mardi 31 mai 2011

« La reconstitution » (Anaparastasi) de Theo Angelopoulos (1970)

Un homme, émigré grec travaillant en Allemagne, est de retour au domicile familial, dans un petit village d’Epire. Là, il est assassiné par sa femme et l’amant de celle-ci. Le film d’Angelopoulos est la reconstitution de ce meurtre, ou plutôt les reconstitutions de ce meurtre. C’est ainsi que l’on assiste à pas moins de 5 points de vue du même forfait : la version de la femme, la version de l’amant, l’investigation des journalistes basée sur les témoignages des villageois, l’enquête de police qui tente une reconstitution du crime et enfin la fiction tournée par Angelopoulos qui, par le biais de plusieurs flashbacks, nous montre l’avant et l’après meurtre. Le cinéaste ne dévoilera cependant jamais la clé de l’intrigue, à savoir qui des deux complices a réellement commis l’acte meurtrier, en étranglant la victime. Dans la très belle séquence finale, Angelopoulos nous propose sa version du crime, qu’il laisse totalement hors-champ : tout reste caché derrière la porte… Les différentes strates du récit s’entremêlent dans une narration éclatée et non linéaire, qui, en tuant le suspense, déplace l’enjeu du film vers des ambitions bien plus hautes: il ne s’agit plus dès lors de savoir comment («La reconstitution», comme son titre pourrait le laisser penser, n’est pas un film policier), mais de comprendre pourquoi. Angelopoulos dessine quelques pistes en imprégnant son film d’une forte dimension sociale, évoquant, parfois dans un registre proche du documentaire, les problématiques de la migration de travail, de la misère dans les villages et du vieillissement des campagnes. Le film s’ancre ainsi dans un contexte géographique et temporel précis, sentiment renforcé par l’utilisation d’une musique traditionnelle. Nous ne sommes cependant pas là en terrain naturaliste ou réaliste. Filmé en plans séquences dans un très beau noir et blanc, le film distille une ambiance particulière, avec cette pluie et cette fange, ce ciel souvent menaçant, ces pierres grises, ces vieillards bossus épiant derrière les fenêtres... Le décor naturel, ce village accroché à la colline, prend une âme et une personnalité singulières. Dès sa première réalisation, Angelopoulos fait preuve d’une maîtrise formelle certaine. Il s’attarde dans les interstices du récit, sur les visages, les déplacements des personnages, invitant le spectateur à prêter son attention sur les gestes, les regards, les lieux. «La reconstitution» est un très beau film, improbable mariage cinématographique entre Bela Tarr et Kiarostami, jugé fort justement en son temps comme particulièrement prometteur.

[2/4]

vendredi 27 mai 2011

« Mystères de Lisbonne » (Mistérios de Lisboa) de Raoul Ruiz (2010)

De «Mystères de Lisbonne» émane un réel plaisir de la narration et du récit. Le film est construit comme une succession d’anecdotes et d’histoires adoptant la forme des poupées gigognes, toutes reliées entre elles par des personnages en commun et tissant une toile autour du même centre, qui constitue le cœur de l’intrigue, un jeune enfant à la recherche de ses parents et de ses origines. On croise et recroise de nombreux personnages, on navigue dans un temps très étalé et pas toujours forcément identifiable, avec des retours en arrière permanents, de longues ellipses (parfois assez mal venues, on sent alors que le film est la version amputée d’une série). Cet enchaînement de récits, narrés par différents protagonistes, ne fonctionnent pas, comme souvent dans les séries télé, par accumulation d’informations et de rebondissements nous rapprochant chaque fois un peu plus du dénouement. Les différents récits prennent ici très vite leur indépendance, sont autant de parenthèses à la «grande histoire» qui est celle de l’enfant. On a alors le sentiment que le film pourrait ainsi être sans fin, que Ruiz pourrait indéfiniment ouvrir de nouvelles parenthèses... Mais ce sentiment, et c’est là que le film est remarquable, n’engendre pas l’ennui. Les tenants et aboutissants du film n’ont pourtant rien de bien originaux ni de très profonds, et correspondent parfaitement à ceux des feuilletons télé romanesques habituels. On a droit aux drames familiaux et amoureux, aux trahisons, aux vengeances passionnelles. Mais voilà, pour ceux qui en doutaient encore, c’est désormais une évidence : Ruiz sait filmer. Alors certes, ces mouvements d’appareils parfois un peu acrobatiques, ces cadrages ostentatoires, ces plans séquences de plusieurs minutes, ne sont pas toujours au service d’une idée précise de mise en scène, et on a parfois l’impression que Ruiz s’amuse aussi avec sa caméra, tout comme il s’amuse à nous raconter des histoires. Mais le plaisir qu’il prend est communicatif, et il paraît difficile de résister à la séduction qu’exerce le film. Même si l’esprit est souvent en sommeil (malgré une mise en abîme de la théâtralité qui fait sens), l’œil est flatté, et Ruiz parvient par ailleurs à donner une belle épaisseur à ses personnages. Il parsème ici ou là son film de quelques incongruités et bizarreries dont il est si friand et qui donnent une personnalité et une ambiance particulière à ces «Mystères de Lisbonne», qui constituent l’une des rares réussites d’un genre qui semblait réservé à la littérature. Au final, on en retient pas grand chose, si ce n‘est quelques plans à la beauté singulière, et puis la séquence finale, magnifique. Mais on a passé quelques 4h30 de cinéma très agréables. Et c’était pas gagné.

