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dimanche 2 octobre 2022

« Fossora » de Björk (2022)

 


    Björk continue sur sa lancée et nous offre une fois encore un album avant-gardiste et audacieux, au risque de nous perdre un peu plus dans les méandres de son inspiration tourmentée... Son refus obstiné de la mélodie depuis au moins 3 albums, sinon depuis « Medúlla », m'a quelque peu tenu à distance de sa carrière au fil des années. « Medúlla » est un de mes albums préférés, et j'ai beaucoup d'estime pour « Volta » et « Biophilia ». Mais aucun des albums suivants n'est parvenu à réellement me convaincre...

A mon sens, elle est allée trop loin, depuis « Vulnicura », dans l'abstraction et la déconstruction de sa musique. Des sons, c'est bien, mais personnellement je préfère des mélodies, même (et surtout) si elles sont sophistiquées. Ici, c'est tellement déstructuré qu'on ne peut se raccrocher à rien, et pire, qu'on prend bien peu de plaisir à écouter cet album. Je note un mieux par rapport au précédent, « Utopia », qu'il faut tout de même que je réécoute. Je me demande même si cette exigence affichée n'est pas aussi un moyen de masquer un manque d'inspiration et de parachèvement de ses derniers essais...

Mais de toute façon, cela fait un moment que j'ai fait le deuil de cette artiste, sa musique n'est plus trop pour moi... J'étais allé la voir en concert à la Seine Musicale cette année, où elle chantait accompagnée d'un orchestre. Les seules chansons que j'ai appréciées... étaient ses grands classiques. Les autres m'ont complètement décontenancé et je comptais les minutes avec impatience...

J'accueille donc « Fossora » avec une indifférence polie, saluant l'exigence de Björk, mais de loin, comme pour quelqu'un avec qui on n'aurait plus grand chose à partager. Ce qui m'attriste, car il y a un peu plus de 10 ans (déjà), elle faisait encore partie de mes 10 ou 15 artistes musicaux préférés…

[2/4]

samedi 9 avril 2022

« Artifacts - The Collected EPs, Early Works & B-Sides » de Beirut (2022)


 

     Parler de la compilation « Artifacts » de Beirut, c’est forcément revenir sur l’histoire de ce groupe singulier, et notamment de l’homme-orchestre qui est derrière : l’Américain Zach Condon. Né à Albuquerque, au Nouveau-Mexique, il a grandi à Santa Fe, la capitale de cet état. C’est là que le jeune adolescent de 14 ans va se mettre à composer dans sa chambre des morceaux de musique pour passer le temps, lors de ses longues nuits d’insomnie.

 

Véritable éponge à la curiosité sans limites, le jeune Zach accumule les instruments réels ou électroniques dans sa chambre, elle-même décorée de cartes du monde entier, que l’adolescent rêve d’arpenter. Il bricole, il bidouille des boucles électroniques, il enregistre des morceaux d’abord relativement simples, puis de plus en plus complexes, jusqu’à façonner peu à peu la signature musicale qui a fait la renommée de Beirut : un mix entre instruments à cuivre traditionnels et boucles électroniques lo-fi poétiques.

 

Sous le nom de Beirut, le jeune prodige signe d’abord deux albums, à 20 et 21 ans, qui vont forger sa réputation, inspirés par la musique des Balkans et la chanson française (surtout pour le second). Avec son troisième album, « The Rip Tide », Zach effectue un nouveau départ et livre son album de la maturité : à la fois épuré et percutant, il a digéré tout l’apport de ses influences pour en faire quelque chose d’original, simple et profond en même temps.

 

Mais à force de tirer sur la corde et d’avoir la bougeotte, après des tournées éreintantes, Zach fini épuisé. Il enchaîne les déconvenues, dont un divorce, et sort son quatrième album, « No No No » dans la douleur, alors qu’il souffre d’une crise d’inspiration. Clairement, avec cet album, on découvre un Beirut en petite forme, loin de ses flamboyants débuts.

 

Il décide alors de quitter les États-Unis pour l’Europe qu’il aime tant, et s’installe à Berlin. Une nouvelle vie commence pour lui, et il nous livre un nouvel album, le dernier à ce jour : « Gallipoli ». Un album pas tout à fait au niveau de ses trois premiers, mais qui prouve qu’il a encore du talent à revendre.

 

Aujourd'hui, après (déjà !) 20 ans de musique, c’est dans cette envie de faire le bilan que le projet de la compilation « Artifacts » a vu le jour. Zach est allé plonger dans ses archives personnelles et ses vieux disques durs pour en extraire les morceaux que l’on retrouve sur ce double disque. Certains nous sont déjà connus, comme ceux des EP Lon Gisland et Pompeii (tous deux magnifiques), et quelques autres faces B. Pour le reste, nous avons le droit à des morceaux pour beaucoup intéressants, même si certains sont inégaux, et même à de véritables pépites.

 

Il y a à boire et à manger : 26 titres pour 1h30 de musique ! Autant dire que c’est un opus qui ne s’apprécie pas en une fois, sous peine de passer à côté de pas mal de choses. C’est à force d’écoutes et de réécoutes que ce double album révèle ses charmes : une belle plongée dans l’univers musical de Beirut, avec des morceaux finalement variés, mettant en valeur les différentes facettes du compositeur et musicien talentueux qu’est Zach Condon. Un véritable périple musical, avec ses expérimentations, ses moments de bravoure et ses phases d’accalmie.

 

Autant dire que c’est du pain béni pour tout fan du groupe, ou même pour tout amateur de musique vivante, ayant une âme, mixant tradition millénaire et modernité actuelle. Clairement, pour découvrir Beirut ne commencez pas par « Artifacts », préférez leurs deux premiers albums. Mais si vous cherchez à approfondir l’œuvre du groupe, c’est un nouveau passage obligé.

 

PS : détenir la version physique, CD ou vinyle, est un vrai plus : elle contient un livret qui explique l'histoire derrière chaque chanson, et c'est passionnant !


