Affichage des articles dont le libellé est Pasolini Pier Paolo. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Pasolini Pier Paolo. Afficher tous les articles

vendredi 5 août 2011

« Accattone » de Pier Paolo Pasolini (1961)

«Accattone» (le mendiant) est un jeune paumé de la banlieue romaine, un parasite apprenti maquereau et qui vit au crochet des femmes qu’il prétend protéger. C’est un inadapté de la nouvelle société italienne, incapable physiquement de supporter le labeur qu’exigent les seuls travaux rémunérés pour lequel il apparaît apte, et trop passionné pour accepter de passer ses journées à s’abrutir dans un travail dur et répétitif. Il se retrouve alors, à l’instar des autres habitants de son bidonville, à choisir entre le vol et l’argent de la prostitution. Pasolini, en critique virulent de la société bourgeoise naissante, insiste sur le caractère inadapté du personnage, condamné à s’adapter à une vie difficile que son corps et son esprit exècrent ou à se pervertir dans de basses besognes immorales. Sa quête de pureté, motivée par le sentiment amoureux, le poussera à renoncer au proxénétisme. Reste alors pour lui à s’adapter… ou à mourir. Dès son premier film, Pasolini s’émancipe du mouvement cinématographique néoréaliste italien et, d’une certaine façon, en annonce la fin. Le film part d’une thématique sociale très forte et de toujours chère au cinéaste, qui a largement marqué sa solidarité avec les pauvres exclus de la société de croissance. Mais Pasolini cherche ici à éviter la description trop réaliste, l’approche presque documentaire du monde des banlieues déshéritées pour tendre vers un cinéma plus poétique, passant par une certaine sensibilité et un regard quasi mystique sur les personnages. Cette dualité entre réalisme et poésie se retrouve admirablement retranscrite dans le travail de mise en scène de Pasolini. «Accattone» est tourné dans un style direct, très frontal, alternant longs travellings et plans serrés sur les visages des protagonistes, style propice à une approche réaliste et objective de la thématique sociale. Mais cette simplicité de la mise en scène, qui annonce la manière cinématographique à venir du cinéaste, se mue ici en pureté via le travail sur la lumière blanche, lumière envahissante et éblouissante qui apparaît irréelle, et via l’utilisation de la musique de Bach (La Passion selon Saint Matthieu). On relèvera aussi une très belle séquence onirique qui ancre pleinement le film du côté du cinéma de la poésie. Dès lors, la pureté du travail de mise en scène permet de transcender la trivialité de cette tragédie politique en une œuvre empreinte de sacralité. «Accattone» devient une Passion et chaque séquence se charge d’une dimension allégorique alimentant la métaphore christique du film. On trouve dans «Accattone» les deux facettes contradictoires de Pasolini, ces deux facettes auxquelles le cinéaste n’adhère jamais complètement et qui créent cette dualité qui apporte toute sa complexité à son œuvre : son attachement à un certain rêve d’émancipation porté par le marxisme et son aspiration au sacré. C’est ici la sacralité qui emporte finalement le film, classant «Accattone» parmi les belles réussites du cinéaste.

[3/4]

jeudi 30 décembre 2010

« Médée » (Medea) de Pier Paolo Pasolini (1969)

