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jeudi 12 avril 2012

« L'Homme au crâne rasé » (De man die zijn haar kort liet knippen) d'André Delvaux (1965)

    « L'Homme au crâne rasé » est un remarquable long métrage, et compte parmi les grandes réussites du cinéma européen des années 60. Avec une économie de moyens redoutable, André Delvaux parvient à dépeindre l'âme torturée d'un homme semble-t-il ordinaire, mais habité par des fantasmes qui le mèneront à sa perte. Delvaux parvient à distiller le malaise qui envahit cet homme peu à peu avec brio. Il lui suffit de cadrages méticuleux, d'un noir et blanc somptueux et d'idées de mises en scènes simples mais efficaces pour retranscrire le monde intérieur de notre anti-héros. Il convient par ailleurs de saluer l'excellence de l'interprétation, en particulier Senne Rouffaer, inoubliable interprète de Govert Miereveld, avocat sombrant peu à peu dans la dépression nerveuse et la folie. Saluons aussi la musique de Frédéric Devreese, soulignant fort à propos ce qui se trame à l'écran. Quant au scénario, il est ingénieusement construit et typique du « réalisme magique », mouvement auquel ce film se rattache : impossible de distinguer le rêve de la réalité, l'onirisme imprègne littéralement le long métrage au point que l'on perde tous ses repères temporels et spatiaux. Un film saisissant, sobre, mais tout sauf aride, au sensualisme surprenant compte tenu de sa forme épurée.

[3/4]

mardi 6 décembre 2011

« Benvenuta » de André Delvaux (1984)

Adapté du roman de Suzanne Lilar «La confession anonyme», «Benvenuta» est un bel exemple du raffinement extrême de l’art d’André Delvaux, raffinement si subtil que l’on peut facilement passer à côté du film sans en avoir saisi toute l’intelligence et la complexité. Un jeune scénariste cherche à réaliser un film sur un personnage imaginaire, «Benvenuta», inventé par une romancière plusieurs années auparavant. Il rend alors visite à cette auteure, à Gand, convaincu de la part autobiographique importante qu’elle a mis dans ce personnage et l’interroge sans relâche, cherchant à connaître Benvenuta, à la comprendre et à la rencontrer. Cette recherche d’un personnage imaginaire à travers l’auteure qui l’a inventé est l’occasion pour Delvaux de mettre en scène, comme à son habitude, différents niveaux de réalité et de développer un double récit. Alors que la romancière se livre petit à petit, relatant les épisodes de l’aventure amoureuse passionnée de Benvenuta avec un napolitain plus âgé, figure du père absent, un véritable jeu de miroir se met en place entre les deux couples du film : couple imaginaire Benvenuta-amant italien et couple réel scénariste-romancière. Les deux récits se recoupent, se croisent, font écho l’un à l’autre et, peut-être, s’autoalimentent, jusqu’à la magnifique séquence finale dans laquelle ces deux espaces-temps, ces deux niveaux de réalité, se réunissent, non dans le même plan, Delvaux entretenant l’impossible communication des deux, mais dans la même séquence, par une utilisation poétique du champ contre-champ. Ce qu’il y a donc d’intéressant dans le film de Delvaux, et qui fait d’ailleurs de ce cinéaste un cinéaste précieux, ce n’est pas le récit de la passion amoureuse de Benvenuta avec son amant, ni même le portrait, pourtant psychologiquement très travaillé, de cette femme dévorée par son romantisme exacerbé. La grande subtilité de cette œuvre réside dans les nombreuses pistes de réflexion et les saillies poétiques révélées par ce dialogue entre les deux récits parallèles de son film, interrogeant les liens entre l’écrivain et ses héros, la contamination réciproque entre personnages imaginaires et vie réelle (nous ne saurons pas vraiment si Benvenuta est née de l’imaginaire ou de la mémoire). De manière plus générale le film est une parfaite illustration des liens entre cinéma et littérature, liens qui ont souvent été à la base des œuvres du cinéaste. Si «Benvenuta» est ainsi une œuvre extrêmement raffinée qui contient (en les cachant bien je le concède) de magnifiques petits trésors, le film peine à véritablement émouvoir ou fasciner. La mise en scène impeccable et élégante de Delvaux n’en reste pas moins quelque peu figée, trop sûre d’elle-même, ce qui conduit à un certain académisme manquant de folie (pour être un peu mordant, on pourrait voir en «Benvenuta» un film traduisant une certaine vieillesse de son réalisateur). L’interprétation peut également laisser dubitatif, Fanny Ardant sur jouant légèrement. De plus, le personnage de François peine à vraiment s’incarner à l’écran et tend à se borner et s’enfermer dans son unique utilité scénaristique. Ce personnage ne vit pas vraiment, reste uniquement un moyen narratif. «Benvenuta» peut donc prendre des allures de «joli» film (entendu péjorativement), qui ne laisse pas, in fine, l’impression remarquable que le travail considérable de Delvaux aurait mérité d’engendrer. Le film ne met pas en valeur son grand potentiel... Mais grand potentiel il y a quand même, et il serait dommage de s’en priver!