[3/4]

« Where The Viaduct Looms » de The Flaming Lips et Nell Smith (2021)


 

    Un sympathique album de plus pour les Flaming Lips. C'est clairement un album mineur, mais tout sauf honteux. Il consiste en un album de reprises de chansons de Nick Cave par les Lips et Nell Smith, une jeune adolescente de 14 ans, repérée par le groupe alors qu'elle figure au premier rang d'un de leurs concerts, déguisée en perroquet (sic !).

 

Le résultat est probant : bien sûr, la voix de Nell est encore fragile et brute, sans beaucoup de nuances, mais fondue dans le son si reconnaissable des Lips et la production du génial Dave Fridmann, le résultat est d'une grande beauté. C'est un album au ton très atmosphérique, léger, presque éthéré, poétique...

 

Nell Smith n'a pas encore de vraie signature vocale et de vraie personnalité musicale, ce qui fait que l'album sonne avant tout comme un album des Lips avec une voix féminine. Il me semble moins « fort » que l'album que les Lips ont enregistré avec les Deap Vally (sous le nom de Deap Lips), un album qui me semble très sous-estimé au vu de sa grande qualité et de son originalité bienvenue, les deux groupes se mariant très bien, créant une esthétique singulière.

 

Ici, nous sommes donc avec un opus simple, davantage premier degré, mais néanmoins très beau. Qui prouve que les Flaming Lips ont décidément un talent intarissable, un goût inépuisable pour l'expérimentation, avec beaucoup d'audace, et un don rare pour se renouveler. C'est ce qui explique leur si longue longévité, exceptionnelle pour un groupe de musique capable de livrer autant d'albums réussis, dont certains figurent parmi les albums majeurs des 30 dernières années, rien que ça.

 

[3/4]

dimanche 20 mars 2022

« For the Sake of Bethel Woods » de Midlake (2022)

 

    Plusieurs écoutes sont souvent nécessaires avec Midlake pour se faire un avis un minimum construit sur leurs albums, tant ils sont finement construits, avec une composition et une instrumentation complexes, les musiciens du groupe étant de vrais virtuoses. C'est encore le cas ici.

Ma première impression se renforce au fil des écoutes : c'est encore un opus solide, mais il lui manque un quelque chose pour pleinement me satisfaire. « Antiphon » était un énorme grower, c'est devenu un de mes albums favoris de Midlake, tant il regorge de chansons subtiles et puissantes.

Ici, les lignes mélodiques sont plus éparses, l'album manque de lignes directrices claires, les chansons semblent moins abouties et restent de beaux brouillons, pleins de promesses à moitié tenues...

Il n'est pas impossible que ma note monte d'un point au fil des écoutes, mais j'ai l'impression que c'est un album tout de même un net cran en-dessous du précédent, « Antiphon », qui avait mis la barre très très haut. Je suis donc un peu déçu, mais ce n'est pas non plus catastrophique, et je vais continuer à suivre la carrière de Midlake avec attention.

[2/4]

 

dimanche 16 mai 2021

« Dream Songs: The Essential Joe Hisaishi » de Joe Hisaishi (2020)


 

    Une solide compilation, qui reprend les morceaux phares des bandes sons signées Hisaishi, notamment des films de Miyazaki et de Kitano. Il me semble que la majorité des titres ont été réenregistrés par rapport aux bandes originales, car on entend des variations subtiles mais néanmoins perceptibles, sans que cela altère le plaisir qu'on éprouve à les écouter.

 

Un des gros intérêts de cette compilation est qu'elle comporte également des morceaux issus des albums personnels d'Hisaishi, dans un style de musique classique contemporaine mixant harmonieusement influences extrême-orientales et occidentales. Des albums moins bien distribués sur le continent européen et qui comportent quelques véritables pépites.

 

Toutefois, si je devais adresser un reproche, c'est que cette compilation, surtout sur le 2e CD, propose des versions réduites au piano de certains titres phares tirés de BO de films composées par Hisaishi, alors qu'ils sont à la base taillés pour un orchestre symphonique. Je pense par exemple à la suite tirée de Nausicaä, qui est un véritable chef-d’œuvre dans sa version symphonique, dont je ne me lasse pas. Et qui rend forcément (beaucoup) moins bien au piano seul...

 

Pour le fan (que je suis), cette compilation constitue un complément aux albums des BO d'Hisaishi et n'est donc pas un mauvais investissement, car elle permet d'avoir des versions alternatives de certains de ses titres phares. En revanche, pour celui ou celle qui recherche la compilation ultime de Joe Hisaishi, il lui faudra passer son tour... Même si on n'en est vraiment pas passé loin et que je recommande tout de même ce double album, d'une grande qualité.

 

[4/4]

samedi 25 juillet 2020

« What's Going On Live » de Marvin Gaye (1972)


En attendant la critique de l'album studio.

La version live de l'un des plus grands albums de tous les temps. Une sacrée gageure, dont Marvin Gaye et son backing band s'acquittent fort honorablement. On est un peu perdu au début avec la réinterprétation un peu chaotique des titres finaux de l'album. Puis vient l'enchaînement des 5 premiers titres, What's Going On en tête. Magistral. Certes, c'est plus maladroit que dans l'album, mais vu la complexité et la richesse des arrangements, c'est plus que normal.

Le principal, c'est que Marvin réussisse à reproduire la même tension, la même montée en puissance. 5 titres déchirants, indissociables les uns des autres. Ne manque que Mercy Mercy Me dans cet album live – étonnant quand on connaît l'importance de cette chanson. Et puis la reprise en toute fin de What's Going On vient enfoncer le clou : on est lessivé, essoré face au déluge émotionnel de l'album phare de Marvin. Quel bonheur !

Cet album se révèle indispensable pour tout fan de Marvin Gaye et plus largement de soul. Ok, l'album studio reste indépassable. Mais cette version live vient donner encore davantage d'humanité à ces chansons extraordinaires. Les albums live de Marvin Gaye ne sont pas nombreux, alors autant en profiter, savourons le plaisir d'écouter cette version, qui donne un nouvel éclairage à ce chef-d’œuvre intemporel.