[2/4]

mercredi 25 mai 2011

« Et vogue le navire » (E la Nave Va) de Federico Fellini (1984)

Quelle belle surprise! Dans «Et vogue le navire», Fellini retrouve une certaine poésie qui faisait défaut à la plupart de ses films antérieurs. En effet, à mon sens, la qualité des films du maestro va crescendo jusqu’à ces trois chefs d’œuvres que sont «La Dolce Vita», «8 ½» et «Juliette des esprits». A partir de «Satyricon», le cinéma de Fellini succombe à une certaine surenchère visuelle. Les films du maestro regorgent alors toujours de quelques moments grandioses, durant lesquels on en prend plein les mirettes, et qu’on attend entre des séquences de transition moins pertinentes, parfois même ennuyeuses. Les films perdent de leur unité, on en retient d’ailleurs des scènes, des passages, mais rarement l’œuvre dans son intégralité. Avec «Et vogue le navire», c’est comme si Fellini, en retrouvant une certaine sobriété esthétique (le film est beaucoup moins dans la démesure que les précédents, tout en représentant un concentré de l’univers fellinien), se devait d’enrichir le propos et la dimension poétique de son œuvre. Et c’est une réussite, le cinéaste réalisant probablement là son plus beau film depuis «Juliette des esprits». Placé sous le sceau de la mort (le film est la traversée funéraire d’un groupe d’artistes partis disperser les cendres d’une célèbre diva au large d’une île, la veille de la guerre de 14), «Et vogue le navire» est une fable nostalgique sur la fin : celle de l’innocence, celle du cinéma, celle de l’opéra (il n’y aura plus jamais une telle diva), sur la fin de l’art même, puis dans sa dernière partie, sur la fin de l’Italie et sur la fin de l’Europe. Bref, un film sur la fin d’un certain monde… Dans la première séquence, formidable, Fellini retrace l’histoire du cinéma, du muet burlesque en noir et blanc, au parlant, puis, lors d’un très beau fondu, à la couleur. L’avant-dernière séquence fera écho à cette ouverture, par ce mouvement d’appareil prodigieux qui nous montre le plateau de tournage, l’équipe, le studio, puis se termine par un zoom sur l’objectif d’une caméra en travelling. La boucle est bouclée, Fellini dévoile tous les artifices du cinéma, ouvrant la voie à une vaste méditation sur le statut de l’image cinématographique, méditation qui a alimenté et alimente encore le travail de nombreux cinéastes. Mais «Et vogue le navire» ne se limite pas à cette réflexion du cinéma sur lui-même, et offre de nombreux moments savoureux, que ce soit du point de vue de la mise en scène (la scène du restaurant, celle de l’apparition de la jeune fille sur le pont du bateau, etc), du propos de Fellini, toujours aussi virulent dans la satyre sociale, ou encore dans les passages de pure comédie que nous offre le cinéaste qui, malgré le pessimisme de son regard, n’en reste pas moins drôle. Je ne m’attendais pas à découvrir un si grand film parmi les dernières réalisations du maestro…

