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samedi 27 août 2011

« La fête et les invités » (O Slavnosti a hostech) de Jan Nemec (1966)

Réalisé en 1966, «La fête et les invités» fait partie de ce mouvement de contestation, porté par les intellectuels et artistes tchécoslovaques, dénonçant la main mise et le contrôle total du pouvoir communiste sur les médias et la culture, mouvement qui conduira à la timide libéralisation du Printemps de Prague. Le film de Nemec sera alors censuré par le régime pendant 2 ans. «La fête et les invités» est en effet une parabole politique puissante, évoquant, sur le registre surréaliste, les conditions d’une société totalitaire. L’argument est très simple (le film n’excède pas 70 minutes) : un groupe d’amis traverse la campagne pour se rendre à une fête. En chemin, ils sont contrariés par un groupe d’individus étranges qui les soumet à un jeu quelque peu malsain et humiliant. Ils sont finalement libérés par leur hôte qui les conduit sur le lieu de la fête. Mais l’un des invités, probablement pris de panique suite à la mascarade précédente, décide de s’enfuir, ce qui va contrarier l’hôte et l’ensemble des convives et précipiter la fin du repas. Si le propos de Nemec cible, de manière à peine voilée, le pouvoir communiste (notamment par une allusion très nette au bien être du groupe, de la collectivité, troublé par la volonté d’un seul homme), le film possède suffisamment de qualités pour dépasser très largement son contexte historique. Nemec déploie ici avec brio un art raffiné de la suggestion. Sans jamais céder à la violence directe, en gardant un aspect lisse, bon enfant, et non dénué d’humour, «La fête et les invités» diffuse cependant un malaise croissant. Il nous semble que tout peut advenir et on sent que le film peut, à tout moment, basculer dans l’horreur. Mais Nemec a l’intelligence de garder une distanciation absurde et ironique jusqu'au bout, ce qui renforce le côté dérangeant du film. Le jeu, ou la farce dont sont victimes les invités, nous fait ressentir la terreur intérieure des personnages et suggère l’état d’oppression d’une population sous un régime totalitaire. Cet état conduit ensuite les invités, dans la seconde partie du film, à une complète démission intellectuelle les mettant en position d’accepter toute situation. «La fête et les invités» est une parfaite illustration de ce cheminement psychologique guidé par la peur et revêt ainsi une portée universelle et atemporelle. On pense à Kafka, les dialogues de la première partie évoquent Ionesco, et l’essence surréaliste du film rappelle immanquablement Buñuel («L’ange exterminateur» notamment). On notera également la photographie impeccable de Jaromír Sofr et l’interprétation admirable de Jan Klusák en homme enfant terriblement inquiétant. L’une des grandes réussites du cinéma tchèque des années 60, qui réserve décidément de magnifiques découvertes.

[3/4]

jeudi 10 mars 2011

« Les diamants de la nuit » (Démanty nocy) de Jan Nemec (1963)

Y a-t-il eu, dans la brève histoire du septième art, décennie plus foisonnante, plus riche, plus innovatrice que les années 60 ? Je ne le pense pas. Et le cinéma tchèque, qui naquit en amont et en aval du printemps de Prague, en est une des fort nombreuses illustrations. «Les diamants de la nuit» de Jan Nemec (1963) prend place parmi les nombreux bijoux que nous ont offerts une génération de réalisateurs au pays de Kafka, avant que le pouvoir communiste n’y impose sa sinistre «normalisation». L’argument du film est très simple. Aux alentours de l’année 1943, deux jeunes hommes sautent d’un train de déportés. Ils doivent se trouver quelque part dans la région de Carlsbad (aujourd’hui Karlovy-Vary en Tchéquie) peuplée de Sudètes germanophones et rattachée au Reich en 1938. Affaiblis, épuisés, tenaillées par la faim, la soif et le froid, ils fuient à corps perdu dans la forêt et luttent pour leur survie avec une énergie animale. Ils finissent par trouver un village où ils obtiennent à boire et à manger d’une fermière. Mais celle-ci les dénonce et ils font alors l’objet d’une véritable chasse à l’homme menée par tous les vieillards du village (on imagine les hommes plus jeunes au front). Rattrapés, ils sont condamnés à mort pour finalement faire l’objet d’un simulacre d’exécution. Le film vaut cependant moins par ce contenu très ténu que par sa mise en scène magistrale où éclate tout le talent de Nemec. Son ouvrage relève stylistiquement de ce que Deleuze appelle l’image-cristal, c’est-à-dire d’une image où le réel et le virtuel se confondent jusqu’à devenir indiscernables. Le réel, ce sont les perceptions actuelles des personnages, portant sur une réalité «objective». Le virtuel, ce sont les perceptions issues de leur imagination et qui portent sur les nappes de passé peuplant leur mémoire et sur les projections fantasmatiques de leur avenir. Deleuze assigne un statut cristallin aux images d’un film lorsque celles-ci mêlent de la sorte le réel et le virtuel, au point que le spectateur ne puisse plus décider de l’objectivité de sa perception. C’est très exactement ce qui se passe dans «Les diamants de la nuit». Tout est filmé du point de vue subjectif des deux personnages et Nemec alterne sans cesse perceptions actuelles, souvenirs récents ou plus anciens, ainsi que projections imaginatives de l’avenir espéré, au point qu’on ne puisse plus toujours décider avec une absolue certitude du statut de chaque image. On voit ainsi l’un des deux héros fantasmer à diverses reprises l’assassinat de la fermière, lequel n’aura en réalité pas lieu. On voit d’autre part le rêve récurrent d’une porte à Prague, celle d’un espoir non dit et qui ne sera jamais ouverte. On voit enfin l’image des deux jeunes gens assassinés pour comprendre finalement plus loin qu’il ne s’agissait à nouveau sans doute que d’un fantasme. Ce désordre vécu de la vie perceptive est bien évidemment motivé par la faim, les angoisses et les espoirs des personnages et le talent de Nemec est de nous le faire ressentir de l’intérieur. Sa caméra colle d’ailleurs au plus près des corps, saisissant leurs douleurs, leurs contorsions et toute la gamme des émotions qui les étreignent. La bande-son quant à elle, minimaliste, quasi muette, dépourvue de musique, se contente d’enregistrer les bruits de la nature, la respiration haletante des deux protagonistes ou encore les rires narquois et les chants de leurs chasseurs. Il s’agit d’un film terrible dans sa simplicité et son extrême concision (il dure à peine 65 minutes). Il nous montre deux adolescents réduits à un état de survie animale et nous rappelle, par le portrait répugnant qu’il nous brosse de leurs bourreaux — «les braves vieillards sudètes», que les monstres ne sont pas des extraterrestres, mais des gens parmi les plus ordinaires et les plus quotidiens, ceux-là même qui pourraient se réveiller, si l’on y prend garde, en chacun d’entre nous. Un film à découvrir absolument, comme beaucoup d’autres édités dans la remarquable collection tchèque de Malavida. [3/4]