jeudi 28 juillet 2011

« Citizen dog » (Mah nakorn) de Wisit Sasanatieng (2004)

    « Citizen dog » ou le summum du kitch comme esthétique. La façon dont Wisit Sasanatieng conçoit le cinéma est assez singulière : c'est comme s'il cachait sous une montagne de mauvais goût, de dixième degré et d'artificialité sa sensibilité. On peut donc tout aussi bien être touché par ce long métrage ô combien excessif, qu'exaspéré devant un film en un sens guère original sous son vernis tape-à-l'oeil. En fait on ne sait jamais si on doit rire ou prendre le cinéaste thaïlandais au sérieux, et c'est ce qui donne à « Citizen dog » sa saveur si particulière : Wisit Sasanatieng fait preuve d'un humour extraordinaire, pour dire des choses belles et tristes. On n'est donc jamais subjugué, et on ne rit pas vraiment, on sourit et on est attendri devant la créativité d'un cinéma qui récupère à sa façon le pire des codes visuels en vigueur pour mieux les détourner. « Citizen dog » est à la fois un conte sur la vie, l'amour, le fossé entre la ville et la campagne, et tant d'autres sujets d'envergure mine de rien. C'est aussi un instantané tantôt caustique tantôt naïf sur le monde d'aujourd'hui. Mais c'est avant tout un grand moment de n'importe quoi cinématographique « contrôlé ». Comédie musicale et drame intimiste à la fois, long métrage publicitaire et d'auteur dans le même temps, histoire d'amour et satire sociale, « Citizen dog » fait le grand écart parfois à grand peine, mais reste toujours cohérent. Cohérent dans l'invraisemblance totale... C'est ce qui fait à la fois sa force et sa faiblesse : l'empathie reste assez superficielle devant un tel spectacle, malgré toute la bonne volonté de l'auteur et de ses interprètes. Un film profondément ambivalent donc, qui mérite néanmoins le coup d'oeil. (A noter qu'il m'est apparu bien meilleur tout de même qu'« Amélie Poulain », vu que tout le monde semble comparer ces deux films...)

[1/4]

mercredi 27 juillet 2011

« Le sang des bêtes » de Georges Franju (1949)

Ce court documentaire de 21 minutes reste aujourd’hui encore, près de 60 ans après sa réalisation, l’une des œuvres les plus violentes jamais réalisées sur le monde des abattoirs. Cette puissance est directement liée à la nature des images filmées, bien plus qu’au talent de mise en scène du cinéaste. Celui-ci se contente, dans un registre hyper réaliste, d’enregistrer des images qui restent habituellement cachées aux yeux du public : éviscération de chevaux, décapitation de veaux, égorgements de vaches, abattage à la chaîne, etc… La violence des images peut choquer (c’est d’ailleurs clairement le but recherché par Franju) et ce choc induit chez le spectateur une réflexion sur la violence faite aux animaux, sur les dessous de la consommation de viande et le monde secret des abattoirs. Cet accent mis sur l’autre facette d’un monde insouciant et paisible, sur la face cachée de la ville de Paris, est l’une des plus belles idées de cinéma du film ou, tout du moins, la seule vraiment réussie. Pour le reste, Franju se laisse emporter à la facilité de la force de ses images, et ne parvient pas à garder la neutralité et la distance qu’il semble vouloir s’imposer au départ. Petit à petit, le cinéaste impose ainsi sa révolte personnelle à son film, en se laissant ici ou là aller à des commentaires plus que suggestifs ou à des images complaisantes. «Le sang des bêtes» devient alors un objet cinématographique qui hésite dans la direction à suivre, qui cherche à s’engager mais sans aller jusqu’au bout, en feignant de garder une neutralité pourtant perdue. En voulant s’abstenir de condamner, Franju finit même par dire quelques bêtises, comme «mais il faut bien se nourrir», alors que ce n’est sûrement pas la faim qui nous impose de consommer du cheval. Les défenseurs de la cause animale qui attendent un engagement, un propos virulent du cinéaste, seront déçus par la réflexion toute superficielle de Franju qui n’aborde aucunement la question des habitudes alimentaires occidentales. Ceux qui pensent avoir à faire à un documentaire neutre et objectif seront déçus par les vagues sous-entendus du cinéaste. Reste cette fascination de Franju pour les gestes du travail, qui donne au film une certaine valeur historique. Au final, on regrette que la force du film ne repose que sur le simple enregistrement d’images, certes très évocatrices (on parvient parfois même à imaginer les odeurs émanant des vapeurs de sang). Et c’est dommage, car le contraste entre la concentration, le calme des bouchers et la véritable barbarie des actes qu’ils commettent, rappelle ces «tueurs sans haine» dont parle Baudelaire et peut très vite déboucher sur une réflexion sur la mort qui dépasse largement le cadre des abattoirs. Il semble ainsi difficile de ne pas songer aux camps de concentration, d’autant plus que Franju ose le parallèle des trains de la mort. Si «Le sang des bêtes» a si bonne réputation, c’est suite au jugement à chaud et encore sous le choc des diverses critiques. Néanmoins, lorsqu’on prend du recul et que l’on étudie l’objet filmique, on s’aperçoit que Franju ne maîtrise pas son film... A voir si vous hésitez à vous convertir au végétarisme !