Marvin : « I just want to ask a question, who really cares ? »
Une femme dans le public : « I care ! »

On ne peut que lui donner raison...

[4/4]

vendredi 1 février 2019

« Gallipoli » de Beirut (2019)

    Il y a deux types d'albums. Ceux où les singles s'avèrent être l'arbre qui cache la forêt : les autres titres se révèlent aussi bon voire bien meilleurs que les quelques chansons mises en avant. Et il y a ceux où derrière les singles ne se cache pas grand chose... C'est hélas le cas de « Gallipoli ».

Zach Condon, la tête pensante et l'homme orchestre derrière Beirut, semble tourner en rond. Certes « Gallipoli » a plus de corps que « No No No », écrit et sorti alors que Zach se remettait d'une dépression. Mais ici, on a toujours envie d'ouvrir les fenêtres. Bon sang Zach, mais lâche toi ! Ton approche, inspirée par le meilleur des influences européennes et américaines, est géniale : puiser dans le folklore, à la frontière entre musique savante et populaire, en mixant instruments réels sonnant merveilleusement bien et électronique, avec quelques distorsions pour relever le tout. Personne ne fait ça mieux que toi. Alors pourquoi rester sur ces accords « fermés » ? Tu enchaînes 3-4 accords, puis tu reviens sur le premier, et tu tournes en boucle. Pourquoi ne crois-tu plus en toi ?

Je ne sais pas vous, mais quand les cuivres et les cordes s'emballent à partir de quelques accords prometteurs, je me de dis que ça y est on va décoller, comme avec la musique symphonique française fin XIXème - début XXème (Fauré, Debussy et Poulenc en tête) ou comme avec les meilleures musiques de films (Bernstein, Legrand – paix à son âme – ou encore Hisaishi, si si !). Condon aurait pu se faire beaucoup plus lyrique sans verser dans la caricature, tellement sa musique sonne « juste », tant elle est fine et subtile. On est comme coupés dans notre élan, les envolées que l'on souhaiterait encore plus généreuses se révèlent un peu chétives, ou tout du moins hésitantes. L'assurance triomphante de « The Rip Tide » s'est envolée.

D'autant plus dommage que l'univers musical et artistique de Zach Condon est particulièrement riche, sorte de Jack London de la pop, génial vagabond, perdu entre ports et bouges du monde entier, véritable éponge musicale ayant réussi à digérer ses multiples et hautes influences. Sa musique est une magnifique invitation au rêve et au voyage.

Malheureusement les seules vraies chansons de cet albums sont Gallipoli et Landslide, les deux singles mis en avant avant la sortie de l'album. Le reste de l'album se divise entre pistes purement musicales (on comprend désormais que c'est le cache misère de Condon) et titres chantés inachevés, le tout faisant presque office de remplissage et de liant. Oh certes, c'est du très bon remplissage, du remplissage élégant et distingué, mais qui peine à assouvir notre soif du Beirut des grands soirs ! La production ample et somptueuse, les gimmicks sympathiques, ne suffisent pas à combler mes (très hautes) attentes.

Alors bon, je mets une note très généreuse à cet album, d'ailleurs après une deuxième écoute il remonte déjà dans mon estime. Mais si vous espérez que Condon réédite l'exploit de ses deux premiers chefs-d’œuvre ou celui de « Rip Tide », l'album de la maturité qui ouvrait à des nouveaux horizons, passez votre chemin. Si vous avez décidément du mal à tourner le dos à ce musicien attachant, alors venez vous consoler avec « Gallipoli », en rêvant au bouleversant chef-d’œuvre qu'il aurait pu être...

[3/4]

mercredi 17 octobre 2018

« Brol » d'Angèle (2018)

    Il est peu probable que vous n'ayez pas entendu parler d'Angèle, de plus en plus présente dans les média depuis 1 an et la sortie de ses 3 premiers singles, avant celle de son album le 5 octobre dernier. Elle a véritablement explosé sur Youtube et Instagram avec son univers visuel particulier, décliné dans les clips de ses 3 premiers singles. Angèle ne serait-elle qu'un produit marketing ? Il est vrai que ses textes sont dans l'air du temps : l'amour, les réseaux sociaux, la malchance, le mouvement #MeToo, le narcissisme et la superficialité, la célébrité, ses avantages et ses inconvénients... Ses clips n'échappent pas non plus à un certain formalisme sucré déjà vu. Un peu trop consensuelle ?

En fait, une de ses grandes forces est sa « belgitude » pleinement assumée. Prenons le titre de son album : « Brol ». Il faut connaître un minimum le Wallon, patois (ou dialecte local) belge, pour connaître le terme, qui signifie « bazar », « chose », « truc ». Ayant des origines belges, je ne peux que savourer ce titre décalé. Une anecdote à ce sujet : la pub de l'album à la radio dit en gros « écoutez le premier album d'Angèle ». Nulle mention du titre, étonnant non ? Comme s'il y avait quelque chose qui n'allait pas, quelque chose de trop bizarre, de trop ridicule, de trop... Belge.

Et c'est ça la « Angèle touch » : un ton décalé, drôle, ironique, plein d'auto-dérision, mais aussi beaucoup de fraicheur, d'inventivité. Dans ses textes, il y a souvent une petite phrase, une expression, qui rend la chanson amusante et unique à la fois. Alors certes, ce n'est pas du Desproges, mais elle n'hésite pas à se jouer des codes ultra-narcissiques de la jeunesse d'aujourd'hui : elle n'est pas dupe. Si elle maîtrise Instagram à la perfection, elle en connaît la face obscure. Et elle prend plaisir à détourner les codes des médias et de la célébrité, dans un jeu de mise en abyme plus intelligent qu'il n'y paraît.

