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jeudi 24 décembre 2015

« La part manquante » de Christian Bobin (1989)

    Christian Bobin est, formellement parlant, un écrivain français par excellence, du moins un écrivain français de notre temps. Comme Debussy ou Fauré dans le domaine de la musique, Bobin a bâti une œuvre pierre après pierre, touche de pinceau après touche de pinceau, une œuvre délicate et fragile, puissante parce que douce, belle, rayonnante, loin des gigantesques édifices parfois immortels, mais aussi parfois dangereusement lézardés, menaçant de s'écrouler sous leur poids. Ici tout n'est que légèreté. Oh bien sûr, on ressent une certaine tristesse, une certaine mélancolie dans sa poésie en prose. J'avoue la regretter. Mais comment ne pas s'émouvoir de sa plume, de son regard poétique ? Car véritablement, il a un regard, un cœur, une âme de poète. Pour qui l'a déjà entendu se faire interviewé, pas de doute possible. Hypersensible comme un Tarkovski dans le domaine du cinéma, parfois accablé par la noirceur de notre monde, il sait pourtant se faire le chantre de la beauté des hommes et des femmes, de notre Terre et de la nature. Et surtout, il manie la langue française comme personne. Il use d'un langage simple et clair, qui saisit dans la pureté et la simplicité de son expression toute la beauté de notre langue française, si belle... Pas de figures de style ampoulées, pas de style clinquant, ostentatoire, outré. Juste des mots, des mots simples mais forts, utilisés avec talent pour former une prose somptueuse. On a beaucoup parlé des poèmes en prose de Baudelaire. J'espère que dans quelques années, on parlera des poèmes en prose de Christian Bobin, qui à mon sens ont toute leur place dans notre panthéon national.

[3/4]

jeudi 1 janvier 2015

« Récits de jeunesse » d'Andreï Tarkovski (2004)

    Tarkovski le dit lui-même dans l'un des récits qui composent ce recueil, il n'est pas un bon écrivain. Et ce n'est pas moi qui le contredirai. Ses récits sont assez plats, n'ont que peu de relief artistique, manquent de poésie. A l'inverse, ce sont des récits autobiographiques, crus, plus par le regard sans fard que porte sur lui le futur cinéaste que par un langage vulgaire et grossier qu'on serait bien en peine de trouver parmi ces textes. Tarkovski a beau être sans concession sur sa personne, il n'en conserve pas moins une certaine pudeur. Mais on sent que Tarkovski n'est pas à l'aise avec l'art des mots, il ne suffisent pas à rendre compte de tout ce qu'il veut dire, ils peinent à rendre l'expérience de la vie telle qu'il la perçoit dans toute sa richesse (richesse dont témoigneront ses longs métrages, d'une grande beauté et d'une grande profondeur). Même ses poèmes, assez agréables (bien que parfois tourmentés), sont maladroits et ne frappent pas le lecteur par leur singularité. Ce sont de jolis instantanés de la nature russe (humaine comme végétale). Mais rien d'exceptionnel. Par contre, on sent dans chacun de ces textes, nouvelle ou poème, toute la sensibilité à fleur de peau du cinéaste russe, et surtout une attention portée au détail qui trouvera tout son accomplissement dans des films comme « Stalker », où la nature règne, majestueuse, sublimée par la photographie sépia ou en couleur du long métrage. Plus encore, on ressent ce que vit Tarkovski, ses peines comme ses joies, son émerveillement face à la nature environnante, même si ce n'est pas du même ordre que ce qu'éveille en nous « Le Miroir », peut-être son chef-d’œuvre cinématographique. Clairement, donc, ces « Récits de jeunesse » s'adressent aux inconditionnels de Tarkovski, car ils permettent de comprendre l'itinéraire personnel et artistique de ce cinéaste particulier. Leur valeur tient plus, en effet, du témoignage biographique que d'une quelconque teneur artistique, qui n'est pas encore pleinement épanouie (mais en 1962, année où s'arrêtent ces textes et où Tarkovski achève « L'Enfance d'Ivan », ça ne saurait tarder).

[2/4]

lundi 29 décembre 2014

« Ressusciter » de Christian Bobin (2001)