[1/4]

« J'ai rencontré le diable » (Akmareul boatda) de Kim Jee-woon (2011)

    De temps à autres, comme ça, il sort sur nos écrans un film extrêmement violent qui surpasse en horreur la plupart de ce qui a déjà été tourné (même si je suppose, hélas, qu'il y a « pire »). Celui-ci en l'occurrence ne manque pas de « tenue » : cadrages millimétrés, plutôt bons interprètes, photographie léchée... Mais de là à parler de réflexion sur la violence... La seule question qu'il pose c'est surtout pourquoi sommes-nous là en train de le regarder? Pourquoi regarder un film avec un type qui viole en gros plan, et qui découpe soigneusement ses victimes? Et quel besoin a-t-on de faire des films aussi cruels et nauséabonds? Est-ce la recherche d'une quelconque catharsis? Eprouve-t-on du plaisir à réaliser, et à jouer dans un tel long métrage? Voilà peu ou prou ce que « J'ai rencontré le diable » propose à l'intellect. Pour le reste il joue habilement avec le spectateur, avec son dégoût et son angoisse, le suspense étant maintenu, et l'obscénité soigneusement entretenue... Mais rien de plus facile que de donner chair à un personnage détestable pour le donner en pâture à un justicier fou de douleur, et à un spectateur qui veut voir le méchant s'en prendre plein la tronche. Jusqu'à ce que les rôles s'inversent et que le justicier/spectateur devienne aussi lamentable que le meurtrier du film. Et c'est vrai : si vous allez voir ce film, vous serez juste un peu plus amer... Selon moi un film à soigneusement éviter donc. Surtout que la mise en scène (déjà-vue) de Kim Jee-woon ne vaut en aucun cas le déplacement : c'est toujours bien le grossier réalisateur de « Le Bon, la Brute et le Cinglé » aux commandes, mêmes couleurs et mêmes mouvements de caméra clinquants, pour un résultat tout aussi vain (même si « Le Bon... » était au moins vaguement divertissant).

[0/4]

mardi 26 juillet 2011

« Attack the gas station! » de Kim Sang-jin (1999)

    Une réjouissante et délirante comédie, quoiqu'un peu kitch et datée, sur fond de critique sociale de la Corée du Sud de la fin des années 90. « Attack the gas station! » c'est l'histoire de quatre jeunes coréens désoeuvrés et plein de hargne, qui ne sachant pas trop quoi faire de leur peau, décident d'aller braquer une station d'essence... jusqu'à finir par déchaîner contre eux la société entière. Si l'on n'est pas trop allergique à l'esthétique MTV ou à l'humour excessif (souvent irrésistible mais parfois lourd), en somme si l'on n'est pas rebuté par les films de série B, voilà un long métrage qui promet un bon moment de divertissement. Le quatuor d'acteurs principaux est assez mémorable, leur charisme étant renforcé par une mise en scène dans le ton : plongées, gros plans et distorsions de l'image abondent, soulignant à l'excès les mimiques d'une galerie de singuliers personnages. L'humour ne fait pas toujours mouche (usant et abusant du comique de répétition), de plus il ne faut pas être rétif aux classiques scènes de combat, mais malgré tout Kim Sang-jin et ses interprètes s'en sortent plutôt bien, pour livrer un film sans grande prétention artistique, mais possédant une ambiance particulière, un propos un peu plus intelligent qu'il n'y paraît, et avançant sans temps mort. « Attack the gas station! » parvient tout de même à retranscrire avec humour un très fort (semble-t-il) sentiment de frustration sociale! Dans sa catégorie, un plutôt bon film donc, malgré ses tics parfois exaspérants.

[1/4]

lundi 25 juillet 2011

« La maison Nucingen » de Raoul Ruiz (2009)

Ne vous fiez pas au titre du film et à l’habitude de Ruiz des adaptations littéraires, nous ne sommes pas ici en présence d’une adaptation de l’œuvre éponyme de Balzac. «La maison Nucingen» est un film en équilibre sur un fil, et qui menace à tout instant de chuter et de sombrer dans le ridicule. Au final, si le film parvient à rester debout, c’est grâce au talent certain et à l’intelligence de Ruiz, qui réussit à créer un univers étrange attisant malgré tout la curiosité du spectateur. Mais avouons que le cinéaste a clairement frôlé la catastrophe, c’est à dire le véritable nanar. Réalisé avec des moyens très réduits et dans un format vidéo qui nous offre des images oscillant entre la plus vulgaire des esthétiques de feuilletons télé et quelques éclairs de beauté picturale rappelant la peinture de John William Waterhouse, «La maison Nucingen» propose un univers empreint de mélancolie et de romantisme et très imprégné de littérature gothique. Il est donc question de fantômes et de vampires dans une immense demeure, dont les intérieurs ne sont pas sans évoquer l’architecture d’une cathédrale, demeure gagnée lors d’une partie de poker par un jeune français et son épouse neurasthénique et hystérique. Ruiz parvient à créer un climat d’étrangeté intéressant, et ce par des moyens très osés : faux raccords, mixage sonore foireux, qualité de la photographie aléatoire (avec des extérieurs surexposés), phrasé littéraire maniéré, etc... Là où la plupart des critiques (qui ont d'ailleurs bien ravalé leur venin lors de la sortie des «Mystères de Lisbonne») ont vu de grossières erreurs de réalisation, il faut au contraire noter la malice d’un cinéaste qui n’a plus rien à prouver. Le choix de «La cathédrale engloutie» de Debussy comme unique musique du film s’avère fort judicieux, collant parfaitement à l’univers envoûtant mis en place par le cinéaste. Oui mais voilà, si l’on reste jusqu’au bout intrigué par l’ambiance des lieux, c’est tout de même avec déception que l’on constatera au final l’artificialité du propos de Ruiz et la vacuité de son film. C’est également avec difficulté que l’on réussira à passer outre le surjeu insupportable de Elsa Zylsberstein (actrice au combien mauvaise) et le cabotinage pénible de Laure De Clermont-Tonnerre que l’on croirait toute droit sortie des «Amours d’Astrée et de Céladon» de Rohmer. Si l’humour du cinéaste parvient à sauver la plupart des situations, il n’en demeure pas moins que «La maison Nucingen» ne fera sûrement pas l’unanimité et apparaîtra comme un vulgaire ratage à beaucoup. C’est effectivement un ratage, il paraît difficile de le nier. Il n’empêche que Ruiz propose avec ce film quelque chose d’original et de courageux qui malgré ses immenses défauts, ne laisse pas totalement indifférent.

