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samedi 10 décembre 2022

« Les Bonnes Etoiles » (Beurokeo) d'Hirokazu Kore-eda (2022)

 

    Pour qui connait le cinéma d’Hirokazu Kore-eda, « Les Bonnes Étoiles » ne constituera ni une surprise ni une rupture par rapport au reste de sa filmographie. On pourra également soupirer face à certaines maladresses, une forme de naïveté… assez naïve, avec des bons sentiments et de l’humour qui peuvent paraître presque forcés…

Pourtant, je trouve qu’il s’agit d’un vrai bon film, qui renouvelle l’art de Kore-eda. Il semble que son escapade en France avec « Vérité », que je n’ai pas vu, ne nous ait pas donné un grand film. « Les Bonnes Étoiles » n’en est peut-être pas un non plus. A vrai dire, il affiche une modestie qui pourrait le faire ranger hâtivement dans la catégorie « film mineur » pour Kore-eda.

Mais je ne suis pas de cet avis. En s’échappant en Corée, il a redonné un coup de fouet à sa façon de faire, tout en restant dans une certaine continuité. Tout d’abord, au niveau des thématiques traitées, une fois de plus il s’attache à étudier les relations familiales, notamment maternelles, paternelles et filiales. « Les Bonnes Étoiles » est un magnifique film sur la famille, un de plus à mettre au crédit de Kore-eda.

Et une fois encore, il s’empare d’un sujet social pour traiter ce thème inépuisable de la famille. Le point de départ de ce long métrage est l’une de ces fameuses « baby box », ces boîtes aménagées, assez courantes en Corée (et au Japon aussi), où des parents et notamment des mères déposent leur enfant, pour qu’il soit récupéré par des associations et peut-être être adopté, dans l’espoir qu’il vive dans de meilleures conditions qu’auprès de sa famille biologique.

Bien sûr, ce genre de démarche est tout sauf anodine, elle est même particulièrement douloureuse, pour la mère… et l’enfant. Qui a peu de chances de retrouver un jour ses parents, et pas tant de chances que cela de se faire adopter. « Les Bonnes Étoiles » vous fera donc écraser quelques larmes, car c’est vraiment un film émouvant.

Mais là où Kore-eda traite ce sujet avec talent, c’est qu’il ajoute de la légèreté et un grain de sable (de folie ?) qui vient gripper ce « système » déjà fragile, en la personne d’escrocs à la petite semaine, dont l’inénarrable (et toujours aussi excellent) Song Kang-ho, qui vont récupérer le bébé de notre héroïne et tenter de le vendre à des parents souhaitant adopter un enfant.

Kore-eda nous dépeint ainsi une bande de bras cassés, toute une galerie de personnages bancals et abîmés par la vie, qui vont en quelque sorte reformer une famille bricolée, un peu folle et délirante… et terriblement attachante. Un beau moyen de nous montrer qu’une famille ne repose pas forcément sur un même sang partagé, mais sur un amour mutuel. Un amour pas toujours assumé (il y a beaucoup de pudeur dans ce long métrage), mais manifeste.

En cela, « Les Bonnes Etoiles » est un film aux personnages sublimes, des personnages complètements imparfaits, mais auxquels on s’identifie, et qui peuvent nous faire passer, en un claquement de doigts, du rire aux larmes. C’est aussi un « feel-good movie » qui s’assume, en témoigne la bande-son qui fait très cinéma indépendant américain, à la « Little Miss Sunshine », ce qui est tout sauf une insulte pour moi, tant ces deux films me semblent de belles réussites dans leur genre.

Pour finir, je voudrais mettre l’accent sur deux autres qualités de ce film dont je trouve qu’on ne parle pas assez. Tout d’abord, il prend la forme d’un très sympathique road trip, qui mène nos (anti)héros sur les routes de Corée. Kore-eda nous offre ainsi des vues superbes du Pays du Matin Calme, un pays que j’ai redécouvert grâce à ce film, entre montagnes aux forêts à perte de vue, plages de sable fin, zones périurbaines d’une poésie moderne…

Ce qui me permet de faire le lien avec l’autre point que je tiens à souligner : les magnifiques prises de vue qui émaillent ce film. La photographie est vraiment très belle, et les cadrages, les sujets filmés et la composition des plans, font qu’on se retrouve régulièrement face à des images bluffantes, qui font penser à du Edward Hopper contemporain. Ce sont ces plans géométriques sur des lignes électriques, la pluie qui coule sur une vitre, le reflet d’un visage qui répond au reflet d’un autre…

Lors de l’avant-première à laquelle j’ai eu la chance d’assister, en présence d’Hirokazu Kore-eda, ce dernier nous a indiqué qu’il n’a regardé qu’un seul film pour préparer ce long métrage : « Le Fils du Désert » de John Ford. Et je trouve que « Les Bonnes Étoiles » est du même acabit, sans être aucunement un décalque du long métrage de Ford : c’est un très beau film humaniste, à la fois léger et profond, drôle et touchant. C’est un classique instantané (oui), un film intemporel, qui selon moi va rester. Peut-être pas un chef-d’œuvre. Mais un jalon clé dans la filmographie de ce formidable cinéaste japonais, et un film qui compte déjà pour moi. Et pour ça, arigato Kore-eda-san.

[3/4]