lundi 31 décembre 2012

« Les Celtiques » (Le Celtiche) d'Hugo Pratt (1980)

    « Les Celtiques » est l'un des plus jolis albums des aventures de Corto Maltese. Il faut dire qu'il fait la part belle au rêve et aux mythes (en l'occurrence celtiques). Cet album regroupe quatre histoires. La première, « Concert en O mineur pour harpe et nitroglycérine », raconte les difficultés d'un groupe de l'IRA, aux prises avec les britanniques, en 1917. Il y est question d'honneur et de honte, d'héroïsme et de lâcheté, d'idéaux pour certains déchus, pour d'autres toujours vivants, et de rébellion contre l'oppresseur. La seconde histoire, « Songe d'un matin d'hiver », très poétique, figure la lutte des créatures enchantées celtiques contre l'envahisseur germanique. Nous sommes en effet pendant la Première guerre mondiale, et Obéron, roi des elfes ou des fées, c'est selon, apparaît à Stonehenge, inquiet du devenir des légendes de son pays. Entouré de la fée Morgane, de Merlin réveillé du sortilège jeté sur lui par Viviane, et de Puck,  espiègle lutin, il choisit un dormeur alangui au pied d'un rocher, notre ami Corto Maltese, pour délivrer l'Angleterre de la menace allemande. Notons la richesse et la beauté de l'illustration d'Hugo Pratt, qui fait de cet épisode l'un des sommets graphiques de son œuvre, avec la quatrième histoire de ce recueil. Vient ensuite « Côtes de Nuits et roses de Picardie ». Un passage narrant les exploits de l'aviateur Manfred von Richthofen, le fameux Baron Rouge. Aux commandes de son triplan rouge sang, il décime en effet les troupes alliées et domine le ciel picard. L'album s'achève avec « Burlesque entre Zuydcoote et Bray-Dunes », l'histoire d'un marionnettiste un peu fou et de sa protégée, l'envoûtante chanteuse Mélodie Gaël. Dans une atmosphère mystérieuse, un incident survient, alors que Corto retrouve son ami Caïn Groovesnore, apparu pour la première fois dans « La Ballade de la mer salée ». Ce bref récit est lui aussi illustré de main de maître, onirique à souhait, nous gratifiant d'une historiette captivante. Je ne saurait donc trop vous recommander cet ouvrage, comptant parmi les meilleurs réalisations du maestro italien.

[4/4]

vendredi 28 décembre 2012

« L'Été de Kikujiro » (Kikujirō no Natsu) de Takeshi Kitano (1999)

    Quand je pense à un film de Kitano, je pense souvent à l'été, au soleil irradiant, à la chaleur. Peut-être encore plus avec « L’Été de Kikujiro », qui est même pour moi le film des grandes vacances par excellence. Rares sont les long métrages à avoir saisi d'une aussi bonne manière ce temps particulier, dilaté, étiré à l'extrême des vacances d'été, où ennui, amusement et oisiveté s'entremêlent subtilement, où l'on veut goûter chaque seconde du temps qui passe sans y parvenir totalement.

Et quoi de plus frappant pour matérialiser ce moment si singulier que de mettre en scène un enfant qui ne peut pas partir en vacances ? Le petit Masao a en effet été abandonné par ses deux parents et est élevé par sa grand mère. Le jour des vacances, il se retrouve totalement démuni : ses amis partent l'un après l'autre avec leurs parents, le club de foot est fermé... Que faire ? Masao tourne en rond et est triste : il devra rester chez sa grand mère. Autrement dit, il n'aura pas de vacances...

Alors il décide de rejoindre sa mère. Il n'a que quelques photos et une adresse pour indices, il prend son sac à dos et un peu de monnaie et il part, sans prévenir personne. Heureusement, par un concours de circonstances, un couple ami de la grand mère de Masao le croise sur son chemin et décide de prendre le garçon sous son aile. Il incombe alors au mari d'emmener le petit en vacances et notamment chez sa mère.

En résulte un drôle de voyage initiatique, sorte d'anti-« Voyage de Chihiro ». En effet, le mari, le fameux Kikujiro éponyme, est un ancien yakusa et est plutôt une brute épaisse qu'un bon père de substitution. Masao va ainsi vivre des moments éprouvants avec Kikujiro, ce dernier ne se souciant guère de l'enfant au début, préférant l'exploiter au maximum, Kitano usant à cette occasion d'un humour noir et acerbe totalement décalé.

Mais peu à peu, la relation entre Masao et Kikujiro va évoluer. Ce dernier va progressivement gagner en humanité et s'attendrir aux côtés du jeune garçon. Ainsi, par la façon dont Kitano construit son récit, de personnage de second plan, Kikujiro va devenir le vrai héros de ce film, ou tout du moins à part égale avec Masao. Le long métrage ne sera donc pas tant l'histoire des vacances étonnantes de Masao que le récit de la transformation progressive de Kikujiro en être doué d'un cœur, capable d'aimer.

