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samedi 4 septembre 2021

« Vanko 1848 » – La Fortune des Winczlav, tome 1 de Philippe Berthet et Jean Van Hamme (2021)


 

    Jean Van Hamme s’essaie au préquel, en créant une mini-série de 3 tomes pour raconter les origines du célèbre héros Largo Winch… né Largo Winczlav. Le premier tome de cette trilogie suit les (més)aventures de Vanko Winczlav, jeune médecin monténégrin, ancêtre de notre milliardaire en blue jeans.

 

Ça commence très bien : Vanko est un héros à forte personnalité, aux prises avec les Ottomans dans des Balkans qui se déchirent, au XIXe siècle... Mais de rebondissements en rebondissements, Van Hamme nous perd peu à peu... Notre puis nos héros enchaînent les péripéties mouvementées et passent du coq à l'âne, de l'Europe aux États-Unis, et de New York au Far West... Tout va trop vite, même si le scénario se tient. C’est juste qu’il y avait matière à faire un récit encore plus ample, plus posé, qui nous aurais permis de savourer les séquences avec Vanko notamment, qui reste de loin le personnage le plus intéressant.

 

Si l'on ajoute à cela des passages assez racoleurs, on ne peut qu'être un peu déçu face à un scénario plutôt moyen pour un Van Hamme... Certes, on ne s'ennuie pas une seconde et l'auteur belge a bien plus de talent que beaucoup de ses contemporains. Mais je regrette que ses tics de narration prennent le pas sur l'audace ou l'originalité, et que le départ en fanfare ne tienne pas toutes ses promesses.

 

En fait, plus qu’à la série « Largo Winch » qu’il est supposé annoncer, cet album me fait penser à la saga « Les Maîtres de l’Orge », scénarisée également par Van Hamme. On retrouve cette galerie de personnages entre aïeux et héritiers, ballotés par les évènements avec des hauts et des bas, certains nous « gratifiant » de turpitudes scabreuses histoire d’appâter le chaland… Le tout formant un récit ample mais inégal, avec des protagonistes plus ou moins attachants.

 

Finalement, la bonne surprise c'est le dessin de Philippe Berthet. D'une très grande élégance, il est étonnamment sobre : il ne s'embarrasse pas de détails, mais ça lui réussit plutôt bien. D'autant que son dessin est magnifié par les belles couleurs de Meephe Versaevel. Le tout donne un cachet certain à cette bande dessinée, qui est un ouvrage de qualité, c’est indéniable. Loin des préquels et suites dévoyant des séries phares et historiques, regrettable manie à laquelle nous ont habitué les grands éditeurs de BD.

 

Au total, c'est un album solide que nous offrent les deux auteurs, et on le referme en ayant envie de lire la suite, le pari est donc réussi. Pour autant, avec leurs talents combinés je me dis qu'on aurait pu avoir quelque chose d'encore meilleur, ce que laissait penser le début... Je me pencherai sans hésiter sur les deux prochains tomes et je verrai bien si Van Hamme a eu raison de reprendre la plume.

 

[2/4]

samedi 21 novembre 2020

« Kivu » de Jean Van Hamme et Christophe Simon (2018)


     Une BD bouleversante... Van Hamme met un coup de projecteur sur la violence inouïe qui s'exerce en Afrique dans le Kivu, région de la République Démocratique du Congo où l'exploitation de minerai servant à la confection d'objets électroniques (tels que nos smartphones) conduit aux pires exactions... Heureusement, cette violence passe surtout ici par les mots, plus que par l'image, mais ce qui nous est raconté est terrifiant...

Vraiment, cette BD est un choc, tant la cruauté décrite donne la nausée... Et Van Hamme parvient à rendre compte du côté extrêmement dangereux de s'aventurer dans ce genre de zones, et encore plus de tenter de combattre les cruels auteurs de ces atrocités... Van Hamme nous dépeint une Afrique aux allures de Far West, où seule une Kalachnikov chargée permet de demeurer en un seul morceau...