[1/4]

dimanche 24 juillet 2011

« Trois saisons » (Three seasons) de Tony Bui (1999)

    Un joli film vietnamien d'une simplicité salutaire, quoiqu'un peu trop conventionnel de temps à autres. Tony Bui arrive à dépeindre des destins qui s'entrecroisent sans tomber dans la lourdeur qui accompagne trop souvent ce genre d'exercice (on se souvient par exemple du boursoufflé « Babel »). Non, si plusieurs personnages sont amenés à se rencontrer ici, c'est par le plus grand des hasards, pour former un portrait kaléidoscopique du Viêtnam d'aujourd'hui. Par la même occasion, il suggère un Viêtnam d'antan, qui survit encore ici et là, perçant le vernis de la modernité et de l'occidentalisation des moeurs. C'est donc un long métrage quelque peu nostalgique, même si celle-ci n'est jamais pleinement affichée, tout juste est-elle évoquée. C'est à travers le caractère des personnages, la poésie des situations que Tony Bui semble pleurer un temps qui n'est plus. Mais « Trois saisons » c'est avant tout diverses façons de vivre, de survivre, dans un pays qui change tant bien que mal. C'est l'histoire d'un tireur de pousse-pousse amoureux, d'un père qui recherche sa fille, d'un petit garçon livré à lui-même dans les rues de la ville, d'une cueilleuse de lotus… Ce sont des histoires simples et communes, mais joliment relatées. Tony Bui fait suffisamment confiance au cadrage ou aux jeux de regards pour ne pas nous assommer de poncifs ou de longs discours : grâce lui soit rendue. Parfois tout de même, on sent le poids d'une certaine manière académique, mais fort heureusement l'excellente bande-son, les talentueux interprètes et la musique d'influence traditionnelle confèrent au long métrage un charme certain. Entre « Cyclo » et « L'Odeur de la papaye verte » de Tran Anh Hung, (moins outrancier que le premier, mais moins réussi que le second), un film appréciable pour qui aime à se perdre dans le lointain Orient et sur les terres trop rarement visitées par le cinéma du Viêtnam.

[3/4]

jeudi 21 juillet 2011

«Sandra» (Vaghe stelle dell'Orsa) de Luchino Visconti (1965)

Je crois bien que je suis en train de me réconcilier un peu avec Visconti. Je n’ai jamais été un adepte du classicisme et de l’académisme de la mise en scène du cinéaste italien, ni de son penchant pour la tragédie grand spectacle et les grandes fresques historiques. Mais après la découverte de «La Terra trema» et de «Le Notti bianche», puis désormais de ce chef d’œuvre qu’est «Vaghe stelle dell’Orsa», Visconti remonte sérieusement dans mon estime. «Vaghe stelle dell’Orsa», donc, est probablement la tragédie la plus intimiste de Visconti, un film d’une remarquable sensibilité. Réalisé avec une économie de moyens qui s’avère salutaire et bénéfique, nous épargnant ces scènes grandioses visant beaucoup plus le spectaculaire que l’émotion, le film s’inspire de la mythologie familiale des Atrides et retranscrit admirablement l’essence de la tragédie grecque. Le style classique du metteur en scène est ici parfaitement adapté à la pudeur et à la délicatesse qu’imposait la thématique du film, l’inceste, évitant tous les sentiments faciles et les tentations au pathos que pouvait appeler ce sujet. Porté par une caméra mobile et très proche des personnages, avec une utilisation intelligente et pertinente du zoom rapide, le film touche au cœur du drame intime des personnages, avec une finesse de l’émotion que l’on ne retrouvera malheureusement dans aucun autre film du cinéaste. Cette réussite totale doit grandement à l’excellent niveau de l’interprétation, avec certainement la plus belle prestation de Claudia Cardinale, qui parvient à donner une ambigüité fascinante à son personnage. On peut ainsi louer l’étrange gestuelle de la comédienne et la richesse des multiples expressions de son visage, soulignées par un maquillage remarquable, reproduisant parfaitement l’image de la statuaire grecque. On relèvera également la qualité du noir et blanc et de la photographie, avec un superbe travail sur la lumière, les ombres et les contrastes. Le cinéaste, contrairement à ses habitudes, délivre ici un film condensé (une durée de 1h45 assez inhabituelle chez Visconti), abrupt, d’une noirceur saisissante laissant échapper un magnifique rayon de lumière lors de la superbe séquence finale. «Vague stelle dell’Orsa» est à mon sens le film le plus juste de Visconti, celui ou son art de la tragédie est le mieux maîtrisé grâce à une sobriété de la réalisation qui fera défaut à ses films ultérieurs (pour ceux que j’ai vus). Le chef d’œuvre méconnu du cinéaste, à découvrir impérativement.

