qui ne s'est pas laissé abattre par un destin qui laissait pourtant peu de place à l'espoir... Son itinéraire de femme libre, à une époque très dure pour la gent féminine, montre tout le chemin parcouru depuis par nos sociétés... et le chemin qu'il reste encore à parcourir.

Je ne peux que saluer et remercier Mylène Demongeot pour nous avoir transmis le récit de sa famille à travers son roman « Les Lilas de Kharkov ». C’est une histoire très touchante : on sent l’amour et l’admiration que Mylène portait à sa mère, même si celle-ci fut parfois rude… Ce que l’on peut comprendre après les épreuves qu’elle a vécues.

L’arrière-plan historique est lui aussi passionnant. On commence dans la Russie tsariste, bientôt renversée par la Révolution bolchevique, avant d’entrer dans les années folles, à l’autre bout du monde, dans la haute société des expatriés, en Extrême-Orient. Puis vient la Seconde Guerre Mondiale… et peu à peu, le récit se décentre de Claudia pour suivre la vie de Mylène. Qui, de jeune fille à l’enfance malheureuse, chahutée en raison de son strabisme, revivra après une opération pour le corriger, avant de devenir la grande star de cinéma que l’on connaît.

Le roman de Mylène Demongeot a été joliment adapté en bande dessinée par Catel Muller et Claire Bouilhac. Un duo talentueux, qu'on a déjà vu à l’œuvre dans d'autres projets réussis, comme l'adaptation de « La Princesse de Clèves » (entre autres). J’ai toujours ma préférence pour le style de Bouilhac, plus abouti et chaleureux, mais Catel s’en sort bien également, même si la mise en couleur de sa partie laisse plus à désirer. C’est toujours un plaisir de retrouver ces deux autrices, qui ont un sixième sens pour dénicher des sujets originaux et forts.

Que l'on soit fan de Mylène Demongeot, brillante actrice… et conteuse, du duo Catel et Bouilhac, ou encore d'histoire, notamment celle si mouvementée du 20e siècle, « Adieu Kharkov » est une bande dessinée très intéressante qui vaut la lecture.

[3/4]

mercredi 31 janvier 2024

« Nocturnes berlinois » de Juan Díaz Canales et Rubén Pellejero (2022)

 

Eh bien, c'est la première fois qu'un album de reprise de Corto Maltese par Juan Díaz Canales et Rubén Pellejero emporte mon adhésion ! Il y a plein de choses qui ne vont pas, au niveau du scénario, des personnages ou du dessin. Mais il y a aussi plein de choses qui fonctionnent.

Tout d’abord, l'époque et les lieux choisis pour l'intrigue sont appréciables : l'Europe Centrale dans les années 1920, plus précisément en 1924. Avec notamment la République de Weimar et la montée du nazisme en Allemagne, la ville cosmopolite et trouble de Berlin, et la cité mystique et romantique de Prague. Une période à la fois terrible, qui a vu advenir la barbarie, et en même temps si riche et si complexe, avec tant d’illustres artistes et intellectuels… Le parallèle avec notre monde actuel, pile 100 ans plus tard, où les totalitarismes regagnent du terrain partout dans le monde, n’en est que plus frappant.

Les auteurs ont, pour une fois, choisi peu de lieux où situer l'action, plutôt qu'enchaîner les destinations de rêve à la façon de James Bond. Le résultat est double : cette BD possède une vraie atmosphère, sur le ton et visuellement, avec un charme indéniable. Et le rythme, malgré un nombre ridiculement restreint de 72 pages (pour un Corto Maltese), parvient à pleinement s’épanouir en dépit des nombreuses digressions. Ce qui n’était pas le cas des trois précédents albums du duo, qui enchaînaient les péripéties de façon mécanique sans jamais réussir à trouver un (bon) tempo d’ensemble.

Ensuite, j’ai souvent souri et même ri aux punchlines de Corto. Juan Díaz Canales use parfois de facilité dans les dialogues, mais la plupart des répliques de Corto sont réussies et dans l’esprit du personnage d’origine, enfin ! Rien qu’avec ça, on passe un bon moment en lisant l’album. Certes, les dialogues des autres personnages sont parfois un peu ratés, notamment pour les personnages vraiment secondaires, avec un ton trop contemporain ou un vocabulaire trop basique. Mais ceux de Corto et ses interactions avec d’autres personnages tiennent la route, ce qui joue beaucoup dans la perception de qualité de l’ouvrage.

Sur le fond, Díaz Canales a truffé son album de références ésotériques qui, cette fois, ne tombent pas comme une perruque dans la soupe. Le début du 20e siècle regorgeait de sociétés secrètes et de factions rivales, d’un bord à l’autre de l’échiquier politique, les choix scénaristiques du scénariste sont donc crédibles. Qui plus est, Prague est par essence une métropole cabalistique, entre alchimistes occultes et mythe du Golem, dans le célèbre ghetto juif. Juan Díaz Canales explore ainsi des lieux peu traités par Pratt, tout en se fondant dans son goût pour la poésie et le mystère (on pense bien sûr à « Fable de Venise », entre autres).

Dommage toutefois que tous les personnages n’aient pas été suffisamment creusés et subtilement traités. Le commissaire est trop caricatural pour intéresser ou pour inquiéter. Quant à Lise, elle est esquissée psychologiquement de façon trop superficielle pour sembler un personnage vraiment vivant et auquel on s’attache, alors qu’elle est essentielle à l’intrigue. Les autres protagonistes sont plutôt bien écrits en revanche.

Là où le bât blesse, c’est surtout au niveau du dessin, finalement. Fuyez la version colorisée, elle est hideuse. Les couleurs, pourtant de la main de Pellejero en personne, ont été choisies sans aucun goût et sans aucun sens graphique ou narratif, on dirait qu’elles ont été appliquées de façon aléatoire, tant elles jurent les unes par rapport aux autres. Le trait de Rubén Pellejero, quant à lui, est toujours aussi inégal. Le visage de Corto est souvent plutôt réussi et dessiné en entier (sic), ce qui me fait préférer un Pellejero à un Bastien Vivès, beaucoup trop paresseux, en dépit d’un coup de crayon plus original. Pellejero s’en sort plutôt bien aussi avec les autres personnages.

C’est dans les décors qu’il déçoit le plus, ceux-ci sont souvent à peine esquissés, et l’on peine à profiter de lieux aussi magnifiques que Berlin ou Prague, quel dommage… Le découpage est parfois bancal et les attitudes des personnages sont assez figées, on est donc loin du dessin de Pratt… Et la partie rêvée est dessinée dans un autre style, mais qui hélas ne va pas du tout avec le reste du graphisme de l’album. C’était une bonne idée, mais le traitement est raté…

Pourtant, au total, les auteurs font le job, et cet album est à la fois ambitieux et cohérent. Même si le personnage de Corto Maltese reste en-deçà de ce qu’il était sous la plume d’Hugo Pratt, j'ai trouvé cet album assez envoûtant, ce que je ne pensais pas pouvoir dire d’un album de reprise de cette série tellement mythique… Allez, Juan et Rubén, continuez comme ça et je vais finir par reprendre espoir en cette initiative insensée de faire revivre Corto !

[2/4]