Beaucoup a déjà été écrit sur son père chanteur, sa mère comédienne et son frère Roméo Elvis, connu dans le milieu du rap. Mais le style d'Angèle est différent, d'ailleurs si son frère a 560 000 abonnés sur Instagram, Angèle en a déjà 534 000, preuve qu'elle le dépassera certainement bientôt en notoriété et qu'elle a su trouver son propre public. Et puis la notoriété de ses parents est toute relative.

Si sa famille a pu l'aider, je pense surtout que c'est dans la gestion de la célébrité, qu'elle prend avec un certain recul, n'hésitant pas à exprimer ses doutes voire ses craintes. Car les réseaux sociaux ce n'est plus vraiment en 2018 l'agora démocratique et citoyenne tant fantasmée à leurs débuts, ni un modèle de liberté d'expression, c'est plutôt la jungle, une jungle qui peut être ultra violente et nauséabonde, le meilleur côtoyant bien plus que le pire, quelqu'un pouvant être en quelques heures porté aux nues puis taillé en pièces.

Pour finir sur ce qui fait la spécificité d'Angèle, je reviens une dernière fois sur sa « belgitude » décomplexée. La particularité de ses chansons est qu'elle sont simples, directes, et mieux encore : sincères. Une sincérité et une simplicité typiquement « du Nord », belges notamment. Pas de pose hypée, pseudo-arty, élitiste ou torturée à la française. Raison qui fait qu'un Stromae et maintenant une Angèle mettent KO ce qu'on appelait un temps la « nouvelle chanson française » (Bénabar et consorts), qui a fini rapidement en eau de boudin. 

Car au-delà des textes, attachants, la musique d'Angèle sait faire danser. La malédiction française qui consiste à mettre le paquet dans les textes et proposer une musique rance est heureusement évitée : il y a un vrai travail sur les mélodies, souvent entraînantes sans être aussi faciles que chez un Stromae par exemple (qui est tout sauf un artiste médiocre cela dit).

Bref, Angèle n'en est qu'à ses débuts, tout n'est pas parfait ni inoubliable, mais elle a du talent à revendre, et c'est le principal. Maintenant, il va s'agir pour elle de durer, rien n'est plus difficile dans le milieu artistique et notamment celui de l'industrie musicale. Une mode en chasse une autre... Et c'est la plus grande crainte d'Angèle : ne pas être la curiosité d'un moment. C'est là le challenge des artistes qui commencent fort : comment égaler des débuts qui déchaînent les foules ? Une chose est sûre, ça ne va pas être facile pour Angèle, d'autant qu'il n'est pas certain qu'elle continue dans cette voie. La dernière chanson de son album, « Flou », évoque le sujet : « la suite, on verra ».

[3/4]

dimanche 17 juin 2018

« Boris Godounov » (Borís Godunóv) de Modeste Moussorgski (1869)

    Existe-t-il opéra plus sombre et plus puissant que le formidable « Boris Godounov » de Moussorgski ? Deux de ses composantes en font une œuvre tellurique, à la force démesurée : ses influences folkloriques russes, rudes, presque sauvages, le compositeur ayant fait le choix délibéré de quitter les rivages de l'opéra allemand ou italien pour s'immerger dans la musique populaire slave, et son intrigue dramatique au possible, directement inspirée de Shakespeare et de son « Macbeth ».

L'opéra de Moussorgski suit la trame du drame écrit par Pouchkine. Godounov, gravitant dans l'entourage d'Ivan le Terrible, prend le pouvoir après avoir fait assassiner le jeune Dimitri, dernier des descendants d'Ivan. Devenu Tsar après avoir été élu par l'assemblée des boyard, les nobles russes, Godounov devient un souverain éclairé, qui modernise son pays et œuvre pour son peuple. Mais alors que la famine sévit, Godounov est pris de remords : le meurtre qui lui a permis d'accéder au trône le hante nuits et jours. Sa culpabilité le ronge de plus en plus, et le coup de grâce arrive quand il apprend qu'un usurpateur se fait passer pour Dimitri, revenu d'entre les morts et marchant à la tête d'une armée sur Moscou.

Le drame de Pouchkine, quasiment repris tel quel par Moussorgski, est un modèle de tragédie russe, mêlant intelligemment influences occidentales et slaves. La quête de pouvoir insensée, l'hubris démesurée de Godounov, se mêle à la culpabilité chrétienne, à cette conscience omnisciente, qui ne permet pas de repos. La douleur, si présente dans la culture russe, y est omniprésente : Godounov agonise lentement, et paie pour le crime qu'il a commis. Mais le coup de génie de cette tragédie, c'est cette image du double maléfique, du revenant, si j'en crois mes lectures historiquement véridique. Godounov se confronte à Dimitri, innocent assassiné et usurpateur perfide à la fois. Bien et mal sont entremêlés, et comme tout tyran étant parvenu au pouvoir par le sang, Godounov périra par l'épée, ou presque.

Autre aspect qui confère à cette œuvre sa grandeur dramatique, le fait qu'à l'inverse du Macbeth de Shakespeare, Godounov ait un visage humain : il veut le bonheur de sa fille et de son fils, il est soucieux de son peuple, il semble même qu'il ait été un grand Tsar réformateur historiquement parlant. Pour autant, l'Histoire et l'histoire ne retiennent que le régicide fondateur de son règne. La foule comme Godounov lui-même lui dénient toute légitimité dès lors que son accès au pouvoir s'est fait dans le sang, ce qui est tout à fait incompatible avec un pouvoir éclairé.

Et quoi de mieux que la musique slave, aux harmonies pleines et rugueuses, pour rendre compte de ces tourments ? Si dramatiquement parlant, « Boris Godounov » est déjà un chef-d’œuvre, musicalement parlant, c'est un monstrueux diamant noir, réservant qui plus est des moments de grâce absolue. La richesse harmonique de cette œuvre laisse pantois. Musicalement comme vocalement, les différents passages marquent par leur contraste sonore, par leur complexité et leur évidence à la fois, dès l'ouverture et le prologue. 

