mardi 25 février 2014

« La Chevauchée fantastique » (Stagecoach) de John Ford (1939)

    John Ford est un géant du septième art. De ceux qui ont non seulement un style inimitable, mais aussi de quoi dire, et surtout de belles choses à dire. C'est, en somme, un artiste complet. « La Chevauchée fantastique » est un grand film par sa perfection formelle : cadrages magnifiques (que l'on parle de gros plans sur des visages ou de plans larges sur les paysages de Monument Valley), rythme (et montage) tantôt trépidant, tantôt calme et serein, bref maîtrisé à la perfection, merveilleux usage du son et de la musique, et bien sûr, mise en scène impressionnante de grandeur et d'évidence (cette rencontre, le soir, entre Dallas et Ringo, tous les passages dans et au dehors de la diligence, ou encore cette scène inoubliable à la fin du long métrage, qui clôt l'intrigue avec force mais retenue – scène que l'on ne risquerait pas de trouver dans un film actuel, surtout dit d'« action »). Oui, esthétiquement parlant, « La Chevauchée fantastique » est génial. Mais plus encore, ce qui est incroyable chez John Ford, c'est la richesse de ses scénarios et de ses personnages. Chacun d'entre eux est profondément fouillé, même s'il est assez archétypique (le bandit, le shérif, le banquier, le joueur, la prostituée, le médecin alcoolique,...), et surtout, brillamment (et le mot est faible) interprété ! Tous, je dis bien tous les acteurs sont ici excellents, des premiers aux seconds rôles. Mais ce qui frappe le plus, c'est la compassion qu'a Ford pour ses personnages, voire l'amour qu'il leur porte. Malgré leur passé trouble ou leurs défauts, les personnages de « La Chevauchée fantastique » ont toujours un bon fond (exceptés peut-être ce banquier égoïste ou ces dames de la bonne société un peu (beaucoup) trop hautaines pour sembler vraiment humaines...). On comprend rapidement qu'outre la joliesse picturale, ce qui intéresse John Ford c'est la mise en situation de ses personnages face aux aléas de la vie et aux exigences morales qui leur incombent. Notons aussi que Ford est tout aussi à l'aise dans le registre épique que dans le registre intimiste et l'intériorité de ses personnages. Si les scènes de batailles sont exceptionnelles, que dire de ces jeux de regards qui disent tout des relations entre les protagonistes ! Et le résultat est plus que réussi : on passe un fort agréable moment en la compagnie de ces femmes et de ces hommes réfugiés dans leur diligence brinquebalante. Un grand classique, qui réserve un moment de cinéma particulièrement rare et appréciable.

[4/4]

lundi 10 février 2014

« Toni » de Jean Renoir (1935)

    Est-il long métrage plus beau, plus simple, plus déchirant que « Toni » pour conter les espoirs les plus vifs comme les affres de l'immigration ? Tant de choses sont dites en moins d'une heure et demie... Il est vrai que chez Renoir, l'image a une force tellurique. Il y a une sorte de beauté primitive dans ses films. C'est comme s'il était le premier à utiliser le cinématographe, redécouvrant la beauté physique mais aussi intérieure des femmes et des hommes. Il y a beaucoup de maladresses, mais elles sont à l'image de l'art de Renoir : humaines. Tout simplement. Et l'on comprend vite que l'intérêt des longs métrages du cinéaste français ne réside pas dans leur rigueur formelle, pourtant bien plus manifeste qu'on ne pourrait le croire au premier abord, car Renoir est un fin dramaturge, et qui plus est un brillant metteur en scène (notons par exemple ces chanteurs italiens qui ponctuent magnifiquement bien le récit, à la manière des chœurs grecs antiques). Non, l'intérêt des films de Renoir, outre leur splendeur visuelle (inouïe)... ce sont ses personnages. Malgré leur malheur, Renoir a une véritable tendresse pour ses personnages, incarnés avec maladresse (ô combien touchante), une fois encore, mais avec tellement de vérité et de sincérité ! Lorsque Josepha se joue de Toni, par exemple, quand ils sont seuls sur un chemin désert, elle est ainsi irrésistible. Mais les hommes et les femmes ont bien du mal à s'aimer vraiment d'un amour réciproque. Alors, tristement, ils scellent leur destin par des actes désespérés. Mais « Toni » ce n'est pas seulement une tragédie amoureuse, c'est aussi un drame sur l'immigration. Le film débute sur des immigrés fraichement venus par le train, heureux de rejoindre la France, sans oublier toutefois leur pays. Et c'est ainsi que se clôt le long métrage : de nouveaux arrivants reprennent les mêmes chansons mi-joyeuses mi-nostalgiques, la routine des arrivées nouvelles ravalant l'histoire de Toni au rang de simple fait divers... Il y a une grande mélancolie chez Renoir. L'amour y est rarement récompensé, au risque de demeurer trop brûlant, trop intense pour une vie humaine. C'est alors dans l'amitié, dans la bonté, que les êtres humains soignent leur blessures, et trouvent la force pour vivre. Il faut donc louer la richesse du fond comme de la forme de l’œuvre de Jean Renoir. Rarement justesse d'interprétation, beauté visuelle et profondeur du propos ne se sont rencontrées avec autant d'élégance (et d'évidence) dans l'histoire du septième art que chez Renoir.

[4/4]

dimanche 9 février 2014

Citation du dimanche 9 février 2014

« Le langage de la vérité est simple. »

Sénèque
(Lettres à Lucilius, XLIX)