samedi 30 septembre 2017

« La Barbe à papa » (Paper Moon) de Peter Bogdanovich (1973)

    « La Barbe à Papa » fait partie de ces belles surprises de cinéma qui m'enchanteront toujours et qui prouvent combien cet art est précieux. Diffusé récemment sur Arte, j'hésitais à le regarder, le résumé comme l'affiche ne payant pas de mine. Mais devant certaines critiques laudatives (au premier rang desquelles celle-ci), j'ai franchi le pas et je ne le regrette pas du tout. Qu'est-ce que j'aurais manqué ! J'avais découvert Peter Bogdanovich avec « La Dernière Séance », un très beau film nostalgique, mais je n'avais pas creusé davantage sa filmographie. Grossière erreur ! « La Barbe à papa », ou « Paper Moon » originellement, est un film remarquable, au scénario intelligent, aux prises de vues superbes et aux acteurs remarquables.

Tout d'abord, quelle photographie ! László Kovács, sur les conseils d'Orson Welles en personne, nous offre un sépia à la fois chaleureux et au contraste saisissant. En outre, les cadrages et les prises de vues sont magnifiques. Les grands espaces américains sont sublimés, tout comme le visage d'acteurs particulièrement télégéniques. Venons-en justement au duo d'acteurs principaux : Ryan O'Neal et sa fille Tatum O'Neal. Le premier est comme transformé. Je le connaissais dans deux rôles qui l'ont enfermés dans une caricature de lui-même et l'ont poursuivi toute sa vie, ceux de « Love Story » et « Barry Lyndon ». Tantôt bellâtre de service et arriviste arrogant, je le croyais cantonné à ce genre de rôle mono-expressifs et sous-estimais son talent et sa capacité à faire passer toute une palette de sentiments nuancés. Ici il semble libéré de tout carcan, Bogdanovich lui offrant la possibilité d'exprimer tout son art, dans un rôle d'arnaqueur à la petite semaine réjouissant au possible. Mais la véritable héroïne du long métrage, c'est sa fille Tatum, dans le rôle d'une fillette plus maline que les adultes qu'elle croise sur sa route, jamais à court d'idées pour tenter de se sortir de la vie difficile à laquelle l'ont voués ses parents. L'âme de ce film, c'est cette relation d'amour père-fille toute en retenue. Moses Pray (Ryan O'Neal) peine à accepter au début l'irruption de la petite Addie (Tatum O'Neal) dans sa vie, mais peu à peu ils vont s'apprivoiser, sans jamais qu'on assiste à des effusions larmoyantes.  Bogdanovich a en effet la finesse de mettre en scène des sentiments doux-amers, sans verser dans l'excès. Pourtant « La Barbe à papa » regorge d'émotion contenue (ce qui ne le rend que plus fort et touchant), de l'esthétique somptueuse à la complicité évidente, l'air de rien, qui unit les deux acteurs principaux, sans compter qu'il réserve des moments de franche rigolade des plus appréciables.

Beaucoup limitent Bogdanovich à un statut d'habile copieur, comme s'il ne faisait que rendre hommage à ses maîtres. Certes il le fait, et de quelle manière ! On est à des années lumières de la bêtise crasse d'un Tarantino ou du formalisme assez vide d'un Godard. Il donne vie à un style qui lui est propre, en s'appuyant sur une esthétique classique, au noble sens du terme, magnifiant l'image et déployant une direction d'acteurs aux petits oignons. Mais plus encore, il s'appuie sur un scénario à plusieurs niveaux de lecture, ce qui fait de « La Barbe à papa » un film beaucoup plus riche qu'il n'y paraît. Certes il s'agit d'une histoire de paternité attendrissante, mais elle possède un arrière fond social des plus intéressants : nos héros évoluent dans l'Amérique déclassée des années 1930, dévastée par la crise financière de 1929. On comprend que nos deux vagabonds peinent à gagner leur vie dans un contexte si difficile ! Cet état de fait joue donc les acteurs de premier plan dans cette histoire, impossible de s'abstraire du climat économique et social d'alors. Cette situation permet également à Bogdanovich de traiter un thème si cher aux années 70, celui de l'errance et d'une certaine liberté. Moses et Addie se retrouvent en effet à arpenter de long en large les États-Unis dans leur voiture décapotable, dans des scènes qui ne sont pas sans rappeler Arthur Penn, Terrence Malick première époque, Wim Wenders ou plus près de nous Jim Jarmusch. Le rythme du film est tout autant caractéristique : lent et contemplatif, il est à l'image de la poésie de l'ensemble. Sans parler de la liberté de ton du présent long métrage : pour gagner leur croûte, Moses et sa supposée fille revendent à prix d'or des bibles à des veuves venant de perdre leur mari. Difficile de trouver plus cynique et plus drôlement saugrenu à la fois. D'autant qu'on voit la petite Addie fumer de temps en temps (à 9 ans !), le tout est donc au diapason de l'ambiance contestataire des années 70 ! Pour autant Bogdanovich ne tombe pas dans les clichés exaspérants de certains films d'alors : tout se tient, dans une grande cohérence et une grande simplicité des plus admirables.

En résumé, « La Barbe à papa » est un film profondément original et iconoclaste, complètement libre tout en rendant hommage aux géants du Septième art. Bénéficiant d'un scénario profond et rafraichissant au possible, porté par des acteurs charismatiques, c'est une réussite de bout en bout, et l'on comprend que Bogdanovich eut le plus grand mal à la répéter...

