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lundi 5 juin 2017

« Les Infiltrés » (The Departed) de Martin Scorsese (2006)

    A ma connaissance, « Les Infiltrés » est le premier et peut-être même le seul film de Martin Scorsese à traiter du grand banditisme sans être complaisant. Film d’action et à suspense, mais aussi film psychologique, duel impitoyable entre deux figures si proches et pourtant que tout oppose, deux infiltrés chacun dans le camp de l’autre : Leonardo DiCaprio, en flic intègre seul contre tous, et Matt Damon en jeune surdoué et taupe chez les flics, sous le patronage de son mentor, le parrain de la mafia locale, Frank Costello, magistralement interprété par Jack Nicholson. Film d’action donc, mais d’action sèche. L’habituel grand guignol scorsesien, manifestation de l’hubris, est personnifié par Nicholson. Mais le récit, ce qui se trame, les choix qui sont fait par les personnages, et leurs conséquences funestes, tout cela est traité avec une neutralité qu’on retrouve rarement chez Scorsese, qui réalise là comme une sorte de documentaire sur l’infiltration. La fin est à ce titre tout à fait illustrative : expéditive, terrible, et pourtant elle dit tout de la condition des deux protagonistes principaux, de leur situation sociale, affective, psychologique. Et de leurs choix, toujours. Rarement un film de Scorsese m’aura autant tenu en haleine. Je l’avais vu peu de temps après sa sortie, cela fait un peu plus de 10 ans. Je l’ai revu récemment et il n’a pas pris une ride. Sorte d’affrontement métaphysique, thriller policier bien plus complexe qu’il n’y paraît, c’est pour moi une vraie réussite dans le genre. L'opposition qui est faite entre le parcours des deux protagonistes principaux est très intéressante, et me fait penser à « Chien Enragé » de Kurosawa : la frontière qui différencie un gangster d'un policier est parfois (ou souvent ?) extrêmement ténue. Il suffit d'un rien pour qu'un homme bascule du « côté obscur », et toute la force de ce film réside dans le fait que le personnage de flic joué par DiCaprio aurait pu très bien tout abandonner pour devenir à son tour un gangster, tant son vécu est lourd de déconvenues familiales et sociales. Pour autant, contre toute attente, il tient bon. Et c'est ce qui fait toute la grandeur de ce personnage, intègre jusqu'au bout, de façon presque irraisonnée. Ajoutons à cela un casting excellent, avec Martin Sheen et Alec Baldwin et en particulier le savoureux personnage joué par Mark Wahlberg, et nous obtenons un remarquable film policier. Certes, je n’ai pas vu « Infernal Affairs », le film d’origine dont « Les Infiltrés » est le remake, cela explique peut-être mon engouement que certains trouveront démesuré. Il est vrai également que Scorsese ne fait pas non plus toujours dans la dentelle, et qu’on trouvera bien plus subtil. Toutefois à mon sens ce long métrage dénote dans la filmographie de Scorsese, en termes d’intensité et de profondeur (si si !), figurant dans ses meilleures réalisations, à réserver comme bien souvent avec lui à un public averti.

[3/4]

samedi 25 mars 2017

« Silence » de Martin Scorsese (2017)