Mais combattre ces exactions ce n'est pas seulement prendre les armes, c'est aussi, à l'image des Docteurs Denis Mukwege et Guy-Bernard Cadière, œuvrer pour panser les plaies, celles des corps comme de l'esprit. Ces deux chirurgiens humanistes, aidés de leurs équipes, réparent les femmes victimes de viols... Et ils ne s'arrêtent pas là, leur structure permet aussi à ces femmes d'apprendre un métier et de bénéficier de micro-crédits, pour pouvoir être autonomes et sortir du giron des exploiteurs divers. Ces deux médecins et leurs équipes dévouées sont une véritable lueur d'espoir, certes fragile, dans un océan de ténèbres...

Combattre ces exactions, c'est aussi prendre la plume pour décrire ce qui se passe dans ces contrées si lointaines, mais finalement si proches, car nos destins sont douloureusement entremêlés. C'est ce que fait Jean Van Hamme, en utilisant son talent et sa notoriété pour mettre en lumière l'engagement des Docteurs Mukwege et Cadière.

C'est ce qu'il fait aussi en n'omettant pas les manœuvres des multinationales occidentales, qui sont clairement complices de ce qui se passe là-bas. Elles financent des groupuscules armés qui leur permettent de garantir leur approvisionnement en minerai à bas coût, au prix de l'exploitation d'enfants et d'adultes dans les mines et en fermant les yeux sur les nombreux abus perpétrés quotidiennement... 

Pour ce qui est du dessin, Christophe Simon s'en sort plutôt bien. Son style classique et réaliste est agréable, même s'il pèche un peu par sa rigidité et un découpage pas toujours des plus lisibles. Néanmoins il remplit tout à fait son rôle et illustre de façon sobre et élégante ce récit terrible. Pour la petite histoire, Christophe Simon s'est rendu sur place à l'invitation du Docteur Cadière, qui a « commandé » ce récit à Van Hamme. Il en reviendra traumatisé par ce qu'il a vu. Et ce n'est pas le moindre de ses mérites que d'avoir su restituer l'horreur sans se laisser gagner par elle...

Pour conclure, en refermant cet album de bande dessinée, on ne peut oublier ce qu'on a vu et lu. On ne pourra pas dire que l'on ne savait pas. Voilà encore un pavé dans la mare, venant éclabousser cette économie qui martyrise une partie de la population mondiale pour en satisfaire une autre. Une œuvre qui donne à réfléchir, et qui ne fait que confirmer l'urgence de changer de modèle économique, et même de société...

[3/4]

samedi 23 février 2019

« Les Maîtres de l'Orge – Charles, 1854 » de Jean Van Hamme et Francis Vallès (1992)

    Je vais parler ici de l'ensemble des 8 albums qui constituent cette série de bande dessinée, débutée en 1992 et achevée en 2001. Jean Van Hamme a écrit une saga familiale s'étendant sur 4 générations, et dont chaque tome s'attarde sur un personnage en particulier, sans pour autant délaisser le reste de la famille. Le tout est mis en images avec un talent certain par Francis Vallès.

Le premier tome s'ouvre au XIXème siècle, sur le futur patriarche de la famille, Charles Steenfort, alors qu'il est novice dans un monastère. Sa vie va rapidement se voir chamboulée, et il va tirer parti du savoir-faire des moines en la matière pour créer sa propre brasserie, qui deviendra l'une des plus importantes de Belgique, pays dans lequel se déroule l'intrigue. Bien évidemment, son ascension sociale va créer des convoitises, et la charge de son entreprise prospère va se révéler bien lourde à porter, par lui comme par ses descendants.

En fait, je vois dans cette saga comme le double opposé de la série Largo Winch, du même Jean Van Hamme. Largo Winch n'a pas de famille, ici c'est celle des Steenfort que l'on observe se débattre. Largo est un homme au grand cœur, une sorte de héros des temps modernes idéaliste, et sans doute idéalisé. Charles Steenfort est plutôt un opportuniste machiavélique, prêt à tout pour asseoir son pouvoir et développer son entreprise. D'ailleurs, sa brasserie, je me répète, aura de sombres répercussions sur sa famille.