    Quelques mots sur Christian Bobin. Christian Bobin est un chercheur d'or, capable de trouver le métal le plus fin et le plus pur dans le cours tumultueux de la vie. Les aphorismes de Christian Bobin sont comme des touches de couleur aux nuances infimes, tantôt teintées de lumières, tantôt baignées par une ombre douceâtre. Leur éclat varie au gré des mots : elles sont souvent d'une joie parfaite, parfois d'une douleur sourde, mais jamais désemparée, toujours belles : simples et belles. Le vers libre (et plus généralement l'art) de Christian Bobin confirme que la poésie n'est pas qu'affaire de forme, je dirais même qu'elle est davantage affaire de sens, versée dans la forme des mots et leur agencement. Ce qui réjouit l'âme, dans la poésie de Christian Bobin, c'est la rencontre des images convoquées, c'est l'infini perçu dans le trois fois rien, c'est la richesse de la vie perçue dans la pauvreté de nos existences d'êtres humains. M. Bobin est capable de se réjouir de tout : c'est la marque des gens simples, d'une noble simplicité, qui sait que la vie ne réside pas dans l'argent ou les honneurs, mais dans l'amour et l'amitié. Et de fait, M. Bobin est un grand écrivain : il est un fin moraliste, mais pas un moraliste aride et aigre du XVIIIème siècle, car c'est aussi un merveilleux poète. Réjouissons-nous de cette conjonction de talents, qui nous offre de belles et longues méditations à partir de petits textes, et un beau moment de lecture grâce à cet art si consommé avec lequel il manie le Verbe.

    A présent, quelques mots sur son recueil « Ressusciter ». C'est un authentique chef d’œuvre de la littérature, un instantané de ce qui s'est écrit de mieux en ce début de XXIème siècle. Rares sont les ouvrages capables de délivrer avec autant de précision et de délicatesse le parfum si particulier de la vie véritable, celle des rencontres humaines et de l'émerveillement face à l'humanité et la nature. Bien sûr, cet émerveillement n'est pas béat et encore moins dupe : M. Bobin sait dépeindre les lâchetés d'autant mieux qu'elles blessent la sensibilité aiguë de son cœur d'homme. Pour autant, rares sont les livres à m'avoir touché à ce point, ce qui est d'autant plus étonnant au vu de la forme on ne peut plus modeste de l'ouvrage : quelques phrases couchées ici et là au creux de pages d'un blanc immaculé, aussi pures que sa poésie. Je me suis même pris à retrouver des souvenirs perdus de mon enfance et de mon adolescence, et autant le dire tout de suite, c'étaient de merveilleux souvenirs. Car oui, je n'ai pas peur de le dire : Christian Bobin réveille ce qu'il y a de meilleur en nous. Et pour cela, merci.

[4/4]

samedi 27 décembre 2014

« Un coup de dés jamais n'abolira le hasard » de Stéphane Mallarmé (1914)

    « Un coup de dés... » fait partie de ces œuvres fondatrices de la modernité artistique, qui ont conduit à la situation de l'art d'aujourd'hui, c'est-à-dire un art en crise, vidé de son sens et de sa substance. Ce poème posthume de Mallarmé confine aux limites de la fumisterie, si l'on excepte la sincérité de l'auteur, qui croyait en la poésie comme on croit en Dieu. Adepte de l'art pour l'art (autrement dit, l'art coupé de la vie et du sens), Mallarmé est de ces talentueux artistes qui ont précipité leur art dans le néant et la médiocrité, à l'image de Picasso, brillant technicien et commerçant, mais piètre artiste et visionnaire, fossoyeur de la peinture occidentale. Mallarmé a écrit des choses magnifiques, et est un fin versificateur. Seulement il a cru aveuglément que les mots pouvaient se suffire à leur sens, que leur gangue esthétique, leur seul aspect et leur seule sonorité pouvaient combler l'absence de sens, et mener à une perfection qu'il ne percevait pas complètement ampoulée (et stérile). Voulant créer une sorte de religion de la poésie, Mallarmé nous livre là un poème qui ne manque pas d'allure (notamment par la finesse des mots choisis), mais dont le vers libre se brise totalement sur les écueils de la vacuité. L'art pour l'art, l'esprit pour l'esprit, autrement dit le narcissisme artistique dans son plus bel éclat, tout cela ne mène à rien. Mais au début du XXème siècle, personne ne pouvait encore le deviner. Aujourd'hui, nous sommes les témoins impuissants des errements de nos aïeux (sinon en osant créer à notre tour du sens). Mallarmé, malgré sa longue quête artistique, ne semble pas avoir compris que l'essence du mot est d'être vecteur de sens. Le sens est véhiculé par la structure même du mot et par sa sonorité, et je me risquerai à avancer que l'art n'est rien d'autre que l'expression du sens, un langage qui utilise un support (ici les couleurs, là les mots, ou encore les sons) pour exprimer quelque chose, ce quelque chose étant l'opposé du rien. Alors il est vrai que ce poème est une longue divagation sur la notion de hasard, il a donc un certain sens, coulé dans son esthétique quelque peu prétentieuse et absconse. Mais si l'on juge à présent de l'intérêt de ce qui est véhiculé par ce poème, on en vient à être troublé. Quoi, tant de bruit pour si peu ? A l'image de l'art d'aujourd'hui, le choc stylistique masque la vacuité du fond et de la démarche de cette œuvre de bien faible envergure.

