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samedi 16 décembre 2017

« Nuits blanches » (Le notti bianche) de Luchino Visconti (1957)

    « Nuits blanches » de Visconti, adapté d'une nouvelle de Dostoïevski également portée à l'écran par Robert Bresson, ne figure pas à mon sens parmi les plus grandes réussites du cinéaste italien. Le principal reproche que j'ai à lui faire c'est son actrice principale, au jeu tout sauf subtil, beaucoup trop larmoyante et excessive pour ne pas agacer. Or le problème, c'est que c'est véritablement elle qui est censée porter tout le film : le toujours excellent Marcello Mastroianni, n'est qu'une sorte de faire valoir, un homme quelconque perdu dans ses rêves, il est volontairement complètement effacé, et complètement fasciné par cette femme qui attend sur un pont la nuit.

Malheureusement cette femme perd tout mystère à mesure que le film avance et qu'elle fond continuellement en sanglots, tout en faisant l'effarouchée alors que le pauvre Marcello ne lui demande pas grand chose. Elle ne paraît plus inaccessible, mais timorée et infantile, ce qui dessert totalement le long métrage en amenuisant son enjeu principal. Dommage, car ce film comporte une réelle atmosphère onirique, comme si Visconti avait quitté le Néo-réalisme italien pour mieux se plonger dans le Réalisme poétique français. Même si j'en doutais au début, je trouve que le choix fait par Visconti de rendre le tout volontairement artificiel mais en l'ancrant dans un minimum de la réalité, ne rend le long métrage que plus fort, en exacerbant sa portée poétique et son caractère de conte.

Je n'ai pas lu la nouvelle de Dostoïevski ni vu le film de Bresson, mais je suis certain qu'il y avait matière à en tirer bien davantage. Je dois dire également que les décors font un peu trop étouffants, on se sent trop à l'étroit, et ce pont n'est pas bien majestueux, difficile de se mettre à rêver totalement comme le personnage principal. Finalement c'est ce dernier qui m'a le plus touché, cet homme anonyme, qui perd son âme à mesure qu'il voyage pour son travail, devenu sans attaches, il n'est plus personne. Et pourtant il a besoin d'amour, de chaleur humaine, il aime cette femme... mais est-ce qu'elle l'aime en retour ? La fin, terriblement cruelle, vient donner au film une dimension autre, profondément mélancolique, mais qui contribue à son charme évanescent, vaporeux, halluciné.

En somme, un long métrage avec de belles qualités, mais quelques défauts qui l'empêchent d'être pleinement abouti et à la hauteur des ambitions de Visconti.

[3/4]

dimanche 29 octobre 2017

« Sandra » (Vaghe stelle dell'Orsa...) de Luchino Visconti (1965) – (2)

    Enfin ! J’ai pu découvrir à l’occasion d’une rétrospective Visconti à la Cinémathèque de Paris ce long métrage tant loué par des personnes que je tiens en haute estime (Anaxagore et Max6m) et que j’attendais de regarder depuis une bonne dizaine d’années. Et je peux dire que le résultat fut à la hauteur de mes attentes. Du titre magnifique (« Vaghe stelle dell'Orsa » - « Pâles étoiles de la Grande Ourse », tiré d'un poème de Leopardi) en passant par le générique de début puis par le film en lui-même, tout concourt à en faire le véritable chef-d’œuvre de Luchino Visconti, soit le film qui condense toutes ses préoccupations artistiques et personnelles, servi par une esthétique exceptionnelle.

Un peu de contexte d’abord : Visconti est l’héritier de l’une des plus anciennes familles aristocratiques d’Italie. Il fut donc aux premières loges de la décadence progressive de cette caste, minée par les transformations sociales, économiques et militaires. Ses films portent ainsi la marque de cette grandeur en perdition, dépassée par les évènements, sonnant comme la fin d’un monde, du « Guépard » en passant par « Les Damnés ». Deuxième information de taille pour comprendre sa filmographie : il était homosexuel. Son œuvre porte donc la marque de la honte, du non dit, de la culpabilité, à l’image des « Damnés », encore, ou de « Mort à Venise ».

« Sandra » rassemble tout cela : il est question d’un frère et d’une sœur, héritiers d’une riche famille italienne, dont le père, Juif, mourut à Auschwitz, et dont la mère est psychologiquement instable. A ces tourments, s’ajoute une trame scénaristique tragique, puisque la sœur, Sandra, est victime de l'amour incestueux et possessif de son frère depuis leur adolescence. Fort heureusement, Visconti ne s’attarde pas sur les détails sordides d’une telle histoire, tout au contraire, avec beaucoup de retenue, de pudeur et de suggestion (des valeurs qui semblent totalement impensables par la plupart des cinéastes, voire des artistes d’aujourd’hui), il se penche davantage sur les sentiments douloureux de ses personnages.