[2/4]

mardi 1 février 2011

« Un soir, un train » de André Delvaux (1968)

« Un soir, un train » est un très beau film, qui distille une ambiance étrange, flirtant franchement avec le fantastique, et qui révèle nombre de ses qualités après le visionnage. Au début du film, nous suivons le quotidien de Matthias, professeur de linguistique dans une université flamande. Delvaux utilise ici un point de vue très réaliste et filme divers moments de la journée de Matthias (chez sa mère, à l’université, avec son amie Anne). Il ne s’agit pas ici d’une simple « mise en place » du film : discrètement, par accumulation successive, les principales thématiques sont annoncées : l’incommunicabilité, le couple, et la mort, avec pour décors très représentatif, la partition de la Belgique. Le film semble semer des indices, comme un avertissement adressé à Matthias et une invitation pour le spectateur à porter son attention sur ces différents petits grains de sable qui lui permettront de mieux appréhender l’enrayement qui suivra. Avertissement que Matthias ne saura donc pas entendre, pas plus qu’il ne parvenait à écouter sa mère dès la première séquence, ou son amie Anne lors de la scène du repas. Puis le film entame sa rupture : après une dispute, Matthias prend le train. Anne finit par le rejoindre. Matthias s’endort et à son réveil, Anne a disparu. C’est alors que le train est arrêté en pleine voie. Matthias descend, en compagnie d’un vieil homme, à la recherche de son amie. Un étudiant, Val, les rejoint, puis le train repart sans eux, dans un inquiétant silence, les laissant sur le bas-côté… S’en suit l’errance de ces 3 personnages dans un paysage désolé, fangeux. Ils parviennent finalement à rejoindre un village fantôme où les habitants ont de biens étranges comportements et parlent une langue inconnue du professeur… Delvaux introduit diverses séquences oniriques et met en images certains souvenirs de Matthias, avec déjà cet incroyable sens du raccord, qui dynamise la mise en scène (manière qui frôlera la perfection dans son film suivant, « Rendez-vous à Bray »). Les 3 hommes trouvent refuge dans une auberge tenue par une inquiétante servante muette. L’étrangeté des situations ne peut alors plus laisser Matthias indifférent… Je garde au lecteur le plaisir de la chute qui, si elle n’étonnera aucunement le spectateur aguerri au cinéma fantastique, n’en reste pas moins une vive incitation à la relecture réflexive du film. Relecture qui révèle alors des trésors symboliques et des richesses poétiques étonnantes. Quelque part entre le « Je t’aime je t’aime » de Resnais et « Le charme discret de la bourgeoisie » de Buñuel, imprégné d’une étrangeté poétique héritée du « Vampyr » de Dreyer et toujours cette douce poésie propre au réalisme magique de Delvaux, « Un soir, un train » est un film magnifique, qu’il est indispensable de découvrir.

[3/4]