    « Silence » est un film marquant et une réussite par bien des aspects. Tout d'abord par son esthétique, soignée : une très belle photographie, et surtout des plans époustouflants d'une nature sauvage, notamment de bords de mer rocailleux, battus par des vagues puissantes, et de terres arides parsemées d'émanations de souffre menaçantes. Ensuite et surtout par son thème et son traitement : la tentative par les Jésuites de convertir au catholicisme les Japonais au XVIIème siècle. Mais Martin Scorsese fait de « Silence » bien plus qu'un film historique. C'est un long métrage qui pose de façon intelligente et subtile la question de la foi. Jusqu'où est-on prêt à souffrir pour sa foi ? Et d'ailleurs qu'est-ce que la foi ? Justifie-t-elle qu'on se batte pour elle, voire qu'on meure pour elle ? Dieu nous entend-il ? D'ailleurs existe-t-il ? Nous parle-t-il ? Ou au contraire est-il cruellement silencieux ? Ou bien n'est-ce qu'une invention pour réconforter les cœurs en ce bas monde, fait de souffrances en tous genres, de la guerre en passant par la maladie ou la famine ? Scorsese ne nous donne pas de réponse, mais il n'oriente pas non plus dans une direction plus qu'une autre, j'entends par là qu'il est respectueux des chrétiens, tout comme des Japonais. « Silence » est avant tout une peinture implacable car fidèle, presque objective, d'une quête qui se révèle impossible : tenter d'imposer une autre religion à un peuple à la culture très forte, et très différente. Or les Japonais ne sont pas cruels par nature, s'ils persécutent les chrétiens, c'est pour une raison très simple et très censée : le christianisme leur semble dangereux politiquement, le Shogun de l'époque ne pouvant se permettre de voir son autorité bafouée par des sujets avec un nouveau maître, autre que lui : Dieu. De là en découlent des atrocités contre la population nouvellement convertie et les Jésuites, qui choquent par leur cruauté, même si Scorsese reste mesuré dans leur représentation. Il s'agissait en effet de faire des exemples, et les Japonais se sont montrés particulièrement inventifs en la matière... Mais fort heureusement l'intérêt du film n'est pas là, si j'ose dire. Martin Scorsese s'attarde davantage sur les doutes qu'éprouvent les deux protagonistes principaux, deux jeunes Jésuites au début pleins de fougue, confrontés à l'épreuve ultime de tout croyant : le martyre pour sa foi. Tous deux nous permettent à notre tour de nous remettre en question et c'est en cela que « Silence » est très fort. Avec des images tantôt sublimes tantôt terribles, il nous interroge sur le moteur de tout être humain et nous demande : en quoi est-ce que tu crois ?

[3/4]

samedi 27 décembre 2014

« Le Loup de Wall Street » (The Wolf of Wall Street) de Martin Scorsese (2013)

    Indéniablement, ce film est bien réalisé, bien écrit, bien joué. On ne s'ennuie pas une seule seconde, on rigole devant tant de bêtise (la scène où Belfort, complètement ravagé par une drogue expérimentale, veut conduire sa Lamborghini, la scène des nains, et plein d'autres), on est estomaqué devant la cupidité de ces courtiers. Mais on ressent une sorte de malaise diffus pendant tout le long métrage. Où veut donc en venir Scorsese ? On a le droit à la sempiternelle trajectoire ascension fulgurante / gloire et excès / et chute brutale (cf. « Raging Bull », « Les Affranchis » ou « Casino »). Mais Scorsese est-il critique envers ce jeune loup aux dents acérées et qui veut faire sa fortune sur le dos des gens ? Ou se laisse-t-il plutôt fasciner par toute cette débauche de fric, de drogue et de sexe qu'il filme avec une grande précision (et une grande complaisance) ? Je ne sais pas mais j'ai ma petite idée : sans doute les deux... même s'il penche peut-être davantage pour la deuxième option. Scorsese a toujours été ambivalent dans ses films sur la mafia, souvent violents : il semblait comme ébloui par le clinquant de ses mafieux et leurs excès en tous genre. Seule la chute venait timidement les ramener à la réalité. Ici, on peut dire qu'on a droit à 3h de sexe en tout genre avec prise de toute une variété de drogues, brillamment documentées par la voix-off et la constatation des effets. Cela comporte deux dangers : 1) croire et faire croire que la finance « est vraiment comme ça », alors que c'est le fait, certes bien réel, de quelques individus seulement ; 2) inciter des jeunes à devenir à leur tour des traders cupides et dégénérés, avides d'argent facile, de sexe et de drogue. Car tout semble réussir aux anti-héros de Scorsese, et ils semblent s'éclater à fond. Pourquoi, dans ce cas, ne pas les imiter ? Tout comme le fameux « Wall Street » d'Oliver Stone en son temps, « Le Loup de Wall Street » sera sûrement (j'en mettrais ma main à couper) le déclencheur de bien des carrières de jeunes requins prêts littéralement à tout pour s'enrichir facilement et rapidement aux dépens des autres. Toutefois, je reconnais une chose à Martin Scorsese, c'est qu'il nous dit que personne n'est innocent : les pigeons arnaqués par Belfort et sa bande voulaient s'enrichir rapidement sans chercher à comprendre comment, tout comme l'assemblée du dernier plan, prête à recevoir les enseignements de Belfort pour à son tour devenir une bande d'arrivistes sans foi ni loi. De ceux qui exigent des rendements excessifs (ça peut être le petit retraité de Californie comme l'épargnant français de base) aux opérateurs de marché complètement immoraux, non, personne n'est innocent.