[4/4]

mardi 19 juillet 2011

« Identification d’une femme » (Identificazione di una donna) de Michelangelo Antonioni (1982)

Un cinéaste en panne d’inspiration recherche une actrice pour un vague projet de film. Pendant ce temps, il entretient une relation amoureuse avec une jeune femme mystérieuse qui bientôt disparaît. Tandis qu’il semble, en apparence, faire le deuil de cette relation en fréquentant une comédienne de théâtre, il reste néanmoins hanté par la jeune femme et se met à sa recherche. L’enquête qu'il mène pour la retrouver fait alors écho à la recherche de l’actrice de son film... On retrouve tous les thèmes de prédilection d’Antonioni dans «Identification d’une femme» : la disparition, l’absence, l’errance, l’intrigue et le mystère, l’incommunicabilité, le couple. Mais ces ingrédients sont si présents et si visibles que, pour la première fois peut-être chez le cinéaste, on comprend très vite la recette, ce qui enlève une part non négligeable de magie au film. On peut également ressentir un léger sentiment d’inachevé, tant certaines pistes ouvertes ne sont au final nullement exploitées (comme le processus créatif de l’artiste par exemple). «Identification d’une femme» appartient à la seconde manière d’Antonioni et s’inscrit pleinement dans la continuité de «Blow up» ou de «Zabriskie Point». On y retrouve le regard presque sociologique du cinéaste sur la société italienne de ce début des années 80 (après le Londres et l’Amérique de la fin des années 60), regard pertinent mais qui ancre temporellement le film (sentiment renforcé par l’utilisation d’une musique électronique très datée). Depuis «Blow up », Antonioni propose un cinéma de qualité certes, mais qui n’affiche plus la radicalité de mise en scène et la créativité de ses films antérieurs, de «l’Avventura» au «Désert rouge». On peut même noter ici une certaine redondance dans les procédés narratifs du cinéaste et on se retrouve à attendre, car on sait qu’elles vont arriver, les rituelles séquences de virtuosité formelle auxquelles Antonioni nous a accoutumés (en principe en plein milieu et à la toute fin des films). Et on a bien droit ici à une séquence époustouflante en plein cœur du film, où il est question d’une disparition dans un brouillard soudainement tombé. Séquence visuellement magnifique, dont l’inquiétante poésie nous fait pénétrer dans ce qui semble être une autre dimension, le monde parallèle créé par le brouillard, et qui marque la rupture entre les deux parties du film. En revanche, la séquence finale s’avère fort décevante, Antonioni s’essayant à une poésie science-fictionnelle quelque peu naïve, au moyen d’effets spéciaux ayant bien du mal à cacher leur honte… Si cette critique reflète bien une certaine déception, il n’empêche que «Identification d’une femme» reste l’œuvre d’un cinéaste en pleine possession de ses moyens, un film auscultant avec acuité les rapports homme/femme dans une société déterminée et traitant poétiquement de la quête amoureuse d’un homme n’ayant pas sa place dans le milieu bourgeois qui l’environne. Le dernier bon film d’Antonioni.

[2/4]

samedi 16 juillet 2011

« Steamboy » (Suchīmubōi) de Katsuhiro Ōtomo (2004)

    Autant « Akira » parvenait en partant d'une situation relativement simple, réaliste et vraisemblable à dire beaucoup de choses tout en faisant preuve d'une admirable virtuosité graphique (malgré ses excès), autant « Steamboy » s'embourbe dans son discours grandiloquent sur les méfaits de la science, sans parvenir le moins du monde à nous toucher avec ses personnages stéréotypés, et surtout à nous émerveiller par sa débauche visuelle d'assez mauvais goût. Contrairement à Miyazaki, Ōtomo ne sait pas doser le mélange entre animation numérique et animation traditionnelle : de très nombreux passages sont laids pour ce qui est des mouvements ou des différents plans de l'image, mal coordonnés. De plus, la colorisation numérique est froide et artificielle au possible, et elle aussi fort disgracieuse, il est donc dommage que le réalisateur japonais ait choisi d'en user aussi souvent. Ajoutons à cela une esthétique ressuscitant un âge d'or industriel fantasmé, plein d'engrenages et de machines à vapeur, mais omniprésents jusqu'à l'indigestion, et nous obtenons un énième dessin animé pompeux et clinquant (c'est paraît-il le film d'animation japonais le plus cher de l'histoire – inutile de préciser que c'est loin d'être le meilleur...) de plus, malheureusement consensuel au possible. Ça explose de toutes parts mais rien n'y fait, on s'ennuie à mourir devant cette histoire mille fois déjà-vue de jeune élu entre les mains duquel repose l'avenir de l'humanité. Le propos sur la science n'est pas inintéressant, mais pas de quoi s'emballer, il reste suffisamment en surface pour demeurer dans la sphère du divertissement dans ce qu'il a de plus basique : des méchants bien méchants, une jeune fille dont le coeur reste à conquérir, des courses poursuites, des fusillades, une musique pompière... Mais tout ça pour rien. Il manque une véritable sensibilité à Ōtomo pour faire de cette rutilante mécanique autre chose qu'un jouet de luxe pour enfant gâté... En somme, une superproduction sans âme de plus...

[0/4]

« La Ligne Rouge » (The Thin Red Line) de Terrence Malick (1998)