[1/4]

mercredi 28 août 2013

« Le Porche du mystère de la deuxième vertu » de Charles Péguy (1912)

    Sous un titre énigmatique, se cache une magnifique ode à l'Espérance, deuxième des vertus théologales, aux côtés de la Foi et de la Charité. Avec une grande audace mais aussi une humilité profonde, Péguy se fait le porte-parole de Dieu, un Dieu qui contemple sa création avec bonté et qui s'étonne devant l'entrain et la joie que porte l'espérance, personnifiée en une petite fille frondeuse. Le style de Péguy est rugueux, c'est un style terrien, fait de ressac, où les mots forment des vagues, comme le vent sur les blés. Il chante le labeur humain, mais aussi le repos sous la voûte étoilée. Il chante la rigueur de la vie, mais aussi sa beauté. Il chante la maladie, les larmes,... mais aussi l'espoir le plus pur, l'enfance, le rire. Charles Péguy manie les mots comme personne. Car son style n'est pas seulement buriné, il est également jeune, effronté : il ose à peu près tout, subtilement, sans pour autant verser dans le m'as-tu vu ou le clinquant stylistique. C'est ce qui fait qu'il est aussi intemporel, contrairement à nombre de ses prédécesseurs et de ses suiveurs (à vrai dire, il fait partie des 5 ou 6 plus grands poètes français, à mon sens). Et à la différence de bien des auteurs... Péguy ne se résume pas à un style. Sa spiritualité, incarnée au plus profond du genre humain, fait de son œuvre une source vivifiante où il fait bon se plonger. Les racines de Péguy sont bien ancrées dans la terre (ou dans le ciel, selon le mot de Rémi Brague) et il peut se faire le chantre de la vie sans craindre le ridicule, car il vit, sa poésie vit, et son art possède un souffle extraordinaire ! Mais pas un souffle baroque ou outré, comme chez les romantiques. Un souffle qui sonne vrai, qui donne envie de prendre la vie à bras le corps, sans hâte mais avec joie. En fait, la poésie de Charles Péguy est si jolie qu'on en oublie que c'est de la prose. Ses mots, choisis avec soin et pourtant d'un grand naturel, sont merveilleux. A découvrir !

[4/4]

mardi 12 juin 2012

« Gaspard de la Nuit » d'Aloysius Bertrand (1842)

    Il est temps d'inaugurer la section « littérature » de notre blog. Y seront conjointement présentées des œuvres romanesques comme poétiques : tout comme lorsque nous parlions de cinéma les films d'animation et en prises de vues réelles étaient considérés de concert malgré leurs indéniables dissemblances, je ne souhaite pas plus ici dissocier deux « façons de faire » qui possèdent à mes yeux une même essence, que je qualifierais peut-être naïvement de « littéraire ». Romans et poèmes divergent il me semble en premier lieu par la forme (et quelle forme me direz-vous), mais ils ont tant en commun que je ne pense pas qu'il soit opportun de les exclure mutuellement, du moins en ce qui concerne le modeste objectif que se fixe notre blog : partager des œuvres qui nous sont chères. C'est donc avec un grand plaisir que je vais inaugurer cette section, par la présentation d'un ouvrage à la croisée de la poésie et de la prose.

* * *

    « Gaspard de la Nuit » est l'un des tous premiers recueils de poèmes en prose, genre dont Baudelaire se fera le héraut avec son fameux « Spleen de Paris », directement inspiré de l'œuvre d'Aloysius Bertrand. Divisé en six livres de longueur variable, « Gaspard de la Nuit » est un ensemble de miniatures moyenâgeuses et pittoresques. Comme autant de visions d'une époque révolue et hautement fantasmée, faisant écho de l'aveu même de l'auteur à l'œuvre de Rembrandt ou de Callot, brillants illustrateurs chacun à leur manière, l'un à la peinture (principalement), et l'autre à l'eau-forte. A travers ses courts poèmes, Bertrand met en scène des personnages tous plus extraordinaires les uns que les autres, des nains, des sorcières, des moines, une ondine, un feu follet, des lansquenets,... Son bestiaire foisonne, et nombre de protagonistes hantent les pages de son unique et posthume ouvrage. Le langage est finement ouvragé, Bertrand empruntant moult mots vieillis à l'ancien français, façon de revenir plus sûrement dans le passé. Il faut saluer sa maîtrise du rythme : ses poèmes sont des fantaisies charmantes qui soutiennent la comparaison avec le chant du vers et des rimes. Notons aussi le soin apporté à la mise en page, chaque poème étant introduit par un épigraphe qui vient ajouter son sens à celui du poème, de sorte que la puissance évocatrice de chaque feuillet est ainsi démultipliée. A tous points de vue, « Gaspard de la Nuit » est une œuvre qui a fait date dans l'histoire de la poésie et de la littérature, et j'invite tous les amoureux de la poésie française, du XIXème siècle, du Moyen-Âge ou de la Bourgogne à redécouvrir ce petit chef-d'œuvre oublié.

[3/4]