PS : il convient de noter qu'auparavant, la profession de trader ne nécessitait pas d'avoir fait d'études. Ce qui explique l'absence de vision de ces individus à l'époque, et aussi l'hypocrisie de l'époque actuelle qui forme des flopées de Bac + 5 pour faire de la vente pure et simple, d'où les mécanismes complètement tordus créés par ces têtes d’œuf frustrées, qui nous on conduit à la crise que l'on connaît.

[2/4]

mercredi 9 mars 2011

« Shutter Island » de Martin Scorsese (2010)

Le conformisme absolu érigé en manière cinématographique. Et qu’on ne vienne pas me parler « d’hommage » au cinéma américain de Lynch ou de Kubrick (version « Shinning »), car le film de Scorsese non seulement ne propose rien mais ne dit même rien sur ses références (ce qui éventuellement serait l’intérêt de ce fameux hommage). « Shutter Island » est un film qui ne sert à rien (même pas à divertir), déjà fait avant d’être tourné, déjà vu avant d’être projeté. Scorsese réalise ici un film paresseux, rassurant pour le spectateur en cela qu’il ne lui demande aucun investissement et qu’il lui permet de se retrouver dès les premières minutes en terrain connu. Même dans ses références, Scorsese reste très frileux et bien peu aventureux, comme s’il digérait enfin, avec 20 à 30 ans de retard, les propositions cinématographiques de ses contemporains américains (Lynch par exemple, dont on en vient à regretter qu’il n’ait pas réalisé ce film, preuve s’il en est de notre désœuvrement). Si l’on demandait à Scorsese de nous parler de l’art contemporain, peut-être nous parlerait-il du cubisme et de Picasso… Je serai même plus intransigeant encore en disant que tout est pitoyable dans « Shutter Island » : les scènes oniriques nous font soupirer d’exaspération (avec les pétales de fleurs qui tombent au ralenti, avec le faux réveil dans le rêve), le traitement de l’image par filtres rappelle Amélie Poulain (sous ma plume, cette référence est une insulte), le twist final est prévisible au bout d’une heure de film et ne parvient en aucun cas à sauver l’incohérence de l’ensemble, les quelques incursions de Scorsese dans le numérique sont d’une laideur très datée, qu’on aurait pu penser dépassée depuis belles lurettes… Si vous voulez voir ce qu’est devenu le « grand » cinéma américain (n’oublions pas que Scorsese a de hautes prétentions artistiques, ou, en tout cas, la critique les lui attribue), alors observez le spectacle attristant proposé par ce film mièvre qui illustre à merveille cette asphyxiante médiocrité de cœur et d’esprit qui caractérise le cinéma made in USA. J’avais déjà eu une impression quasi similaire en voyant le film qui signait le retour de Coppola, « L’homme sans âge », mais à l’époque j’avais eu un peu de peine pour le cinéaste ce qui m’avait permit d’éviter le sentiment d’agacement. Je pourrai en dire de même du dernier Polanski, « The Ghost Writer », et je suis sûr que si j’étais un peu plus spectateur de ce cinéma-là, la liste pourrait être longue. Ces films sont tous les mêmes et sortent tous du même moule : celui d’un cinéma en roue libre qui a abandonné toute réflexion sur lui-même (cela pourrait être une définition de la mort du cinéma). Je le disais en introduction, c’est un cinéma conformiste. Ce qui est déprimant, c’est qu’il est en cela conforme aux attentes du public…

[0/4]