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vendredi 17 février 2012

« Seven invisible men » de Sharunas Bartas (2005)

Avec «Seven invisible men», Sharunas Bartas creuse un peu plus le sillon ouvert avec «Few of us», qui reste à ce jour son meilleur film. La construction des deux films est très similaire : on a tout d’abord une errance, à travers de remarquables paysages, puis cette errance trouve son terme dans une demeure où une fête alcoolisée sert de prétexte pour amorcer les ressorts dramatiques qui précipiteront la conclusion sombre du film, marquée par un coup de feu vengeur. Ce parallèle entre les deux films peut même conduire à ne voir dans «Seven invisible men» qu’une transposition de «Few of us» dans un nouveau décor, la Crimée. Ce mimétisme est d’ailleurs le principal point faible du film, puisque nous gardons une impression de déjà vu, de redite. Mais c’est tout de même l’occasion de retrouver, en partie, ce qui faisait le charme du magnifique «Few of us», à savoir principalement une confiance, une foi inouïe dans la beauté de la seule image cinématographique, qui peut alors se dispenser de tout commentaire et de toute explication. La première partie du film sert à introduire le petit groupe de personnages que nous allons suivre. Nous ne savons pas d’où ils viennent, nous ne connaîtrons rien de leur histoire et c’est à peine si nous parviendrons à identifier la nature des liens qui les unissent. L’anonymat des personnages est une des caractéristiques fortes du cinéma de Bartas. La première séquence du film est un remarquable morceau d’épure et d’efficacité cinématographique. Quelques visages filmés de près qui semblent guetter quelque chose, une alarme de voiture aussitôt éteinte, tout le monde monte à bord et la voiture disparaît… Ce vol suffit à se faire une idée sur ces personnages, à imaginer leur situation sociale. S’en suit une errance mutique dans les magnifiques paysages de Crimée. Les personnages apparaissent paumés, sculptés dans la désillusion, porteurs d’un malaise qui leur rend pénible la simple existence. Ils vont "tout droit", c’est à dire nulle part, leur âme n’a de repos à aucun endroit et rappelle celle du Baudelaire de «Anywhere out of the world». Cette errance, il faut bien le reconnaître, en reposant uniquement sur un geste esthétique, n’évite pas toujours quelques longueurs, et peut s’avérer légèrement ennuyeuse. Cette première partie du film est néanmoins indispensable pour la suite car elle permet de créer, par le seul défilement du temps, une relation entre les personnages et le spectateur. Mais cette partie n’est presque que ça, utile pour la suite, et peine à fasciner. Bartas ne parvient pas à retrouver ici la gestion très maîtrisée du temps dont il avait fait preuve sur «Trois jours», film qui n’était qu’une errance, jamais longue, et qui ne laissait jamais indifférent. La seconde partie du film permet de retrouver Bartas dans ce qu’il sait faire de mieux : filmer des visages, des gueules, des gens qui chantent, boivent, éructent, bref, vivent. On reconnaît le regard du cinéaste-ethnologue, qui, en captant des moments de vie, parvient à faire apparaître au-delà de l’image, comme par transparence, tout un univers social, toute l’histoire de peuples (les Tatars) et de pays… Cette longue séquence de beuverie, formellement remarquable, nous montre l’homme sous l’angle de son animalité. Un malaise diffus se fait jour au milieu des chants et des éclats de rire, donnant la sensation que tout peut déraper de n’importe quel côté, à n’importe quel moment. Le film s’achèvera dans le drame et la détresse. «Seven invisible men» comporte quelques très beaux moments, mais paraît quelque peu terne en comparaison à son aîné «Few of us», bien plus inspiré.

[2/4]

samedi 26 mars 2011

« The house » de Sharunas Bartas (1997)