[4/4]

lundi 23 mai 2011

« In girum imus nocte et consumimur igni » de Guy Debord (1978)

    Pathétique. Mince alors, Guy Debord ne fut pas Rimbaud! Il a vécu sa vie de débauché dans un Paris qui n'est plus. Bien, mais qu'en a-t-il tiré? Des Illuminations? Une saison en enfer? Non, rien de tout cela. Par dépit il a alors tourné un film à sa gloire. Mais quelle gloire? De quoi peut se flatter Guy Debord? Peu de choses j'en ai peur. Et donc lui qui vocifère contre la société de consommation, voilà qu'il crée (ou prolonge) un « genre » bien de notre temps : le narcissisme « artistique ». Un film à la gloire de quelqu'un qui n'a rien fait, un film à sa propre gloire donc. Le récit de son histoire, voire la mise en scène rétrospective de sa vie, pour qu'il en reste tout de même quelque chose... Quelle profonde arrogance de Guy Debord, qui souffle son mépris des hommes à la face du spectateur, se délectant de lui tenir un discours peut-être différent du commun de la production cinématographique quant à sa forme, mais pas si novateur ni aussi révolutionnaire que cela... En effet, à l'instar de ce qui se faisait déjà dans les années 20, « In girum... » n'est rien de plus qu'un film de propagande. Que cette propagande soit idéologique, ou qu'elle serve plus simplement à donner des semblants de raisons à Debord pour justifier la réalisation de son film, peu importe, tout cela avoisine au final le néant. Et comme tout film de propagande qui se respecte, il cherche à convaincre par tous les moyens... Ce n'est donc pas de l'art que nous « offre » Debord, mais bien (au surplus de son mépris) une prise en otage du spectateur, en lui faisant croire que le monde et la vie se réduisent à la société de consommation et à la « réalité objective » d'une humanité livrée à elle-même... Bien évidemment Debord a un arsenal d'arguments bien affutés. Il a aussi une effronterie à toute épreuve et ridicule de grandiloquence aujourd'hui fanée, se sentant grand libérateur des consciences quand il ne tient que le point de vue d'un banal sociologue tout épris de lutte des classes... Reconnaissons toutefois l'analyse qu'il fait de la société de consommation, qui a au moins le mérite de proposer matière à réflexion. De là à voir en Guy Debord un quelconque artiste ou poète...

[0/4]

vendredi 20 mai 2011

« Häxan » de Benjamin Christensen (1922)

Réalisé en 1922, «Häxan» (sous-titré chez nous «La sorcellerie à travers les âges») apparaît aujourd’hui comme un objet cinématographique essentiel dans l’histoire du cinéma fantastique. On peut mesurer avec le recul l’influence que ce film a pu avoir, que ce soit dans les thématiques traitées, dans la beauté picturale stupéfiante de certaines séquences, mais surtout dans les procédés narratifs totalement inédits mis en place, et dont la modernité étonne encore. On pense bien sûr à Dreyer, chez qui l’influence d’«Häxan» apparaît clairement dans 3 films (accessoirement 3 chefs d’œuvre) : «La passion de Jeanne d’Arc», «Vampyr» et «Dies Irae». C’est dire si le film de Christensen se révèle être un véritable petit trésor, qu’il est fort réjouissant de découvrir. Le film traite, sous la forme d’un exposé, qui peut certes avoir parfois un côté un peu scolaire, des différents mythes attachés à la sorcellerie. A partir d’un ouvrage du Moyen-Age devenu une référence pour l’Inquisition, Christensen relate différentes anecdotes sous la forme de 7 chapitres jouant dans des registres cinématographiques très diversifiés. On tient probablement là le premier docu-fiction de l’histoire du cinéma, mais dont la partie fictionnelle est elle-même riche des registres qu’elle aborde, de l’humour et du grotesque à l’horreur et la terreur lovecraftienne, en passant par des moments oniriques portés par une pure poésie visuelle. A chaque chapitre, Christensen varie les styles narratifs, s’appuyant sur une gamme impressionnante de supports : reproductions de livres, peintures, gravures, maquettes, animations et séquences filmées avec différentes teintes de couleurs… On reste stupéfait par l’inventivité formelle dont fait preuve le cinéaste, jusque dans les maquillages et les effets spéciaux, qui n’ont pas pris une ride. Tout ça pour une simple suite d’historiettes relatives aux sorcières et à la peur de Satan? Que nenni! Dans ses dernières parties, «Haxän» devient progressivement l’œuvre d’un humaniste portant tout d’abord une charge sévère contre la rigidité de l’Eglise, dénonçant, chiffres à l’appui, les crimes de l’Inquisition, après en avoir cliniquement exposés les méthodes absurdes et inhumaines et les outils de torture terrifiants. Puis le film fait un bon dans l’époque contemporaine et Christensen dresse un parallèle entre les sorcières du Moyen-Age et les hystériques, kleptomanes et autres femmes d’aujourd’hui souffrant de troubles psychiques. Le propos s’élargit alors, s’enrichit et s’universalise donnant au film une portée philosophique inattendue. «Häxan» est une petite merveille à découvrir d’urgence, dans sa version longue et, par défaut, avec la bande sonore de Bardi Johansson (on regrettera l’absence de la bande sonore originale dans la récente édition DVD du film).