D'Arvö Part à Moussorgski en passant par Borodine, Rimski-Korsakov ou encore les chœurs anonymes de moines orthodoxes, les défenseurs de la musique slave dans ce qu'elle a de primitif et d'extrêmement sophistiqué à la fois sont les meilleurs passeurs de ces harmonies si particulières. Et l'on retrouve cette force musicale dans les nombreux chants de la foule, électrisants et hérissant le poil, par leurs harmonieuses dissonances. De même, les moments purement instrumentaux sont tout aussi prenants, mêlant habilement suavité symphonique et folklore russe. Et que dire des monologues chantés ? Le moindre des seconds rôles peut se révéler bouleversant : le sage Pimène, l'Innocent, faible et fort à la fois, le perfide Chouïski, ou encore le truculent moine Varlaam. Sans oublier, bien sûr, Boris Godounov, terrifiant et touchant à la fois.

J'ai eu la chance d'assister à cet opéra hier soir à Bastille, dans une mise en scène d'Ivo van Hove, dont je ne peux m'empêcher de toucher quelques mots. Tout d'abord, chapeau bas aux musiciens et chanteurs. Le chef Vladimir Jurowski rend toute la subtilité et toute la grandeur de la partition de Moussorgski. Le chœur est décidément extraordinaire. Mais les interprètes vocaux sont plus encore dignes d'éloges. Je retiens notamment Ildar Abdrazakov, qui EST littéralement Godounov, vocalement et scéniquement parfait, Ain Anger en formidable Pimène, basse à la voix ample et sonore, et Vasily Efimov, inoubliable Innocent presque nu, avec une voix de ténor claire, sonore elle aussi et au beau timbre. Le reste de la distribution est de la même qualité, je regrette juste la voix un peu sourde du massif Maxim Paster, ténor incarnant toutefois le Prince Chouïski avec ce qu'il faut de duplicité et de brio pour convaincre totalement.

Parlons maintenant des choix scéniques d'Ivo van Hove. Je m'en suis rendu compte après la représentation, c'est le metteur en scène des « Damnés » de Visconti, montée avec la Comédie Française en 2016, une mise en scène qui avait beaucoup fait parler d'elle, à grands renforts d'effets vidéos. Le moins que l'on puisse dire c'est que van Hove est égal à lui-même, et se caricature presque : on retrouve les effets vidéos superfétatoires qui masquent le manque d'inspiration de la mise en scène, minimaliste au possible. Deux couleurs dominent : le rouge et le blanc, le sang et la pureté. Un dualisme qui n'est pas de très bon augure, et de fait toute la représentation est de cet acabit, avec son symbolisme bien appuyé, à grands renforts d'images de couronne démesurée ou d'enfants fantômes voire assassinés. 

Heureusement, je ne peux pas dire que van Hove dénature complètement l’œuvre d'origine : malgré son outrance et son manque criant de subtilité et d'inventivité, la mise en scène ne verse pas tout à fait dans le grand guignol, ouf ! Son choix de faire se dérouler l'intrigue dans un XXème siècle soviétique ou un XXIème siècle poutinien terne, sale et gris n'est d'ailleurs pas sans intérêt, tant l'histoire du peuple russe se répète pour son malheur : d'Ivan le Terrible à Poutine en passant par Godounov et Staline, les Russes ont eu à subir un nombre de tyrans impressionnant. Mais l'intrigue pourrait également se dérouler dans n'importe quel autre pays ayant à subir les affres de la tyrannie. Ivo van Hove parvient ainsi à rendre cet opéra universel et intemporel, ce qui n'est déjà pas si mal. Même si ce choix masque sa faible inspiration et fait regretter la splendeur qu'aurait pu être ce « Boris Godounov » replacé dans son époque. Je ne peux ainsi que songer à la version mise en scène par Andreï Tarkovski, qui devait être bien plus inspirée et réussie !

Ivo van Hove peine ainsi à maintenir le spectateur en haleine le long des deux heures de représentation avec sa mise en scène rachitique, et c'est alors l’œuvre de Moussorgski qui reprend le dessus : le livret et la partition captivent par leur grandeur, brillamment incarnés par de talentueux interprètes. Malgré les défauts de cette version 2018, il s'agit donc d'une réussite certaine, surtout d'un point de vue musical (étonnant non ?), permettant d'apprécier d'autant plus cet opéra grandiose, chef-d’œuvre absolu de Moussorgski... et plus largement de la musique occidentale.

[4/4]

samedi 28 avril 2018

« Virtue » de The Voidz (2018)

    « Virtue » est une vraie bonne nouvelle en ces temps de rock moribond, à une époque où les charts sont gangrenés par le rap et une immonde soupe commerciale diffusés sur tous les supports possibles et inimaginables. Qui plus est, The Voidz et plus précisément Julian Casablancas font figure de revenants. On pensait que leur premier album « Tyranny » n'était qu'une insolite parenthèse pour un Casablancas fatigué, lassé des Strokes, s'aventurant dans un bruitisme et un lâcher prise total, comme un défouloir, un essai récréatif, un retour aux sources d'un rock'n'roll crasseux, les Strokes étant devenus presque trop lisses et convenus. De fait, « Tyranny» était signé « Julian Casablancas+The Voidz », ces derniers semblant cantonnés au rôle de simple backing band sans importance, le tout jouant une musique difficilement écoutable, même si sous le verni hardcore on sentait poindre de belles mélodies. 4 ans plus tard, la surprise est totale, « Virtue » sonne comme un nouvel album des Strokes (version bad boys humoristique), gorgé de mélodies imparables et The Voidz apparaît comme un vrai groupe, cohérent et talentueux en diable.