    « La Ligne Rouge » annonçait déjà « The Tree of Life », et l'exaspération d'une esthétique au premier abord originale, mais finalement tout à fait consensuelle et tristement plate. Pire, « The Tree of Life » ne fait que redire ce que disait déjà « La Ligne Rouge », les procédés restant les mêmes, et seule l'action changeant de cadre. Toujours ces voix-off qui doublent inutilement les images, cette caméra qui ne sait pas se poser, ces longueurs et cette fin qui n'arrive jamais, ces images de la femme aimée dignes de n'importe quelle pub du moment, cette hauteur philosophique d'où Malick ne délivre finalement que des vérités générales... La première fois que j'avais découvert « La Ligne Rouge » j'étais tombé en admiration devant cette nature sauvage, cet aperçu d'un autre monde enchanteur. Maintenant que je l'ai vu une seconde fois, j'ai eu tout le temps de m'appesantir sur le film en lui-même, sa construction et son propos. Et là, je n'ai vu que défauts, lourdeurs et platitudes. Une galerie de stars qui décrédibilisent totalement le long métrage, d'une car ils sont pour beaucoup mauvais acteurs, de deux car je ne peux réprimer un sourire dès que je vois Travolta ou Clooney à l'écran : je ne peux m'empêcher de penser à Pulp Fiction, à la Scientologie, à un nombre incalculable de navets ou à Nespresso... assez embêtant. D'autre part, dès « La Ligne Rouge » Malick ne savait de toute évidence plus choisir ses plans. Il lui faut beaucoup de temps et d'images pour faire passer une émotion... D'autant que ce qu'il nous dit n'est malheureusement pas à la hauteur de l'attente (sans compter que les plans en question ne s'avèrent pas d'une composition inouïe, loin de là)... Certes on peut relever une certaine approche poétique, si l'on considère le sens à peine caché de son film : peu ou prou la détresse humaine face au mal, la quête de Dieu dans un monde hostile. Sujet ambitieux s'il en est (encore qu'il ne soit guère nouveau), mais qui hélas adopte une forme manquant cruellement de retenue, pour verser dans le grandiloquent et l'épique « à l'américaine » (cherchant à concurrencer sur leur terrain les « Platoon » et autres « Apocalypse Now », dans le genre « film de guerre définitif »)... Viennent aussi de jolies prises de vues évoquant le paradis terrestre, mais elles ne suffisent pas à approcher véritablement le « beau » cinématographique, surtout quand le National Geographic ou Ushuaïa proposent sensiblement la même chose. Bref, en dépit de quelques qualités ici et là, un long métrage dispensable. A voir une seule fois à la limite...

[1/4]

mercredi 13 juillet 2011

« Baby Doll » d'Elia Kazan (1956)

    Grand moment de cinéma! Je n'ai pas le souvenir d'avoir déjà vu un film aussi virtuose d'Elia Kazan, qui nous livre là un sommet de mise en scène cinématographique. C'est bien simple, toute la force de son long métrage, son puissant érotisme, repose sur la suggestion des images, sur la construction du cadre, sur la lumière, sur l'écriture (Tennesse Williams est une fois encore formidable), bref sur les moyens du cinéma, sans jamais rien montrer de racoleur. Un tel film réalisé aujourd'hui tiendrait de l'exploit! D'ailleurs c'est bien simple, je ne crois pas qu'il ait été « dépassé »... Le récit monte lentement en puissance, installant une tension palpable toutefois dès les premiers instants, dans un delta du Mississipi à la chaleur harassante, et au son d'une musique presque lascive. En quelques plans, Kazan installe les personnages et les rapports de force voués à évoluer, dans une atmosphère moite et étouffante, propre à échauffer les esprits. On retiendra le jeu des acteurs, tous excellents et proprement inoubliables! Mais c'est une constante sous la baguette de Kazan, qui réussit comme à son habitude à les pousser jusqu'au bout d'eux-mêmes : Karl Malden par exemple, pourtant habitué de sa « troupe », réussit à nous donner le change en campant un personnage plus fort et ambivalent qu'à l'accoutumée. Mais n'oublions pas Eli Wallach et surtout la jeune et jolie Carroll Baker, à la fois détestable et fascinante femme-enfant. En somme, Kazan réussit une fois de plus à créer une oeuvre intense car violemment contrastée, bouillonnante, avec pourtant trois fois rien, sinon un grand talent de mise en scène, secondé par un fine sensibilité de peintre psychologique. Voilà un film qui redonne foi dans les possibilités du septième art, bien qu'il soit complètement à rebours de la tendance actuelle...

[4/4]

« L'Eternité et un jour » (Mia eoniótita ke mia méra) de Theo Angelopoulos (1998)

    Le cinéma de Theo Angelopoulos est ambitieux, malheureusement le réalisateur grec n'a de toute évidence pas les moyens de ses ambitions. Fait d'autant plus embêtant qu'il franchit le difficile équilibre qui fait d'une oeuvre un simple et joli concentré d'émotion, au point de paraître prétentieux (reproche que je ne formule jamais, mais là...). A vrai dire ses idées sont bien trop explicites pour voiler son envie d'être reconnu par ses pairs et la postérité dans le même temps (semble-t-il)… Ici encore on sent un véritable travail d'écriture, et une admirable maîtrise du cadre. Mais son utilisation excessive du plan séquence discrédite souvent son film, dès lors qu'il sert de transition abrupte avec un autre espace-temps, anémiant l'unité et la vraisemblance de son oeuvre. Angelopoulos veut trop en dire dans ses films, du moins de façon bien trop triviale et emphatique. Son esthétique consensuelle n'en est que l'une des expressions : un peu d'Antonioni (des mauvais jours) ou de Fellini par ci, un peu de Wenders ou de Tarkovski par là, un soupçon d'académisme… N'oublions pas l'arrière plan politique, et voilà une mécanique bien huilée, calibrée pour les festivals (oui je sais, c'est facile, mais néanmoins… avéré). Hélas il manque cette délicate alchimie qui fait d'images, de sons et d'idées une oeuvre d'art, ou tout du moins il manque à Theo Angelopoulos une réelle personnalité artistique. Il manque du mystère, et de la poésie digne de ce nom! Reste Bruno Gandtz, toujours aussi touchant…. Mais c'est bien peu. Beaucoup de clichés et de facilités au final, et la désagréable impression de perdre son temps devant un cinéma d'une fadeur… Il suffit de sortir un peu pour s'emplir les yeux d'images bien plus belles! D'autant que son art est sérieusement concurrencé par la publicité : rappelez-vous celle pour le CNP au son de la seconde valse de Chostakovitch. C'est un peu l'idéal artistique d'Angelopulos, non?