[4/4]

jeudi 19 mai 2011

« Essential Killing » de Jerzy Skolimowski (2011)

«Essential Killing», c’est la mise en images d’une traque, celle d’un afghan (interprété par l’acteur américain Vincent Gallo) pourchassé par une armée américaine qu’on entend plus qu’on ne voit. L’homme est d’abord arrêté en plein désert afghan. Il est ensuite conduit dans une prison secrète, mais parvient à s’échapper durant le transfert. Dans cette première partie, Skolimowski parvient efficacement à contextualiser et à poser les enjeux de son film, par l’utilisation de symboles visuels forts. C’est ainsi qu’il lui suffit de convoquer l’uniforme orange et la cagoule blanche de Guantanamo pour suggérer les tortures infligées au prisonnier. Mais la critique de la politique étrangère américaine n’est pas ce qui intéresse ici Skolimowski, qui passe rapidement, en quelques plans, sur cet aspect, pour se focaliser sur la traque de ce fugitif dans les forêts enneigées d’un pays non identifié. La fuite de cet homme, réduit à l’instinct animal (survivre au froid, se nourrir), prend rapidement les allures d’un véritable chemin de croix, jalonné d’épreuves caractérisées par un fort symbolisme judéo-chrétien. Et c’est là que le film ne fonctionne pas. Tout d’abord, cette construction du film par succession d’épreuves tue dans l’œuf la tentative de Skolimowski d’illustrer l’animalité du personnage et le côté instinctif de sa lutte pour la survie. Comment cette fuite pourrait-elle être instinctive alors que Skolimowski est là, derrière chaque arbre de cette forêt, pour tendre un nouveau piège symbolique à son personnage?... Non seulement cela nuit à la vraisemblance de l’ensemble, jusqu’à en devenir presque risible (l’homme marche dans un piège à loup, mange des baies toxiques, se couche à l’endroit précis où tombe l’arbre scié par un bûcheron…), mais cette succession d’épreuves est purement théorique : elle cherche à faire du traqué un martyr. Dès lors le film se révèle froid, distant. Les images se vident de toute densité émotionnelle et le personnage s’avère bien plus déshumanisé par l’arsenal théorique mis en place par Skolimowski que par la situation qu’il vit. Il devient lui aussi symbole. De plus, le symbolisme de certaines situations peut s’avérer parfois grossier (la scène où il force une femme allaitant son enfant à lui donner le sein est ridicule). Il a été dit que le film était «radical» dans son parti pris et sa mise en scène. A mon goût, il ne l’est pas assez, ou, tout du moins, il n’assume pas pleinement sa radicalité. Skolimowski se sent comme obligé d’introduire des séquences de flash-back pour construire un passé et une vie à son personnage, séquences non seulement superflues mais particulièrement vilaines visuellement. Au final, on retiendra 2 scènes qui parviennent un peu à s’extraire de la rigidité théorique de l’ensemble et à proposer un début d’émotion artistique : la séquence des chiens et le dernier plan du film, d’une sobriété salutaire. Ca reste léger…