The Voidz se paient même le luxe de prendre de sérieux risques... gagnants. « QYURRYUS » en est le parfait exemple : une mélodie totalement improbable, entre techno, métal et bad trip noisy avec un soupçon d’auto-tune réjouissant. Sur le papier ça fait peur et on n'a qu'une envie : fuir. Dans les faits, c'est une chanson géniale, mi sérieuse à l'excès, mi drôlatique, profondément originale, bien trop courte hélas. Et sur scène les Voidz semblent s'en donner à cœur joie pour l'interpréter, avec ce qu'il faut de théâtralité rock, comme dans leur passage au « Late Late Show with James Corden », visible sur Youtube ici. Et tout l'album alterne entre titres relativement difficiles d'accès, rappelant « Tyranny », et chansons mélodieuses, sortes de tubes immédiats. De plus, « Virtue » comporte 15 titres, et il est très rare (les connaisseurs ne devraient pas me contredire) de trouver des albums réussis avec autant de morceaux. Ici il n'y a guère de remplissage, les Voidz sont véritablement inspirés, et c'est tant mieux !

Nul doute que « Virtue » est voué à devenir un classique tant la plupart de ses titres sont réussis, avec des mélodies accrocheuses qui restent en tête. J'ai ma petite préférence pour Permanent High School, avec ses paroles désenchantées et surtout son refrain final digne des meilleurs chansons des Strokes, typique de cet art de la mélodie mélancolique et virtuose à la fois, comme si Casablancas était une sorte de Jean-Sébastien Bach du rock (j'exagère un peu... mais pas tant que ça). D'autres grands titres parcourent cet album : Leave It in My Dreams, tout à fait « strokien », QYURRYUS donc, le politique Pyramid of Bones, le vaporeux ALieNNatioN, Pink Ocean et la voix haut perchée de Casablancas, Lazy Boy, et j'en passe...

Bien évidemment « Virtue » est moins mainstream que les albums des Strokes et ne plaira pas à tout le monde. Toutefois il est bien plus accessible que « Tyranny » et conserve tout du long une qualité et une cohérence dans la diversité qui forcent le respect. C'est pour moi un vrai bon album de rock, avec une personnalité propre, un disque qui vaut largement bien des classiques du genre. Je fais le pari qu'on n'a pas fini d'entendre parler de Casablancas, alors qu'on ne pouvait pas en dire autant il y a quelques années. Et cette résurrection du chanteur new-yorkais n'est pas pour me déplaire...

[3/4]

samedi 20 février 2016

« Painting With » d'Animal Collective (2016)

    La première écoute de « Painting With » déroute. Le son est dur, aride, et plein de bruits intempestifs gâchent le plaisir auditif. On les entend beaucoup, et même beaucoup trop : et pour cause, le « reste », ou plutôt l'important à mes yeux, à savoir les mélodies, ont disparu corps et biens... Je dirais même corps et âme... Ce qui ressort de cette première écoute, c'est un sentiment de mollesse mélodique, de vacuité, comme un essai vain, qui n'apporte pas grand chose au schmilblick. Tout comme certains groupes (Radiohead pour ne pas le citer), on commence depuis plusieurs albums à relever des tics récurrents de composition chez Animal Collective (mais aussi dans les albums solo d'Avey Tare et Panda Bear, chacun ayant les siens), et bien évidemment des tics de « mauvaise composition » si j'ose dire, des tics de facilité. Mais ce qui déconcerte le plus, c'est l'absence d'audace dans cet album. Il ne faut pas se fier aux apparences, la structure des morceaux est très convenue, tout comme les mélodies tristement banales, et la production au premier abord « expérimentale » n'est en réalité que poudre aux yeux, je vais y revenir. Car l'expérimentation au service d'un « beau mélodique » (j'y tiens) n'est hélas pas au rendez-vous. 

Et d'ailleurs les membres d'Animal Co ne me semblent pas au rendez-vous non plus, comme s'ils étaient fatigués, usés par le temps et leurs excursions en solo. Comme si l'album avait été sorti en urgence, comme s'ils ne savaient pas quoi en faire et voulaient s'en débarrasser. On sent comme un déséquilibre. Et de fait, « Painting With » est un peu ou prou un album de Panda Bear, Boys Latin servant de matrice à la plupart des morceaux du présent album. On se demande d'ailleurs où est passé le talent d'Avey Tare (si déterminant dans les productions signées conjointement sous le nom d'Animal Collective). La confrontation des deux têtes pensantes Avey Tare et Panda Bear avait jusque là (ou jusque « Centipede Hz ») fait des merveilles. Mais là ils semblent tourner à vide. Car oui la production est riche, très riche... mais trop riche, puisqu'aux dépens de la mélodie, du fond dirais-je (autant que je puisse exprimer avec des mots ce que je ressens). Animal Collective devient presque un groupe d'ambiant, là où leur force, à mon sens, résidait dans des mélodies très très belles, en creusant sous le vernis « foufou » auquel on les résume (et réduit) trop souvent. Cf. l'EP extraordinaire « Fall Be Kind » où chaque chanson est géniale, et surtout d'une grande beauté mélodique. Ici, le trop plein de production masque le manque d'inspiration me semble-t-il. 

Après le décevant « Centipede Hz », de la musique du groupe new-yorkais, il ne reste plus que les zigouigouis... Je dirais d'ailleurs la même chose du dernier Panda Bear. Où sont passées les mélodies « à la Panda Bear » (comme je les appelais il fut un temps qui me paraît loin, aux alentours de 2009 - 2011) ? Les Rosie Oh ? Les I Think I Can ? Les Screens ? La moitié de « Centipede Hz » était réussie, l'autre ratée. De tout « Painting With »... je ne retiens que On Delay, ou plus précisément le morceau à partir de 2 min... le moment où il décolle vraiment, avec un piano magnifique (gâché par un bruit inutile au passage)... et une envolée « à la Panda Bear ». Le mot est galvaudé, mais une envolée... magique. Alors certes, quelques chansons ici et là (Bagels in Kiev, FloriDada, Golden Gal) valent le détour, mais rien ne vaut ce passage... qui ne vaut pas un dixième de « Fall Be Kind » (ou des autres grands albums du groupe : « Feels »,  « Strawberry Jam », « Merriweather »...). 

Je commence à ne plus croire en ce groupe et en sa capacité à se renouveler, à produire encore de la musique de qualité, passionnante ou ne serait-ce qu'intéressante, et ça me fait bien de la peine de le dire...