La série Largo Winch n'est pas vraiment datée, tout au plus peut-on deviner qu'elle se déroule dans les années 90, 2000 ou 2010. « Les Maîtres de l'Orge » est une série au contexte historique fort : chaque album débute par les faits marquants de l'année durant laquelle il se déroule. Les Steenfort ne sont pas épargnés par les grands évènements de leur temps : maladie, crise économique, guerre, grèves... De plus, Largo Winch est une série aussi légère et rayonnante que celle des « Maîtres de l'Orge » est lourde et ténébreuse.

Car ces deux séries ne présentent pas la même vision du monde économique. Dans Largo Winch, argent et pouvoir corrompent, certes, notamment ces grands barons du groupe W, mais Largo présente un visage humain, il est une sorte de philanthrope milliardaire, et si ses responsabilités lui pèsent, il ne semble pas tant que ça atteint par le démon de l'argent. D'ailleurs, son idéal est ailleurs, il a sans doute d'autres visées.

Dans « Les Maîtres de l'Orge », la brasserie familiale est comme une sorte de Moloch, un maître sans pitié qui consume ses serviteurs, la famille Steenfort, qui lui consacrent leur vie. Le monde des entreprises y est plus noir : pour s'en sortir, pour survivre même, les protagonistes de la saga semblent prêts à tout, et doivent même se renier. Le personnage le plus exemplatif est celui d'Adrien, véritable pivot de la série, qui va consacrer sa vie à la brasserie Steenfort et la finir dans la douleur. Sa famille ne sera plus tout à fait la même, et ses héritiers vont fort heureusement infléchir la tendance, malgré les épreuves qu'ils vont rencontrer.

Si les premiers tomes sont difficiles, parfois même sordides, la fin des « Maîtres de l'Orge » se fait plus lumineuse. Elle vient redonner du sens à l'ensemble, de façon peut-être facile jugeront certains, pour ma part je ne pouvais imaginer meilleure conclusion. L'ensemble se révèle une fresque ambitieuse, avec laquelle on apprend (un peu) la confection de la bière, et plus encore le quotidien d'une entreprise familiale à travers le temps. Il y a des hauts et des bas, des moments émouvants et tragiques, d'autres un peu plus « faciles », voire inutiles, mais dans l'ensemble on suit avec intérêt l'histoire de cette famille si singulière et ordinaire à la fois.

A noter que le tome 8 est une sorte de hors série, qui vient éclaircir les zones d'ombre de cette saga, dans un esprit de mise en abime amusant et bien mené par Van Hamme. Une façon de conclure une seconde fois la série, en lui apportant encore un peu plus de densité. Bien vu !

En somme une saga adulte, un peu aride et dure, pas toujours aussi « aimable » que peuvent l'être les séries phares de Van Hamme (« Thorgal », « Largo Winch » et  « XIII », au début du moins), mais qui apporte sa pierre à l'édifice de la bande dessinée franco-belge.

[3/4]

lundi 30 avril 2018

« Largo Winch – L'Héritier » de Philippe Francq et Jean Van Hamme (1990)

    Peu de gens le savent, Largo Winch a d'abord été créé par le célèbre scénariste belge Jean Van Hamme au format roman. Il a ensuite décidé d'adapter ces ouvrages en bande dessinée avec Philippe Francq au dessin. Si je n'ai pas lu lesdits romans, j'ai lu tous les albums BD de Largo Winch à ce jour au moins une fois, et ces derniers temps je me suis lancé dans une relecture de la série depuis le début. J'ai toujours bien aimé cette série, synonyme pour moi de bon divertissement, à prendre au second voire au troisième degré. De fait, j'imagine que les bouquins d'origine relèvent du roman de gare, car les ingrédients de la série sont action, aventure, intrigues politico-financières, attrait pour le billet vert, mais aussi filles faciles (et facilement dénudées) ainsi qu'humour sous la ceinture. Difficile donc de vraiment prendre cette série au sérieux.