« The house » est un film qui m’a laissé un sentiment étrange et contradictoire, celui de voir un très beau film raté. Là où les films précédents de Bartas donnaient cette impression grisante d’assister à un nouveau cinéma, on se retrouve ici très vite en terrain connu. C’est ainsi que je n’ai pas réussi à me débarrasser de cette sensation plombante qui empêchait toujours le film de décoller du registre citationnel (et grandement auto-citationnel d’ailleurs), et qui marque comme un essoufflement de la créativité du cinéaste. Dès le générique introductif, je ne regardais plus « The house » en tant que tel, je regardais un film de Bartas qui me parlait d’autres films. Déjà, je pense (mais cela est totalement subjectif je le concède) que l’on ne peut pas, après « Le sacrifice » de Tarkovski, utiliser l’ « Erbarme Dich » de Bach pour le générique d’un film. Et lorsque l’enjeu du film est une maison (thématique très chère à Tarkovski, et pas seulement dans « Le sacrifice »), alors l’association mentale est automatique et inévitable, ce qui nuit à l’autonomie artistique du film en question. Et puis, quelques petites minutes plus tard, alors qu’on ne s’est pas encore débarrassé de ce sentiment de filiation tarkovskienne et que le film n’a encore rien montré qui lui soit propre, Bartas filme son acteur se regardant dans le miroir et en profite pour se laisser volontairement apparaître à l’écran, dans le reflet. On est alors envahi par l’impression flagrante d’une grande immaturité artistique, et la distance entre nous et le film se creuse encore davantage. N’est-ce que détails et faut-il passer outre ? Je ne demande pas mieux mais malheureusement, la suite du film ne m’enlèvera plus cette sensation et c’est à distance (c’est à dire sans aucun investissement émotionnel) que se déroulera le reste de la projection. Rajouté à cela une accumulation de petits défauts dont l’un d’eux, et non des moindres, étant certainement le très mauvais niveaux des comédiens (l’acteur principal est catastrophique dès qu’il se met à jouer), il s’avère que je n’ai pas été convaincu comme je l’avais été pour les précédents films du cinéaste. Il n’empêche, et on ne peut pas passer outre, que « The house » reste un film absolument magnifique, regorgeant de merveilles esthétiques (tous les plans à contre-jour d’une fenêtre sont superbes, avec cette lumière bleutée « fumée de cigarette »), et est à ce jour, visuellement, le plus beau film du cinéaste que j’ai pu voir. Le talent de portraitiste de Bartas (même s’il n’atteint pas les sommets des « gueules » de « Few of us ») reste indiscutable. Même si, encore une fois, le principe du film ramène à un autre film (le « Korridorius » du même cinéaste), cette déambulation dans une maison mentale est également riche d’ouvertures possibles vers du sens, pour peu que le spectateur accepte de s’y aventurer sans filet ni aucune tutelle directrice (Bartas, comme à son habitude, est bien peu causant quant à ses intentions, ce qui fait d’ailleurs l’une des grandes forces de son cinéma). La fin du film est beaucoup plus convaincante, et nous fait passer par des émotions étranges, quasi fantastiques, avec ces feux d’artifice, ce défilé masqué que l’on croirait sorti d’un film d’horreur, et cette chute étonnante qui recontextualise l’ensemble du film (mais en en diminuant peut-être aussi la portée). Un film à revoir dans quelques années pour voir si, comme le bon vin, il s’est bonifié avec le temps.

[2/4]

mercredi 26 janvier 2011

« Few of us » de Sharunas Bartas (1996)

Quelques plans d’une ville industrielle, là-bas à l’est. Une jeune femme qui contemple l’immensité des paysages sibériens à travers le hublot d’un hélicoptère. Puis la voilà larguée au milieu de nulle part. Que vient-elle chercher dans cette terre reculée? Peut-être retrouver ce sentiment de liberté pure, première, qui consiste simplement à mettre un pied devant l’autre, sans qu’aucun élément extérieur ne vienne imposer une direction préférentielle… Ce besoin que l’on ressent parfois face à une société dans laquelle la vie est dirigée, fléchée. Mais ce n’est là que suggestion personnelle car s’il est bien un film qui n’explique rien, c’est « Few of us ». La jeune fille finit par rejoindre un village dans lequel vit un peuple damné auquel la civilisation n’a su apporter que l’alcool et les armes. Un peuple qui n’existe peut-être plus, un peuple en voie d’extinction, comme on le dit d’une espèce animale. Et le parallèle n’est pas anodin : jamais peut-être la vie n’avait ainsi été filmée, dans ce qu’elle a de plus instinctive, si ce n’est dans les films animaliers. Bartas filme consciencieusement les gestes, les visages, sans aucun commentaire, avec un regard situé quelque part entre le poète, le paysagiste et l’ethnologue. Un lointain cousin de Derzou Ouzala fume interminablement le même mégot et partage son pain avec la jeune fille dans un geste au naturel et à l’évidence qui dépasse les mots (dont le film est d’ailleurs exempt), et qui nous ramène aux origines de la socialité. Une vieille femme endormie dévoile compulsivement une bouche édentée dans des grimaces répétitives qui la réveillent. Ca dure… Puis le film change de rythme, une forme lointaine et primitive de narration semble se mettre en place. Il y a une fête où l’on boit. Deux hommes tournent autour de la fille (là encore on retrouve un comportement très animal) : un viol se prépare. Puis un éclat, une gifle, un meurtre (ou deux?). Il faut fuir. La jeune femme est suivie par un asiatique au regard noir, qui semble la protéger. Il est traqué par un homme qui le cherche dans le brouillard lors d’une séquence qui n’est pas sans rappeler celle des cavaliers perdus dans la brume du « Château de l’Araignée ». On a presque l’impression de voir un western tribal. Le film se finit par un coup de feu. La jeune fille au visage désormais tuméfié observe dans le lointain l’hélicoptère qui vient la chercher. La neige et le froid envahissent les monts Saïan. Fin. C’est superbe. « Few of us » est un film au présent, une expérience de cinéma fascinante.

[4/4]