[1/4]

dimanche 10 juillet 2011

« Le Regard d'Ulysse » (To Vlemma tou Odyssea) de Theo Angelopoulos (1995)

    Theo Angelopoulos est davantage un intellectuel qu'un cinéaste à mon sens. Du moins c'est ainsi que je le perçois en le découvrant avec ce long métrage. Comme souvent chez Godard par exemple, il a un problème de concision (d'inspiration?) : 2h30 c'est long. Très long, surtout quand son film est gavé à ce point de références historiques, politiques, culturelles, abondant en seconds degrés, métaphores et autres symboles en tous genres difficilement digestes. Le problème c'est que c'est surtout par les mots qu'Angelopoulos donne du sens et de la profondeur à son film, et de surcroît par des parallèles plus littéraires que cinématographiques : on n'échappe pas à ces personnages-types du cinéma d'auteur, du genre « disons qu'untel est Ulysse et mon film sera d'autant plus puissant ». Facile... Hélas Angelopoulos n'est pas Tarkovski, il lui manque cette force de l'image, et cette personnalité qui en font un artiste digne de ce nom. « Le Regard d'Ulysse » est un beau film, mais il est tout de même très auto-complaisant (la réaction d'Angelopoulos à Cannes est à ce titre révélatrice). On y sent le travail de composition du réalisateur grec, mais on le sent pesamment. Quand chez d'autres on s'émerveille sans comprendre le pourquoi de notre émotion, chez Angelopulos on devrait être ébloui par la richesse de ses plans et de son histoire semble-t-il nous dire... Mais la simplicité est pour moi une vertu, qui n'est malheureusement pas de mise ici. Comme tous ces cinéastes qui pratiquent à tout bout de champ la référence, « Le Regard d'Ulysse » ne devient plus qu'un jeu de citations, manquant cruellement de naturel, et rendant par là même le travail de création d'Angelopoulos tout relatif. Néanmoins il est vrai qu'il est parcouru par de jolies images, et accompagné par une belle musique, signée Eleni Karaindrou. Mais rien de bien transcendant au final... Il semble plus daté qu'un film comme « Le Miroir », réalisé près de 20 ans plus tôt, c'est dire... Et ô combien plus conventionnel! Bref, une déception...

[1/4]

lundi 4 juillet 2011

« Bouge pas, meurs et ressuscite » (Zamri, umri, voskresni!) de Vitali Kanevski (1989)

    Une belle photographie et de beaux plans en extérieur, illustrant l'histoire mouvementée d'un gamin et d'une petite fille livrés à eux-mêmes dans une Russie d'une misère noire... « Bouge pas, meurs et ressuscite » est un film éprouvant, à cause de son sujet traité sur un mode extrêmement réaliste, mais aussi en raison plus simplement de la manière qu'a Kanevski d'utiliser le cinématographe, rendant son film appréciable pour qui sait faire abstraction de la trivialité du propos, de ses personnages qui hurlent continuellement pour se faire entendre quand il ne se flanquent pas dans la tronche une bonne claque tantôt pour manifester leur affection, tantôt pour plaisanter. Assez agaçant à la longue. « Seul atteint à la perfection celui qui renonce à tout ce qui mène vers l'outrance délibérée » disait Paul Valéry, c'est peu dire qu'un tel aphorisme est aux antipodes du ton du présent film... « Bouge pas, meurs et ressuscite » est l'autobiographie filmée de son auteur et réalisateur, Vitali Kanevski. Hommage partiel à « L'Enfance d'Ivan » et aux « 400 coups », il approche nettement plus le second que le premier  malheureusement, tant Kanevski prend le parti de montrer jusqu'au bout les choses plutôt que de les suggérer... A vrai dire il ne pouvait certainement pas faire autrement dans son optique, du moins semble-t-il concevoir la retranscription cinématographique de ses souvenirs uniquement par leur simple reconstitution. Toutefois à son crédit l'on peut mettre ce témoignage édifiant et nécessaire sur la vie de ces enfants violemment maltraités. On peut aussi saluer la prestation des deux protagonistes principaux, la jeune fille, et ce garçon de 14 ans ayant réellement vécu une vie d'enfant abandonné, lui qui est passé plusieurs fois par la prison en dépit de son jeune âge. Si « Bouge pas, meurs et ressuscite » marque tant, c'est surtout parce que c'est une histoire vraie. D'un point de vue artistique, c'est en revanche une oeuvre bien moins mémorable... On y retrouve en effet un certain naturalisme qui n'est pas vraiment pour me plaire... En somme, voilà à quoi ressemblerait à peu de choses près un film de Béla Tarr sans sa virtuosité cinématographique...

[1/4]

« Falstaff » (Campanadas a media noche) de Orson Welles (1965)