[1/4]

lundi 16 mai 2011

« Elvira Madigan » de Bo Widerberg (1967)

Il est drôle de lire les critiques de Bo Widerberg à l’encontre du cinéma de son compatriote Bergman, qu’il qualifiait de «vide», après avoir vu «Elvira Madigan». Car s’il est bien un film vide de contenu et de substances, c’est bien celui-ci! Je découvre avec ce film le cinéma de Widerberg et je peux dire que j’aurai bien du mal à trouver la motivation pour en voir un autre… «Elvira Madigan» est une succession de plans (pas moches, certes) d’un homme et d’une femme s’enlaçant dans les herbes hautes, à la belle saison, au son du concerto pour piano n°21 de Mozart. Ils s’aiment, mais ils n’ont pas le droit de s’aimer (lui a déserté l’armée et quitté sa femme et son enfant pour vivre la robinsonnade avec la belle Elvira). Leur petite escapade romantique dans les champs se terminera mal, sans que nos deux gentils amoureux n’aient cherché le moins du monde à s’en tirer. On peut y voir la version soft, proprette et en costumes de «La ballade sauvage» de Malick, l’ennui en plus. Widerberg voulait insuffler un air de renouveau, un «coup de jeune» dans le cinéma suédois, en s’inspirant du cinéma de Truffaut (il aurait mieux fait de regarder du côté de Godard ou de Resnais) et de Cassavetes. De Truffaut, il a gardé le classicisme plat, et de Cassavetes, une certaine manière de filmer, en gros plans et caméra à l’épaule, les corps-à-corps de ses personnages. Reste Pia Degermark, actrice à la beauté assez remarquable, qui a d’ailleurs obtenu un prix d’interprétation à Cannes (prix très sexiste cela dit, tant l’actrice est juste filmée mais ne joue en aucune façon, son texte tenant vraisemblablement sur une seule page). Même si le film évite les écueils redoutés (pathos, romantisme pseudo-désespéré) grâce à une réalisation plutôt sobre, on peine à trouver intérêt à suivre les déboires amoureux de ces deux mannequins. Belles images et belle actrice ne suffisent pas à faire un bon film. Widerberg reprochait à Bergman de monopoliser la production cinématographique suédoise et d’être l’arbre qui cachait la forêt. Après ce premier visionnage d’un film de Widerberg, Bergman reste pour l’instant l’arbre au milieu de la prairie.

[1/4]

dimanche 15 mai 2011

« Viva la vie » de Claude Lelouch (1984)

Evoquer le cinéma de Lelouch dans un cercle de cinéphiles conduit inévitablement, après le passage obligé des éclats de rires sardoniques, à relancer le débat sur le cinéma «populaire». Lelouch est bien LE cinéaste «populaire» français, celui qui catalyse le mépris des uns (les mêmes qui restent malgré tout les premiers à dénigrer les expérimentations d’un Godard), et celui qui depuis des années s’est créé un vrai public, qui le suit, bon gré, mal gré. Il est du coup très difficile d’obtenir un avis objectif sur ses films dans la critique française et c’est en raison de certains avis très favorables dans la critique étrangère que j’ai décidé de me pencher un peu sur le travail de ce cinéaste (notamment l’admiration revendiquée de Kubrick pour des films comme «Viva la vie» ou «La bonne année» qui était même le film préféré du réalisateur de «Barry Lindon»!). Parlons du film donc. «Viva la vie» est un film au scénario complètement abracadabrantesque, de ceux que l’on peut lire sous la plume d’un collégien après un devoir de rédaction. Il faut bien saluer le courage de Lelouch pour assumer une telle histoire et avoir l'audace de la mettre en images! Outre le côté totalement invraisemblable de la chose (mais Lelouch s’en tire en faisant finalement de tout son film le rêve du protagoniste), c’est surtout dans la naïveté et le côté très enfantin, spielbergien du propos qu’excelle le film. «Viva la vie» est un film qui se révèle plein de bonnes intentions mais qui aura beaucoup de peine à intéresser un public adulte. Niveau réalisation, Lelouch n’est pas ridicule et essaie d’apporter un peu d’originalité à la construction narrative. Essayer n’est pas réussir malheureusement mais le cinéaste n’est finalement pas plus mauvais qu’un Truffaut, qui jouit pourtant, lui, et on ne sait trop pourquoi, d’une toute autre réputation alors que son cinéma est tout aussi populaire (mais plus petit-bourgeois) et que ses qualités de metteur en scène sont guère plus brillantes… On serait même plutôt tenté de soutenir davantage un Lelouch qui essaie, qui tente, qui cadre lui-même ses films, plutôt qu’un Truffaut qui n’a jamais fait que du très académique et du très convenu. Et ce, malgré les aspects un peu insupportables de Lelouch (il suffit de le voir se mettre en scène au début de «Viva la vie» et de voir la façon qu’il a de jouer la fausse modestie au cours de l’interview radiophonique pour donner aussitôt envie d’activer la machine à baffes). On notera ce qui est probablement l’une des pires musique de film qu’il m’ait été donné d’entendre et qui pourrait presque suffire à elle seule à classer le film dans la catégorie des nanars. Au final, «Viva la vie» est un film destiné à un public désireux de s’infantiliser quelque peu. Idéal un après-midi de vacances de Noël, pour combler l’ennui et digérer le trop plein, en somnolant légèrement.