Note: je n'ai écouté que 3-4 fois l'album, avec le temps mon avis évoluera peut-être en bien comme pour « Centipede Hz »... mais là ils partent de beaucoup plus loin (plus bas), donc pas sûr que je révise mon jugement...

[2/4]

samedi 3 janvier 2015

« Entre elle et lui » de Nathalie Dessay et Michel Legrand (2013)

    Je le concède, les premières fois que j’ai écouté cet album, j’étais déçu par la production ultra léchée et la voix presque mécanique de Nathalie Dessay. Difficile de ressentir la moindre émotion, avec un essai qui me semblait presque factice, forcé. Mais bien malgré moi, à force d’éprouver l’envie de réentendre cet opus et au fil des écoutes, il s’est imposé à moi comme un magnifique aperçu de ce que sait faire de mieux Michel Legrand : des chansons aux mélodies riches et limpides à la fois. Car finalement Nathalie Dessay reste en retrait, et c’est la formidable musicalité des chansons de Legrand qui ressort, leur génie musical (n’ayons pas peur des mots) demeurant un régal sans pareil. Si l’on sent une patte, voire quelques « tics » de composition, force est de reconnaître que l’inspiration de Legrand semble sans limite. Certaines de ses œuvres sont déjà des classiques, et cet album est l’occasion de se rendre compte combien il a su composer des mélodies originales et se forger un style qui n’appartient qu’à lui. Un style qui ravira tout autant les adeptes de musique classique, les amateurs de jazz et les fans de comédies musicales. Le style de Legrand est protéiforme et s’abreuve aux meilleures sources qui soient. Et le tout, loin d’être indigeste, coule comme de l’eau de source, pure et claire. A tel point que je me suis surpris plusieurs fois à écouter le disque en boucle en le relançant une fois fini. Un disque que je recommande donc à tous, inconditionnels de Legrand ou simples amoureux de belle musique.

[3/4]

dimanche 1 juin 2014

Citation du dimanche 1er juin 2014

« La vraie musique est le langage du cœur. »

Jean-Philippe Rameau 
(Code de musique pratique, chapitre VII, article 14, 1760)

dimanche 6 avril 2014

Citation du dimanche 6 avril 2014

« Voir le jour se lever est plus utile que d'entendre la Symphonie Pastorale. »

Claude Debussy
(L'Entretien avec M. Croche, Monsieur Croche et autres écrits, 1901)

samedi 23 novembre 2013

« Messe de Requiem » de Gabriel Fauré (1888)

    Le « Requiem » de Fauré compte parmi les plus belles messes des morts jamais écrites. La vision de la mort chez Fauré est très apaisée, très douce. Pour lui, il s'agissait plus d'une transition heureuse vers un au-delà (bien qu'il n'était pas croyant) qu'un passage douloureux, dont on pouvait craindre le surgissement. Son « Requiem » est donc radicalement opposé à celui d'un Verdi. Alors que l'Italien offre une vision grandiloquente et théâtrale de la mort, le Français propose une partition toute en sérénité et délicatesse, personnelle, profondément intimiste, comme nombre d’œuvres françaises de l'époque. Les mélodies de Fauré, celles du « Requiem » j'entends, sont très finement sculptées dans le matériau sonore, et proprement inoubliables. L'Introït, et surtout le Kyrie est extraordinairement beau. Profondément original, il inaugure le parti pris musical de ce requiem. Le Sanctus prolonge l'impression de douceur sans pareille qui émane de la musique de Fauré : il est magnifique. Mais le sommet absolu de cet opus est le fameux Pie Jesu, qu'un garçon ou une femme peuvent chanter. Saint-Saëns ne s'y trompait pas : la postérité retiendra cet air, et en fera peut-être bien LE seul Pie Jesu. Le reste de l’œuvre conserve la même qualité d'écriture. L'Agnus Dei, le Lux Aeterna, le Libera Me sont de bien belle facture. Et la messe s'achève sur un In Paradisum angélique. Après l'indétrônable « Requiem » de Mozart, celui de Fauré figure en très bonne position parmi les réussites magistrales du genre, non loin de celui tellement différent de Verdi. Je vous conseille d'écouter le « Requiem » de Fauré dans sa version enregistrée par Philippe Herreweghe et La Chapelle Royale en 1988... car le Pie Jesu chanté par la soprano Agnès Mellon est d'une rare beauté. Sa voix très claire et très pure sied à merveille à ce chef-d’œuvre de sensibilité. Ceci dit, le reste de l'interprétation, instrumentale comme vocale, est d'un niveau comparable. C'est-à-dire excellent.

[4/4]

samedi 8 juin 2013

« Modern Vampires of the City » de Vampire Weekend (2013)

    Dans une époque en quête de héros, Vampire Weekend figure (pour le moment) au firmament de la critique musicale indie/hipster/bobo/cool du jour. Mais que vaut vraiment « Modern Vampires of the City », au-delà de sa pochette à la photographie énigmatique ? Malheureusement, pas grand chose... voire rien du tout. A l'image de tout un pan de la musique d'aujourd'hui, le dernier album de Vampire Weekend est d'une fadeur sans nom. Pale resucée de la pop des 60 dernières années, leur « art » n'a rien digéré. Il recrache des tics (ici une ligne de batterie copiée-collée de U2, là des vocalises africaines), des attitudes, pose, mais ne propose rien de musicalement consistant. Mélange disgracieux d'influences plus ou moins avouables, musique sans goût et sans force, horriblement molle et consensuelle, la façon de faire d'Ezra Koenig et compagnie ne restera pas dans les annales. A vrai dire le seul moment réussi et admirable de leur dernier opus est cette marche harmonique, directement inspirée de l'illustre Jean Sébastien Bach, dans le morceau Ya Hey. Mais... cette chanson est horriblement laide avec ces voix trafiquées de bébé que l'on étrangle... A l'image de la musique des New-yorkais, c'est d'un goût plus que douteux. Quel dommage que leur paresse musicale! Ils se contentent vraiment du strict minimum. Et que dire des paroles! Vampire Weekend est juste un groupe de bobos mondains blasés de la vie à même pas 30 ans... Ils n'ont strictement rien à dire, et l’étalent 40 minutes durant dans leurs chansons. Tristement insignifiant.