«Falstaff» marque à mon sens les limites de la manière de Welles metteur en scène. Le matériau très riche du film aurait dû en faire un chef d’œuvre entre les mains d’un tel cinéaste (Welles considère d’ailleurs ce film comme son chef d’œuvre), mais une mise en scène trop dense, trop envolée, reposant exclusivement sur un montage haché et rapide, peut donner une impression quelque peu brouillonne de l’ensemble. Cette manière n’est pas nouvelle chez Welles, qui nous a habitués à beaucoup de bruit, de vacarme et d’énergie dans sa façon de filmer. Mais ici, cela conduit à une certaine confusion qui submerge le spectateur qui peut se sentir noyer sous le texte, sous la rapidité d’enchaînement des plans et des séquences, et qui tue toute émotion (à l’exception bien entendu de la séquence finale, sur laquelle repose grandement les mérites du film). A partir d’un travail remarquable d’adaptation parallèle et croisée de 4 pièces de Shakespeare, Welles dresse le portrait de Jack Falstaff, gros homme, bon vivant, dont l’imposante carrure cache un être sensible et touchant. Proche ami du prince Hal, futur héritier du trône d'Angleterre, Falstaff est une figure qui représente une certaine conception de la vie festive, de l’innocence préservée, de la générosité du cœur et des sentiments, conception qui s’avèrera en contradiction avec la réalité du pouvoir qu’exercera Hal. Celui-ci devra alors trahir son ami pour accéder au trône, trahir ce père d’adoption et de cœur pour se réconcilier avec son père de sang, le roi d’Angleterre. La figure de Falstaff est alors l’occasion pour Welles d’exprimer sa propre conception de la vie, des relations humaines et d’amitiés, en opposition à l’esprit calculateur et rigoriste d’une certaine modernité. A travers Falstaff, c’est bien sûr Welles qui s’exprime, réalisant au passage sa plus belle prestation de comédien, imposant une présence physique remarquable au personnage. On comprend alors combien ce personnage de théâtre pouvait toucher au plus profond le cinéaste et on rage d’autant plus sur la lourdeur du travail de mise en scène. Réalisé avec peu de moyens, le film est à la lisière entre le beau et le «trop» et se révèle parfois quelque peu assommant. En témoigne parfaitement la scène centrale de bataille, magnifique dans les premiers instants, rappelant le meilleur des batailles de Eisenstein ou de Kurosawa, avant de devenir presque indigeste à force de répétition. Si le procédé rend difficile l’éclosion des émotions, Welles se rattrape largement dans la séquence finale, celle dans laquelle Falstaff prend conscience de la trahison du prince. Le plan séquence qui introduit la scène est superbe, s’achevant sur une vue en contre plongée de Falstaff agenouillé, suppliant le prince. Le regard de Falstaff/Welles est ici saisissant, résume à lui seul le propos du film, un adieu à l’innocence et à l’enfance, et constitue le sommet émotionnel de l’œuvre du cinéaste. On regrette alors à peine le côté quelque peu chaotique de ce qui a précédé.

[2/4]

« Simon Werner a disparu… » de Fabrice Gobert (2010)

Le film nous apprend une chose, de manière décisive : ce n’est pas de côté-ci qu’il faut regarder si on veut chercher le renouveau ou même l’avenir du cinéma français. «Simon Werner a disparu…» est un film d’une médiocrité sans nom, réalisé par un jeune cinéaste qui doit nécessairement avoir pour lui d’être un sacré baratineur et un petit malin. On peut en effet se demander comment Gobert a réussi à obtenir les financements pour réaliser une telle supercherie, mais surtout comment il a fait pour embarquer dans l’aventure Agnès Godard, la photographe attitrée de Claire Denis, et le groupe new-yorkais Sonic Youth… Non pas qu’Agnès Godard ait déjà participé au moindre chef d’œuvre, ou que Sonic Youth soit un grand groupe de musique (ils le furent un jour cela dit), groupe qui s'affirme comme spécialiste des bandes originales de navets français (ils étaient déjà à l’œuvre dans le catastrophique «Demonlover» d’Assayas), mais quand même, quand on voit à quel point le film est de mauvais goût et comment il révèle la futilité du projet cinématographique de Gobert, on peut s’interroger. Pour être plus clair, le scénario n’a rien à envier à un banal épisode d’un quelconque feuilleton télé français pour adolescents pré pubères, avec tous les clichés possibles dans le portrait dressé de la jeunesse lycéenne : le beau gosse, l’homo, la «gothique» et ses cheveux rouges, la bombe du lycée, le fils de prof coincé avec la raie au milieu, etc… Tous ces clichés interprétés par des non-acteurs, certes mauvais, mais en possession d’un texte qui n’est pas là pour les aider (je n’ai pas souvenir qu’au lycée je parlais de mes camarades en citant leur nom et prénom comme le font les ados du film: «Peut-être qu’on devrait aller à la fête de Jérémie Legrand ?»…). Quant à la forme (mais aussi toujours au fond finalement), Gobert cache mal sa fascination pour le gugusse du cinéma indépendant américain, celui qui fait des films à partir de rien, le bien nommé Gus vent Sant et son film palmé «Elephant». On peut même parler franchement de plagiat : Gobert ne se contente pas de reproduire le principe des mêmes séquences remontrées sous différents points de vue mais pousse le vice jusqu’à faire des plans séquences dans les couloirs du lycée en suivant les personnages de dos… Même si le film de van Sant n’était pas un chef d’œuvre, ses plans séquences avaient quand même une autre allure que le pauvre spectacle offert par ce navet. Gobert se rêverait d’être le van Sant français (rêve déjà, en soi, bien attristant et révélateur d’une misère artistique certaine), mais il n’en est qu’un ringard avatar. «Simon Werner a disparu…». Espérons qu’il en sera de même pour Fabrice Gobert à l’affiche de nos salles de cinéma.