[0/4]

dimanche 8 mai 2011

« Saraband » d'Ingmar Bergman (2003)

    Magnifique et terrible à la fois. L'ultime long métrage d'Ingmar Bergman, qu'il ait été pensé ou non comme son testament cinématographique (ce qui semble être le cas), est certainement l'un de ses films les plus personnels, comme si Bergman se mettait directement en scène, livrant une acerbe autocritique de lui-même, d'autant plus lucide qu'il a pour horizon toute sa vie à se remémorer et commenter. Une fois de plus il s'agit d'une oeuvre examinant à la loupe les relations familiales, avec cette vérité psychologique et cette absence de pudeur qui caractérisent le caustique suédois, et qui font de « Saraband » un film tellement horrible... et tellement vrai. Pour autant, si les vieilles rancoeurs ressurgissent dans des passages qui font froid dans le dos par leur méchanceté larvée, d'autres s'attardent sur les moments de réconciliation, moments particulièrement émouvants au regard du chemin parcouru par les personnages pour se pardonner mutuellement... Si l'on peut vraiment parler de pardon! Je n'ose imaginer une vie ainsi faite, marquée par tous ces espoirs perdus et à grand peine consolés... Pourtant peut-être en est-il ainsi : le doute, bien que permis, est sérieusement contrebalancé par la vraisemblance, voire la vérité de l'ensemble... Une vérité qui heurte, donc, de plein fouet, comme tout film de Bergman qui se respecte. Quant à la forme, il est agréable de visionner un film tourné en DV (si je ne m'abuse) à la photographie aussi belle et soignée. Ces tons automnaux sont admirables, et la mise en scène de Bergman toujours aussi exemplaire. Une dernière chose : Erland Josephson y est formidable. « Saraband » met donc un parfait point final à l'oeuvre de ce géant du cinéma que fut Bergman, qu'elle clôt de façon idéale : tout y est, particulièrement sa vivacité d'esprit, et toujours cette angoisse existentielle qui déchire de temps à autres l'écran pour violemment saisir le spectateur, l'air de rien...

[3/4]

samedi 7 mai 2011

« Arrietty, le petit monde des chapardeurs » (Karigurashi no Arrietty) de Hiromasa Yonebayashi (2011)