[0/4]

samedi 4 mai 2013

Citation du samedi 4 mai 2013

« Être supérieur aux autres n'a jamais représenté un grand effort si l'on n'y joint pas le beau désir d'être supérieur à soi-même. »    

Claude Debussy
(Monsieur Croche et autres écrits, 1901-1914)

samedi 30 mars 2013

« Amok » d'Atoms For Peace (2013)

    Depuis plus de 10 ans, et le basculement de Radiohead dans la musique électronique avec « Kid A », Thom Yorke use jusqu'à la corde une esthétique désincarnée. Épurant toujours plus sa façon de faire, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que des « blips blips » synthétiques en guise de mélodie, sur fond de percussions tout aussi artificielles, le tout rehaussé par des miaulements dépressifs, ayant pris la place de toute voix humaine... En solo, accompagné d'un super-groupe (comme c'est ici le cas), ou avec Radiohead, la musique de Thom Yorke perd année après année en âme et en consistance, pour s'enfermer dans des tics et l'auto-parodie la plus crasse. L'oxfordien ne surprend plus, malgré ses tentatives avant-gardistes. Il avait pourtant un certain talent, que l'on retrouve dans telle ou telle ligne mélodique (bien évidemment ensevelie sous un amas électronique d'un goût plus ou moins sûr), tel ou tel rythme décalé (Stuck Together Pieces, seule chanson où l'on perçoive la présence d'un réel musicien, en l'occurrence un percussionniste latino-américain), ou une chanson comme Before Your Very Eyes (le titre inaugural d'« Amok », et de loin le meilleur). Les singles ayant précédé la sortie de l'album (Default, Ingenue et Judge Jury and Executioner) sont d'une banalité affligeante. Le reste n'est peu ou prou que remplissage (Dropped, Unless, Reverse Running, Amok). Et que dire des paroles, tristes et absconses à mourir... Serait-il temps pour l'ami Yorke de quitter la scène musicale ?

[0/4]

dimanche 3 mars 2013

« October » de U2 (1981)

    La musique de U2 a progressivement perdu sa qualité (et il faut bien le dire son âme) à mesure que le groupe a gagné en influence sur la scène internationale. « October » n'est que le deuxième album du groupe irlandais, mais pourtant il est avec « War » (encore plus abouti, et parsemé de succès planétaires) à mon sens le meilleur album de U2. Empli d'un souffle et d'une spiritualité peu communs alors pour un groupe rock (encore plus aujourd'hui), « October » comporte d'excellentes chansons tout en restant homogène. Au premier rang desquelles Gloria, qui ouvre majestueusement l'album. Bono chante avec sincérité et exaltation le Seigneur, dans l'un des tous meilleurs titres de sa carrière. Les paroles sont merveilleuses... et l'on peut en dire de même pour le reste de l'album. S'ensuivent I Fall Dawn et I Threw a Brick Throuh a Window, de très bonnes chansons. Rejoice est énergique, et annonce Fire, l'un des sommets de l'album. La musique est envoûtante, à la fois menaçante et mystérieuse, tandis que les paroles sont empreintes d'une poésie presque apocalyptique. Tomorrow est une chanson plus apaisée et personnelle, dédiée à la mère, décédée, de Bono. October est elle aussi une chanson calme, mélancolique, avec peu de paroles, mais ô combien déchirante. With a Shout (Jerusalem), est tout comme Gloria une chanson exaltée, habitée par la voix de Bono, au texte ouvertement chrétien. Stranger in a Strange Land comporte quant à elle des paroles plus sombres, évoquant la solitude la plus noire. Scarlett est évanescente, diaphane, énigmatique. Is That All, enfin, clôt l'album avec panache, chantée toujours avec la même foi par Bono. « October » est donc un albums accompli, à la fois sincère, profond et contrasté. Et tout simplement beau.

[4/4]

samedi 12 janvier 2013

« Messa da requiem » de Giuseppe Verdi (1874)

    Une œuvre imposante ! Le « Requiem » de Verdi, composé en l'honneur de la mort de son compatriote, le poète Alessandro Manzoni, est très impressionnant. Notamment par le déchaînement des éléments dans son célèbre Dies Irae, qui chante la fin du monde et le jugement dernier. Dans un déferlement de voix menaçantes, de cuivres, de cordes et de percussions, Verdi nous fait dresser les cheveux sur la tête ! Cet air est tout à fait caractéristique de cet opus qui se démarque par sa théâtralité. Certains ont parlé d'opéra religieux à son propos, ils n'ont pas tort. Surtout quand on sait que Verdi était athée. Il semble donc que le compositeur italien ait mis tout son talent à faire briller de mille feux sa messe des morts. Car le Dies Irae n'est pas le seul morceau de bravoure, le Tuba Mirum, avec ses trompettes dissimulées dans les coulisses, puis sonnant héroïquement la résurrection, est lui aussi particulièrement marquant. Tout comme le Rex Tremendae Majestatis (qui porte bien son nom). La théâtralité de ces passages rappelle d'ailleurs celle de certains airs du « Requiem » de Mozart. Néanmoins on ne retrouve pas l'intériorité de l'œuvre de l'autrichien, sa finesse délicate. Pourtant, le « Requiem » de Verdi comporte des moments plus apaisés, comme ce joyeux Sanctus, dont la légèreté annonce presque le « Gloria » de Poulenc, et son malicieux Laudamus Te. D'une grande qualité, bien qu'on puisse regretter un manque certain de sincérité, la messe des morts de Verdi s'achève en beauté par un Libera Me majestueux, autre sommet de l'œuvre. Un classique qu'on savourera de préférence dans la bien belle version de Carlo Maria Giulini, passionnée et pleine de relief.

[4/4]