Visconti joue beaucoup sur le temps qui passe et qui charrie son lot de souvenirs inconsolables. Un temps qui semble d'ailleurs arrêté dans le palais familial des Luzatti, lieu austère et inquiétant, alors que paradoxalement on entend tout du long le tic-tac d'une horloge, qui vient matérialiser ce temps si cruel pour notre héroïne. Dans ce long métrage, Luchino Visconti dépeint des sentiments subtils, contrariés, abimés, tel un scientifique ou un fin psychologue examinant des êtres humains se débattre dans la toile du destin, à l'image des héros de la tragédie grecque antique. Le cinéaste italien disait d'ailleurs se référer dans ce film aux personnages d'Electre ou d'Oreste. Il montre également combien il peut être difficile de s'extraire d'un passé éprouvant, lorsque le présent ne se tourne pas vers le futur mais sans cesse vers ce qui a été.

Il est terrible de voir tout le remord de Sandra, tout ce qu’elle endure sous la coupe de son frère, pervers et manipulateur. Mais ces évènements ne seraient pas ce qu’ils sont sans l’esthétique époustouflante de ce long métrage, de loin le plus beau visuellement parlant de toute la filmographie de Visconti… et sans la beauté envoûtante de Claudia Cardinale, absolument magnifique dans ce long métrage, avec une présence physique extraordinaire, presque animale et proche de la statuaire grecque. Le noir et blanc de la photographie y est contrasté et renforcé par de somptueuses prises de vues de Genève et Volterra, une petite ville de la Toscane italienne, ainsi que de la nature environnante (ces arbres qui ploient sous le vent…).

Véritable astre noir, traversé sur la fin d’un mince rayon d’espoir, « Sandra » est un film choc, aussi bien sur le fond que sur la forme, avec une économie de moyens qui force le respect. Heureusement tout de même que le dénouement apporte un peu d’air, car la majeure partie du long métrage s’avère étouffante, entre ces sentiments refoulés, cette culpabilité oppressante, cette menace sourde, une noirceur tout de même contrebalancée par la luminosité des prises de vues. Nous sommes donc loin de la grandiloquence et de l’académisme des œuvres ultérieures du cinéaste italien, injustement préférées et plus connues que ce chef-d’œuvre crépusculaire qui mériterait enfin une sortie en DVD digne de ce nom !

[4/4]

jeudi 21 juillet 2011

«Sandra» (Vaghe stelle dell'Orsa) de Luchino Visconti (1965)

Je crois bien que je suis en train de me réconcilier un peu avec Visconti. Je n’ai jamais été un adepte du classicisme et de l’académisme de la mise en scène du cinéaste italien, ni de son penchant pour la tragédie grand spectacle et les grandes fresques historiques. Mais après la découverte de «La Terra trema» et de «Le Notti bianche», puis désormais de ce chef d’œuvre qu’est «Vaghe stelle dell’Orsa», Visconti remonte sérieusement dans mon estime. «Vaghe stelle dell’Orsa», donc, est probablement la tragédie la plus intimiste de Visconti, un film d’une remarquable sensibilité. Réalisé avec une économie de moyens qui s’avère salutaire et bénéfique, nous épargnant ces scènes grandioses visant beaucoup plus le spectaculaire que l’émotion, le film s’inspire de la mythologie familiale des Atrides et retranscrit admirablement l’essence de la tragédie grecque. Le style classique du metteur en scène est ici parfaitement adapté à la pudeur et à la délicatesse qu’imposait la thématique du film, l’inceste, évitant tous les sentiments faciles et les tentations au pathos que pouvait appeler ce sujet. Porté par une caméra mobile et très proche des personnages, avec une utilisation intelligente et pertinente du zoom rapide, le film touche au cœur du drame intime des personnages, avec une finesse de l’émotion que l’on ne retrouvera malheureusement dans aucun autre film du cinéaste. Cette réussite totale doit grandement à l’excellent niveau de l’interprétation, avec certainement la plus belle prestation de Claudia Cardinale, qui parvient à donner une ambigüité fascinante à son personnage. On peut ainsi louer l’étrange gestuelle de la comédienne et la richesse des multiples expressions de son visage, soulignées par un maquillage remarquable, reproduisant parfaitement l’image de la statuaire grecque. On relèvera également la qualité du noir et blanc et de la photographie, avec un superbe travail sur la lumière, les ombres et les contrastes. Le cinéaste, contrairement à ses habitudes, délivre ici un film condensé (une durée de 1h45 assez inhabituelle chez Visconti), abrupt, d’une noirceur saisissante laissant échapper un magnifique rayon de lumière lors de la superbe séquence finale. «Vague stelle dell’Orsa» est à mon sens le film le plus juste de Visconti, celui ou son art de la tragédie est le mieux maîtrisé grâce à une sobriété de la réalisation qui fera défaut à ses films ultérieurs (pour ceux que j’ai vus). Le chef d’œuvre méconnu du cinéaste, à découvrir impérativement.

[4/4]