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lundi 6 février 2012

« Les oiseaux les orphelins et les fous » (Vtáčkovia, siroty a blázni) de Juraj Jakubisko (1969)

Réalisé juste après l’invasion de la Tchécoslovaquie par les armées du Pacte de Varsovie, «Les oiseaux, les orphelins et les fous» témoigne des désillusions nées des espoirs déçus suscités par le Printemps de Prague. Jakubisko transparaît ici comme un cinéaste désabusé, et qui, ne croyant plus en rien (et surtout pas en l’avenir de son pays), trouve refuge dans l’anarchisme et la folie. C’est en tout cas le portrait qu’il dresse de ces trois personnages, orphelins (métaphoriquement apatrides?) qui ne trouvent du sens à leur existence dans un monde absurde et de violences que dans la folie et l’expression de la liberté la plus totale (celle qui rejette tout ordre social et moral, vu comme une entrave à la jouissance personnelle). Errant comme des vagabonds dans un pays en ruine (la Slovaquie d’après guerre), ils semblent seuls au monde et ne se laissent guider que par une relation ludique aux choses, tels des enfants, et par l’amour (qui comprend également l’amitié). Cet anarchisme libertaire des personnages est parfaitement rendu par le travail de mise en scène du cinéaste, totalement fantasque, exubérant, délirant même. On assiste à un grand maelström d’images et de sons, complètement foutraque, et quelque peu confus. Il s’en dégage une grande énergie, avec notamment une caméra virevoltante qui n’est pas sans rappeler celle du Paradjanov des Chevaux de feu, mais une énergie qui aurait gagnée à être un peu plus canalisée. On peine parfois à reprendre notre souffle au milieu de cette véritable déferlante baroque, qui peut finir par fatiguer, et qui envahit tout. Ainsi des décors surchargés de milliers d’objets colorés, de fruits en tout genre, d’oiseaux qui traversent continuellement le champ, et qui ne sont pas composés comme des tableaux (contrairement à Paradjanov en l’occurrence)... La grandiloquence de la mise en scène rappelle par moments le Fellini de «Satyricon» ou de «Roma», et le déluge de sons et de paroles, toutes postsynchronisées, évoque les films de Pasolini, ceux de la trilogie de la vie notamment, films avec lesquels «Les oiseaux, les orphelins et les fous» partage également un certain sens du burlesque. Mais le côté débridé de la réalisation peut aussi évoquer le Has de «La clepsydre», avec les mêmes travers : à force d’être sur sollicités, les récepteurs visuels et auditifs du spectateur peuvent disjoncter, et la lassitude l’emporter… D’autant que le montage est découpé en d’innombrables ellipses qui donnent l’impression que le film est engagé dans une folle course en avant. Il serait pourtant dommage de ne pas tenir jusqu’au bout où un propos critique et pertinent finit par se dégager, et où l’émotion, enfin, submerge intensément le spectateur. Le film s’achève sur un acte absurde et désespéré, dans lequel le personnage se tue avec la nation slovaque, représentée par le buste de Štefánik, et qui résonne comme une référence explicite à «Pierrot le fou». Il y a indiscutablement du bon dans ce 3ème long métrage de Jakubisko, qui montre ici de réelles ambitions artistiques, mais le film peine à dépasser le statut de «film du monde», touchant plus au folklore qu’à la poésie. «Les oiseaux, les orphelins et les fous» reste une fantaisie un peu brouillonne mais de laquelle émergent sporadiquement de véritables moments de tendresse et de beauté.

[2/4]