    Le problème avec l'art de Pier Paolo Pasolini, c'est que s'il s'avère poétique il est peut-être plus encore symbolique, voire conceptuel et même politique (d'un symbolisme littéraire même : voyez le rôle primordial – car explicatif – que tient la parole dans son oeuvre!). Si « Médée » est d'une part un film pictural, illustratif, se « contentant » à l'instar de son « Oedipe Roi » et de « L'Evangile Selon Saint Matthieu » de mettre en images un texte d'une grande richesse, Pasolini y ajoute à un second degré sa sensibilité et soumet l'oeuvre de départ à sa vision, en plaçant derrière ses personnages et les diverses séquences du film des idées et un sens précis (principalement ici la nostalgie du sacré chez l'homme face à une modernité aliénante). C'est là qu'intervient le concept, je crois même que c'est là que réside la maladresse qu'il m'a semblé déceler dans plusieurs de ses longs métrages : les acteurs ne vivent pas réellement, ils restent relativement superficiels, réduits à leur physique et à l'idée qu'ils représentent. De même la structure du film est plutôt lâche, pas vraiment maîtrisée : certains passages sont très riches de sens, et le reste sert un peu d'« habillage » pour étoffer le tout. Le début par exemple est magnifique, comptant peut-être parmi ce que Pasolini a filmé de plus beau. Mais trop souvent par la suite il m'est apparu davantage se soucier du cliquetis de ses costumes, du baragouinage ou des danses rituelles de ses figurants que de l'émotion profonde de son film une fois le symbole amené. Entendons-nous bien, les oeuvres de Pasolini sont suffisamment riches et complexes pour fuir toute tentative de simplification. Néanmoins j'ai toujours trouvé ses films assez artificiels et « froids », d'une froideur toute intellectuelle, et je n'explique cette sensation que par le manque de cette essence purement cinématographique qui fait l'étoffe des grands chefs-d'oeuvres du 7e art à mes yeux... Je peux néanmoins me tromper (surtout qu'avant même la forme c'est peut-être en réalité le fond qui me gêne), quoiqu'il en soit « Médée » mérite le coup d'oeil, d'autant qu'il propose des plans magnifiques aux couleurs chatoyantes! Dommage par contre que certains anachronismes viennent rompre l'harmonie du long métrage, comme ces chants japonais mal synchronisés, surtout peu vraisemblables et détournant malencontreusement l'attention du spectateur... Pour le reste c'est sans doute l'un des meilleurs films de son auteur!

[2/4]

jeudi 14 octobre 2010

« Théorème » (Teorema) de Pier Paolo Pasolini (1968)

    Certes la forme de « Théorème » mérite que l'on s'y attarde quelque peu. En dépit de nombreuses maladresses, sa poésie est indéniable et justifie que l'on puisse parler de ce film en des termes élogieux : oui il s'agit certainement d'une des oeuvres cinématographiques les plus abouties de Pasolini. Toutefois la qualité formelle de « Théorème » reste relative : le montage est bancal, les prises de vues ne sont pas toujours très inspirées ni toujours bien maîtrisées, l'interprétation est plus qu'inégale,... Je suis peut-être le seul à penser une telle chose à propos de Pasolini : autant sa qualité d'artiste est difficile à remettre en cause, autant sa qualité de cinéaste me laisse un peu dubitatif (une fois encore c'est bien sûr relatif!)… Surtout que si l'on s'attarde sur ce qu'il a à nous dire dans le présent long métrage, la perplexité est de mise... Le fameux « théorème » à la base de son film tient plus du paralogisme que d'une approche bouleversante de la « vérité »! La rédemption par le sexe? Moui, pourquoi pas, mais l'on ne s'étonnera pas de rire aux dépens du réalisateur italien devant ces élucubrations capillotractées, débitées avec un sérieux imperturbable et un sens de l'emphase assez désarmant (Pasolini massacre allègrement le « Requiem » de Mozart, réduit à une simple rengaine soutenant des images en manque de puissance). Par ailleurs le problème est que Pasolini développe son « théorème » selon un schéma très convenu, tout en usant d'un symbolisme désuet et pas toujours très subtil. Sans parler de cette vision marxiste pour le moins rétrograde... Alors bien sûr on pourra soutenir qu'il faille garder à l'esprit l'humour du cinéaste italien, ce qui permet d'avaler plus sereinement la pilule, il est vrai. Mais regardons les choses en face : Pasolini met plus en scène son désarroi face à l'existence qu'autre chose, il s'agit avant tout d'un « cri » maladroitement exprimé, avec les réponses qu'il croit pouvoir y apporter. C'est bien sûr un geste émouvant, mais limité. Un film digne d'intérêt donc, mais à mon sens pas un chef-d'oeuvre du 7e art, loin de là.

[2/4]