    Un joli petit film, mais un Ghibli mineur. Il faut saluer la qualité de l'animation, en particulier celle du personnage d'Arrietty, qui fait une discrète entrée au sein des héroïnes miyazakiennes. Car le présent long métrage est indéniablement sous l'influence du Sensei, ne serait-ce qu'en raison de sa participation directe en tant que scénariste et superviseur du travail effectué par Hiromasa Yonebayashi. Le problème c'est qu'« Arrietty » n'a pas l'intensité des plus grands films de Miyazaki... Alors qu'en conclure? Que ce dernier n'est plus que l'ombre de lui-même? Que Yonebayashi a encore fort à faire pour dépasser le statut d'habile faiseur? Autre problème, si c'en est un : l'occidentalisation toujours plus prononcée des films Ghibli (et ce n'est pas la musique de Cécile Corbel qui arrange le tout...). C'est en effet la seconde fois, si je ne m'abuse, qu'Hayao Miyazaki s'inspire d'un ouvrage de littérature enfantine anglo-saxonne. Est-ce l'influence occidentale ou le fait qu'il s'agisse dans les deux cas d'une adaptation, je ne sais, mais il manque à ces deux films (« Le Château ambulant » — même s'il est autrement plus ample — et celui-ci) une âme, ou pour le moins la sincérité si émouvante qui parcourait les plus illustres longs métrages du studio japonais... Pire encore, il manque une histoire digne de ce nom, cela fait déjà plusieurs fois que nous avons le droit à des intrigues intimistes, pour ne pas dire consensuelles au possible, et j'en viens à regretter la fougue passée... Peut-être est-ce le succès qui rend si frileux nos animateurs nippons... Toujours est-il que je ne peux que regretter l'ambition d'une telle équipe au vu de ce qu'ils sont encore capables de faire : « Arrietty » réserve de très beaux moments, des instants fugaces terriblement touchants comme Miyazaki savait si bien les créer, mais qui malheureusement se font trop rares... D'autant que ce sont ces seuls « petits » moments qui font tout l'attrait du film, l'histoire manquant cruellement de poids... Un avis réservé donc, quand à ce long métrage et à l'avenir du studio Ghibli, qui fait du surplace depuis quelque temps déjà.

[2/4]

dimanche 1 mai 2011

« Memories » (Memorîzu) de Kōji Morimoto, Tensai Okamura et Katsuhiro Ōtomo (1995)

    Le problème des films à sketchs, des recueils de courts métrages, c'est qu'ils sont souvent par nature inégaux, et que la comparaison que l'on opère entre les différents segments se fait toujours aux dépens de l'ensemble. Ainsi en est-il de « Memories » : le premier segment et le dernier surtout sont plutôt réussis, mais le second n'étant pas franchement des plus admirables, une fâcheuse impression de déception nous saisit au terme du visionnement du long métrage qu'ils forment à eux trois. Pourtant tous ont un sujet intéressant. Le premier tout d'abord, « Magnetic Rose », est formellement abouti et réserve une atmosphère triste et nostalgique pour le moins touchante. On s'approche de la science-fiction onirique du « Solaris » de Tarkovski, même si bien évidemment la subtilité du segment réalisé par Kōji Morimoto est sans commune mesure avec le film de l'illustre cinéaste russe. Son principal défaut est sa représentation par trop conventionnelle de certains fantasmes typiques du genre. On n'échappe pas non plus à certains clichés de l'animation japonaise, particulièrement quant à sa représentation du « beau », un beau vaguement occidentalisant et d'un goût pas très sûr... Le second segment part d'une bonne idée, évoquant le fantôme de la bombe atomique, ou tout du moins de catastrophes de cette ampleur. Scientifiques et militaires en prennent pour leur grade, et le traitement réservé à l'histoire qui nous est narrée est fort ingénieux et très caustique. Par contre si l'on se met à considérer l'animation en elle-même et la beauté du segment, il apparaît hélas que « Stink Bomb » ne dépasse pas le stade de la bonne idée judicieusement exploitée. Vient enfin le dernier court-métrage, réalisé par Katsuhiro Ōtomo, et c'est celui-là qui a finalement retenu mon attention. Non pas qu'il soit exceptionnel, mais c'est de loin le plus original et le plus abouti : son absurdité feinte et la singularité de l'animation n'y étant pas étrangères. Une atmosphère oppressante nous étreint, tandis que la monotonie, l'inexorabilité des gestes qui nous sont donnés à contempler, ainsi que leur portée effrayante confèrent à ce « Cannon Fodder » une ampleur certaine et au souvenir durable. « Memories » vaut donc le coup d'oeil pour tout amateur d'animation qui se respecte, toutefois il tient plus de la curiosité que du coup de maître.

[1/4]