[4/4]

samedi 9 septembre 2017

« Valérian et la Cité des mille planètes » de Luc Besson (2017)

    Étonnamment, c'est la première fois de ma vie que j'attendais un film de Luc Besson. J'ai toujours eu du mal avec son « cinéma » d'adolescent attardé, à base d'action bas du front, de scénarios copiés-collés, Europacorp demeurant pour moi l'équivalent de ce que Quick est à McDonald : une imitation des blockbusters américains peinant à égaler des originaux difficilement digestes, pour ne pas dire qui donnent la gerbe (passez-moi l'expression). En effet, ces derniers ne volant jamais bien haut, je vous laisse imaginer le résultat côté Besson... C'est tout dire de ses ambitions ! De toute façon Tonton Luc n'a jamais caché être un vrai businessman avant d'être un réel cinéaste. Je savais donc à quoi m'attendre. Pourtant, pour une fois le pitch du film avait l'air intéressant : je ne connaissais pas la BD d'origine, seulement de nom, mais je connaissais l'envergure de ses créateurs, et pour tout dire je voue une grande admiration à la BD franco-belge, le projet d'adapter « Valérian » avait donc tout pour me plaire. Mais venons-en au film. Le résultat n'est pas aussi catastrophique que les médias veulent bien le laisser penser. J'irai même jusque à dire que c'est un long métrage avec de grands défauts, mais avec aussi un immense potentiel. Il est clair que Luc Besson a subi un véritable lynchage médiatique, notamment outre Atlantique, qui me semble (pour une fois) non mérité.

Pour commencer, mettons les choses au clair, Besson a plein d'ennemis, en France comme à l'étranger, qui voient d'un mauvais œil ses ambitions commerciales de conquête des États-Unis ou de la Chine. Mais le véritable ennemi de Luc Besson... c'est lui-même ! Tant qu'il se bornera à être le scénariste de ses films, il se heurtera au plafond de verre de ses limites. Car Besson, je le répète, n'est rien d'autre qu'un adolescent attardé, avec des fantasmes de cet acabit. En gros : des fusillades, des jolies filles, de l'humour débile, du sang qui gicle, avec tout ça Tonton Luc est content. Par contre ne cherchez pas un minimum de profondeur ou de finesse dans ses films, à 15 ans d'âge mental c'est quelque chose d'impensable pour le bonhomme. On est donc loin de la relative profondeur d'un « Star Wars - Rogue One » et de sa relation père-fille, pour comparer « Valérian » à une référence évidente de Besson, à savoir la saga créée par George Lucas.

L'autre problème de ce long métrage, outre les habituels défauts des productions Besson / Europacorp, c'est le manque d'originalité et de surprise de son scénario. Un scénario ultra linéaire, cousu de fil blanc, avec des bons sentiments et du déjà vu en veux-tu en voilà, notamment au niveau des rebondissements et péripéties assez ronflants. Il est clair que Besson et ses sbires se sont éloignés de la BD d'origine, et ont apparemment perdu en subtilité ce qu'ils ont gagné en efficacité (et encore). L'univers de Valérian est particulièrement riche, et à cet égard certains passages qui le présentent s'avèrent extraordinaires, visuellement très imaginatifs. Mais Besson préfère s'attarder sur une peuplade au couleurs criardes, bénéficiant d'effets spéciaux qui piquent les yeux et avec des animaux franchement ridicules. Pour autant, « Valérian et la Cité des mille planètes » fourmille de bonnes idées. Et visuellement, c'est vraiment un film bluffant. Certaines séquences sont exceptionnelles, le tout début par exemple, ou encore la course à travers les « murs » de la cité éponyme. Sur cet aspect, Besson égale largement George Lucas ou James Cameron, voire les bat à plate couture (si si !). Je voudrais tellement en savoir plus sur ces mondes et personnages originaux, aux milles formes et couleurs ! Hélas, Besson s'en tient à son intrigue minimale et ultra prévisible, et nous ne verrons pas davantage cet arrière fond visuel et culturel qui s'annonce passionnant.

A l'image de cette obèse Cité des milles planètes, « Valérian » sombre alors de tout son poids dans les banalités d'un blockbuster lambda. Il n'est pas aidé en cela par le casting... Les deux acteurs principaux sont particulièrement mal choisis : on ne croit pas une seule seconde à leur histoire d'amour du type « je t'aime moi non plus ». Dane DeHaan joue très bien les adolescents attardés (décidément) mais n'a pas les épaules pour porter un long métrage de cette ambition et en être le personnage principal, et Cara Delevingne tire la tronche pendant tout le film, si bien qu'elle finit par nous agacer. La véritable révélation de ce long métrage c'est plutôt Rihanna, dans une séquence d'anthologie. Il y a aussi une sympathique apparition d'Alain Chabat, méconnaissable. Clive Owen, quant à lui, fait le strict minimum. Bref pas grand monde pour mettre un peu de sel dans ce breuvage assez insipide.

En résumé, « Valérian et la Cité des mille planètes » est un film à l'univers profondément original, digne d'un « Star Wars » ou d'un « Avatar ». Mais cela, c'est grâce à la BD de Christin et Mézières et à leur imagination foisonnante. Il bénéficie également d'effets visuels époustouflants, certains pas du meilleur goût, mais d'autres tout à fait étonnants. En revanche, l'interprétation décevante et le manque d'audace du scénario le plombent définitivement. Au total il s'agit d'un long métrage en demi-teinte, avec du potentiel et de vraies bonnes idées, mais pas encore avec le niveau suffisant pour convaincre pleinement. Ce n'est donc pas le naufrage annoncé, mais pas non plus une franche réussite. La balle est dans votre camp Monsieur Besson, affaire à suivre...

[2/4]