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dimanche 18 août 2019

« L'Impératrice Yang Kwei-Fei » (Yōkihi) de Kenji Mizoguchi (1955)

    Une fois de plus Kenji Mizoguchi réalise avec « L'Impératrice Yang Kwei-Fei » un long métrage impressionnant de maîtrise, porté par la subtile interprétation de Machiko Kyô, de Masayuki Mori et, chose nouvelle, une pellicule en couleurs. Esthétiquement parlant, on retrouve ainsi la rigueur de la composition du plan commune à tous les films du japonais, et l'on peut découvrir en plus son talent à harmoniser les teintes, nuancées à l'infini. Pour ce qui est de ses qualités visuelles « L'Impératrice Yang Kwei-Fei » vaut donc largement le détour.

Mais il est tout aussi intéressant quant à son intrigue et aux thèmes qui le traversent. Si Mizoguchi s'est singulièrement éloigné de la vérité de l'histoire de l'empereur Xuan Zong et de Yang Guifei (en réalité bien moins héroïque que dans le film), il en a fait une tragédie remarquable, à l'image de ses « Amants Crucifiés », s'achevant avec la même mélancolie, étrangement sereine malgré une issue des plus funestes.

Là encore il est question d'amour impossible, de féminité asservie, de rites étouffants ou encore de dilemme entre vie publique et privée. Mais ce qui frappe davantage, c'est cette figure de l'artiste incarnée par l'empereur, profondément ambigüe : il est peut-être l'homme qui doit le plus avoir les pieds sur terre, au vu des immenses responsabilités qui lui incombent, et pourtant il ne rêve que d'ailleurs, d'art et de beau. Ce paradoxe matérialisé par son caractère indécis va peu à peu l'isoler de tout, et de la politique et de la beauté qui lui donnait la force de vivre, et ce aux dépens de son entourage, surtout de sa bien-aimée.

Le tableau que peint Mizoguchi de cette Chine féodale et de cet idéal artistique est donc particulièrement pessimiste, mais pour autant ne verse jamais dans le pathos, préférant une retenue des sentiments bien plus troublante qu'une tristesse exacerbée et non équivoque. « Les Contes de la Lune Vague après la Pluie » ne sont pas très loin, et « Yang Kwei-Fei » apparaît comme un parfait condensé de l’œuvre de Mizoguchi. Il ne s'agit certes pas de son long métrage le plus fort, mais de l'un des plus harmonieux et des plus maîtrisés. Un film magnifique.

[4/4]

jeudi 1 mars 2012

« Les Amants crucifiés » (Chikamatsu monogatari) de Kenji Mizoguchi (1954)

    « Les Amants Crucifiés » est l'un des derniers films du maître japonais Kenji Mizoguchi, alors qu'il en a déjà réalisé presque une centaine : son art est donc plus que jamais abouti, et il livre ainsi une mise en scène d'un raffinement extrême. Tout en étant épurée de tous mouvements superflus, elle se révèle d'une richesse incroyable, sublimant les déplacements des personnages dans le cadre avec une grâce extraordinaire. Pour ce qui est de l'histoire en elle-même, il aborde une fois de plus la critique sociale en lui ajoutant une intrigue tragique digne des plus grands mélodrames. « Les Amants Crucifiés » est en effet l'occasion pour Mizoguchi de dénoncer l'horreur d'une société féodale ultra-hiérarchisée et codifiée, étouffant les personnages et leur humanité tout en faisant paradoxalement ressortir leurs plus grands défauts, la cupidité en tête. Le dénouement tragique qui liera O-San et son amant Mohei leur permettra au contraire d'atteindre le bonheur absolu dans l'amour le plus pur, avant de devoir affronter la mort. L'injuste société d'alors et sa loi inflexible, ces classes qui ne peuvent se mêler, ces hommes ne vivant que pour l'argent ou le pouvoir, tout cela conduira les amants proscrits à leur perte, irrémédiablement. Pourtant leur amour triomphera de tout ce mal, d'une bien triste manière certes, mais dans un refus total et exemplaire de tout compromis, dans une plénitude presque sereine. Un chef-d'oeuvre d'une grande beauté. 

[4/4]

mardi 30 août 2011

« Le Héros sacrilège » (Shin heike monogatari) de Kenji Mizoguchi (1955)

    « Le Héros sacrilège » dénote quelque peu dans la filmographie de Kenji Mizoguchi, tout d'abord car il s'agit de l'un de ses rares longs métrages à avoir été tournés en couleurs (et pour cause, le nombre se monte à deux si je ne m'abuse), mais aussi et surtout car il s'agit d'un film bien moins intimiste que ce qu'il a pu réaliser auparavant. On quitte les intérieurs cloisonnés, les dilemmes cornéliens et les drames amoureux pour se laisser entraîner dans des intrigues de cour, opposant bravoure et traitrise éhontée, que l'on ne manquera pas de retrouver chez son compatriote Akira Kurosawa par la suite. « Le Héros sacrilège » est avant tout le portrait d'un jeune homme qui s'affirmera en s'opposant à l'ordre ancien et aux différents pouvoirs : à son père et à sa famille, à l'empereur et à ses maîtres, puis aux moines et aux esprits défunts. Tout le film est parcouru par cette tension, ce vertige de Kiyomori qui se découvre lui-même en révélant la duplicité des autres. « Le Héros sacrilège » est aussi un film social, comme l'a voulu son réalisateur : il nous montre rien moins que l'émergence d'une nouvelle classe aux dépens des autres, celle des samouraïs, qui prendra l'ascendant sur la noblesse et le pouvoir impérial des siècles durant. De fait, il est parcouru par l'idéal martial de justice et d'honneur, et exalte la vertu de ces soldats pauvres mais courageux et fidèles jusque dans la mort. Mizoguchi nous livre donc là l'archétype du film historique à grand spectacle, avec ses qualités et ses défauts : d'un côté des couleurs superbes, une mise en scène au cordeau, une interprétation digne d'éloges, une attention portée au mouvement toujours aussi remarquable, et bien sûr du suspense, quant à l'issue des divers conflits opposants les factions rivales. De l'autre, il s'agit peut-être du film le plus « hollywoodien » du cinéaste nippon, plus froid et « superficiel » que le commun de son oeuvre, davantage porté sur la splendeur des costumes que sur l'intériorité profonde des personnages... Peu de choses à déplorer en ce qui me concerne : à défaut d'être un chef-d'oeuvre « Le Héros sacrilège » est à mon sens un excellent film, qui ne manquera pas de combler les amateurs du maître ou les passionnés d'histoire et de culture japonaise.

[3/4]