[0/4]

dimanche 3 juillet 2011

« Voyage à Tokyo » (Tōkyō monogatari) de Yasujirō Ozu (1953)

    Un chef-d'oeuvre. Voilà ce que l'on peut qualifier sans trop se tromper de perfection cinématographique. Un film qui refuse la dramaturgie traditionnelle et tout effet lacrymogène pour se concentrer sur l'indicible, le temps qui passe, la désintégration de la cellule familiale, la reconstruction du Japon d'après-guerre, le passage d'une génération à une autre, l'isolement, l'amour filial, des sentiments qui peinent à s'exprimer par les gestes ou les mots, un rythme lent et contemplatif... C'est le cours de la vie qu'Ozu dépeint, dans toutes ses contradictions, ses joies et ses peines, avec une subtilité qui force l'admiration : tout n'est que suggestion et retenue, une extraordinaire pudeur. Il est d'ailleurs bien difficile de décrire ce que l'on peut éprouver en tant que spectateur en regardant une telle oeuvre, sinon une sensation de discrète mélancolie, calme et douce, un émerveillement attendri devant la beauté indescriptible de ces plans inimitables, de ces personnages si humains et ce montage si organique... Le « Voyage à Tokyo » fait partie de ces films atteints par la grâce, réalisés par des artistes en pleine possession de leurs moyens, mais s'apparentant à tout sauf à une « démonstration de force ». Le dépouillement, voire l'austérité de la manière d'Ozu surprend au premier abord, mais pour qui se laisse porter par cette façon de faire si simple et si riche à la fois, voilà un film qui promet un moment bien émouvant. La mise en scène est magistrale, cet art de la composition du plan, fait de plein et de vide, est décidément tout japonais, et la façon particulière dont Ozu se sert du cinématographe lui permet de s'attarder sur ce que l'on a tendance à négliger, aussi bien d'un point de vue artistique et visuel, que d'un point de vue sentimental : ici l'affection des enfants envers leurs parents. Le « Voyage à Tokyo » est loin d'être le seul chef-d'oeuvre d'Ozu, à vrai dire nombreux sont ses longs métrages à l'égaler aisément, ce n'est donc pas à proprement parler le sommet de sa filmographie (il était d'ailleurs agacé que l'on puisse en voir le summum de son art, et il n'avait pas tort), mais l'une des multiples réussites qui émaillent sa carrière cinématographique. Incontournable.

[4/4]

samedi 2 juillet 2011

« Pink Floyd : The Wall » d'Alan Parker (1982)

    Il est indéniable que ce film démontre une grande ambition de la part de Roger Waters et Alan Parker. Sa structure même, les thèmes qu'il aborde, les différentes techniques utilisées lui donnent une ampleur certaine. Et il faut bien le dire, son propos reste, du moins pour une part, encore d'actualité, quant à cet enfermement dans une société qui emmure en lui-même l'individu, pour n'en faire plus qu'une sorte de consommateur passif, « confortablement engourdi ». « The Wall » comporte donc d'excellents passages, terrifiants, et qui plus est accompagnés d'une bande-son connue de tous, appréciable dans ses meilleurs moments. Voilà pour les qualités de ce long métrage. Maintenant, si l'on s'attarde sur les défauts l'on ne peut que regretter la surabondance d'effets, de passages outranciers pas du meilleur goût, et autres clichés qui plombent la qualité du film dans son ensemble, qui reste très morcelé en passages différemment réussis... Rien que la bande-son, l'album des Pink Floyd, est inégale : à mon sens c'est loin d'être leur meilleur opus. A l'image du film, il s'agit avant tout d'un concept, et c'est trop souvent l'idée qui prime sur l'art, un regard sur la société et soi-même exprimé avec une certaine acuité, mais qui se fond fort mal dans des images et des sons dénués trop souvent d'une quelconque retenue ou beauté. « The Wall » est très daté : certes les thèmes qui le traversent ont quelque peu traversé le temps, mais son esthétique typique des années 80, sa symbolique franchement lourde, et finalement sa forme en font une curiosité qui vaut le détour, voire un sympathique essai, mais pas grand chose de plus...

[1/4]

vendredi 1 juillet 2011

« Tomboy » de Céline Sciamma (2011)

    Troublant! A défaut d'avoir totalement transformé l'essai, Céline Sciamma nous offre un film fascinant, parvenant à nous tenir en haleine avec trois fois rien 1h 30 durant. En premier lieu, saluons l'interprétation de la jeune héroïne, tout simplement parfaite. La petite fille qui joue sa soeur n'est pas en reste, elle est mignonne comme tout! Mais son « mérite » est tout autre (à cet âge là un enfant n'a guère besoin de « jouer » pour captiver l'attention), la jeune Zoé Héran par contre fait forte impression! Pourtant Céline Sciamma ne force jamais le trait (ou si peu), et tout reste d'un naturel bienvenu. Les autres enfants sont eux aussi bien trouvés, les parents par contre sont un peu moins convaincants, même s'ils restent dans le ton du film. Un film tendre et cruel à la fois, comme l'est l'enfance, laissant planer un suspense continuel : on vit véritablement à travers l'héroïne, et l'on appréhende comme elle les événements. Longtemps après le film, on reste encore interdit face aux nombreuses questions que pose le film, et surtout face au malaise qu'il installe chez le spectateur. La réalisatrice aborde en effet de nombreux aspects de l'enfance dans lesquels on peux souvent se reconnaître, notamment dans tout ce qui touche à l'acceptation de soi et au regard des autres. Céline Sciamma parvient ainsi à installer une atmosphère, à faire vivre ses personnages, et plus encore, à faire de son long métrage davantage qu'une simple bonne idée, grâce à son équipe donc et aux talentueux interprètes, mais aussi par sa jolie mise en scène, simple et sobre. Néanmoins, au vu du sujet et des cartes dans sa main, Céline Sciamma avait de quoi faire un grand film, plus terrible et plus ambigu encore. A vrai dire la trame du long métrage est un peu trop linéaire, sans grande surprise, et l'on attend durant tout le film le moment qui viendra tout bouleverser, pour lui conférer une dimension supplémentaire. Ce moment ne viendra pas, mais ce n'est peut-être pas si mal : l'équilibre du film, déjà fragile, aurait certainement été rompu. Pas un chef-d'oeuvre donc, loin de là, mais un plutôt bon film!

[1/4]