Pour autant, je la regarde aujourd'hui avec un œil un peu nouveau. Je me demandais dernièrement, en réfléchissant à un héros tel que Lefranc (ici), quelle pourrait être la profession d'un héros du XXIème siècle. Et je pensais fortement à Largo Winch, car le héros d'aujourd'hui semble être le chef d'entreprise, qu'il soit héritier ou entrepreneur. Il n'y a qu'à voir le succès qu'ont auprès des jeunes des personnes comme Mark Zuckerberg (PDG de Facebook), Elon Musk (PDG de Tesla ou de Space X, ayant le projet de coloniser Mars ou d'implanter des émetteurs dans le cerveau), Jeff Bezos (PDG d'Amazon) ou encore les PDG d'Airbnb, Uber ou Snapchat.

Dans un monde fini comme le nôtre, où quasiment tout le globe est connu, où l'aventure épique semble avoir disparu, quelques années après qu'un pseudo-intellectuel américain (Francis Fukuyama pour ne pas le nommer) ait parlé de « fin de l'histoire » pour qualifier notre époque, une époque gavée d'images, ou le narcissisme règne en maître et où l'argent est roi, érigé comme valeur suprême (au sens propre comme figuré), l'entrepreneur à succès est naturellement le héros auquel (presque) tout le monde veut ressembler. On ne demande plus à notre héros d'être cultivé ou magnanime, juste d'être un bon opportuniste, prêt à tout pour arriver à ses fins.

Tel pourrait être le portait robot de Largo Winch... sauf que Van Hamme est un auteur de « l'ancien monde », du XXème siècle, et qu'il a doté Largo de certaines qualités appréciables. Ainsi c'est un beau gosse volage et casse cou, mais il est également généreux, courageux, fidèle en amitié, et tient à utiliser son argent à bon escient, même s'il n'est pas dupe de la difficulté pour un PDG multi-milliardaire de conserver jusqu'au bout son éthique. Mais ce qui caractérise peut-être le plus Largo est qu'il est quelqu'un de responsable. Il se sent responsable envers ses amis, mais aussi ses salariés et ses clients finaux. La charge de PDG est lourde, très lourde, et il le sait mieux que quiconque. 

D'autant que sa fortune comme sa puissance attirent les requins de tous bords... même – et surtout – au sein de son comité exécutif ! Et c'est là tout le sel de cette série. Son intérêt ne réside pas dans les montages financiers complexes que Van Hamme se plaît à échafauder (et qui nous perdent un peu), mais dans cette lutte de tous les instants entre Largo et ses fourbes top managers, qui ne rêvent que de le faire disparaître pour prendre sa place. Le monde de l'entreprise est ainsi, c'est un véritable panier de crabes où l'on n'est jamais à l'abri de se prendre un coup de poignard dans le dos...

Par conséquent, les aventures de Largo sont souvent palpitantes et pleines d'imprévu. Et si Largo doit beaucoup à Van Hamme, son véritable géniteur... il doit aussi beaucoup, au format BD, à Philippe Francq et à son dessin d'une limpidité exemplaire (« j'essaie de faire du "fouillé-simple" » indique Francq lors d'une interview). Le trait de Francq arrive en effet à concilier deux extrêmes : souci du détail et parfaite lisibilité, le tout grâce à cet héritage de la fameuse ligne claire. Le résultat est bluffant : si Francq s'améliore d'album en album, les premiers étant encore un peu maladroits, il atteint vite une certaine virtuosité, lui permettant de dessiner des plans improbables et de spectaculaires scènes d'action, renforçant le caractère trépidant de la vie mouvementée que mène Largo.

Aventure et rebondissements, complots et trahisons, amitiés et amours d'un soir, grivoiserie et humour... et cette gravité propre à Largo, sorte de mix entre Corto Maltese, James Bond et Thorgal. Voici les caractéristiques d'une série portée par un héros au grand cœur et attachant. Une série bien plus intéressante qu'il n'y paraît au premier abord, comme un miroir de notre époque actuelle et de ses contradictions... mais aussi de ses idéaux.

[3/4]