A ce titre, « L’Été de Kikujiro » est un film particulièrement touchant et rafraichissant. Il y a beaucoup d'humour dans ce long métrage, mais aussi beaucoup de poésie. Si le rythme lent et contemplatif et le ton burlesque peuvent désarçonner (j'étais complètement passé à côté du film la première fois que je l'ai vu), ce long métrage est l'un des meilleurs de Takeshi Kitano... et même l'un de ses tous meilleurs. Un film pour les adultes qui n'ont pas oublié l'enfant qu'ils furent un jour.

[3/4]

jeudi 27 décembre 2012

« Morgan » d'Hugo Pratt (1999)

    Ultime œuvre dessinée par Hugo Pratt, au soir de sa vie, « Morgan » est à peu de choses près un condensé de la façon de faire de l'auteur italien. Un dessin épuré, une aventure dont l'intrigue est ancrée historiquement (nous sommes à la fin de la Seconde guerre mondiale), un héros moderne, un brin cynique... Morgan est sous-lieutenant dans la Royal Navy. Officier expérimenté, habile et rusé, il écope pourtant de missions anecdotiques, de routine. De son propre aveu, il a plus l'impression de travailler pour la Royal Mail que pour la Royal Navy. Mais les circonstances l'emmèneront là où il ne s'y attendait pas, au gré des vagues de l'Adriatique. Le dernier album dessiné par Hugo Pratt est de qualité. Une qualité qui aura caractérisé toute son œuvre. On peut cependant regretter qu'il manque à « Morgan » cette poésie qui fait les meilleurs albums du dessinateur italien, que l'on compte parmi la série des aventures de Corto Maltese. Hugo Pratt partage avec les plus grands une capacité à faire rêver sans pareille. Dommage que ce dernier opus n'en soit pas l'illustration (affaire de goûts personnels). Néanmoins il s'agit là d'une aventure bien ficelée, un peu brève, mais attachante.

[2/4]

mardi 25 décembre 2012

« Dans un ciel lointain » (In un cielo lontano) d'Hugo Pratt (1996)

    Brève aventure africaine, « Dans un ciel lointain » nous conte les exploits d'un as de l'aviation, le capitaine Pietro Bronzi. Il est italien, et nous sommes en 1940, lors de l'entrée en guerre de l'Italie dans le conflit mondial. Bronzi est amoureux de Luciana Gila, fille d'un colonel, ils ont d'ailleurs prévu de se marier d'ici peu. Hélas, Luciana aime en secret le frère de notre héros, Luca. Et ce dernier ne sait pas comment l'annoncer à son frère. La guerre, et l'affectation de Pietro à Asmara, en Érythrée, viendront les séparer. « Dans un ciel lointain » est une tragédie moderne, se déployant à Rhodes, dans le ciel africain, au gré des sables du désert. L'exotisme du décor vient rehausser la douleur du drame qui se noue. Notons la finesse des sentiments que dépeint Hugo Pratt : c'est une histoire accomplie qu'il nous offre. Certes, elle reste assez classique et ne compte pas parmi les meilleures réalisations de l'auteur italien, mais elle parvient sans peine à nous transporter vers l'Afrique orientale, et nous amène à nous préoccuper du sort d'un aviateur au cœur lourd.

[3/4]

samedi 15 décembre 2012

« La Maison dorée de Samarkand » (La casa dorata di Samarcanda) d'Hugo Pratt (1986)

    « La Maison dorée de Samarkand » est l'une des grandes aventures de Corto Maltese, qui le mènera de Rhodes à la République socialiste soviétique autonome du Turkestan, actuel Ouzbékistan. On ne sait pas trop si c'est à la recherche de l'or perdu du roi perse Cyrus ou de son étrange « ami » Raspoutine, emprisonné dans une prison sordide, que Corto s'engage (toujours cette indécision de l'auteur entre le cynisme et la bonté d'âme)... Toujours est-il qu'il traversera des territoires déchirés par la guerre et la plus grande confusion, entre idéaux trahis, désir de vengeance, soif de pouvoir... Une situation à l'image du début du XXème siècle. Comme à son habitude, Corto ira de rencontres en rencontres : derviches tourneurs, aventuriers sans foi ni loi, espionnes, comédiens défraichis, révolutionnaires... et même son double maléfique! Sans oublier le fidèle Raspoutine, toujours aussi brutal, méchant, terre à terre et opportuniste. Le contraire même de Corto Maltese, (anti)héros romantique et rêveur, perdu dans un passé dont on ne sait rien, ou presque. « La Maison dorée de Samarkand » est d'ailleurs particulièrement marqué par le rêve et l'incertitude, entre la nuit, les songes et les volutes de fumée de haschich. L'onirisme n'est jamais bien loin, et annonce l'orientation que prendra l'œuvre d'Hugo Pratt par la suite, de plus en plus détachée de toute réalité, du moins en ce qui concerne les aventures de notre marin maltais. Un album parfois un peu confus, mais faisant la part belle à l'aventure et à une certaine poésie (même si Pratt a fait encore mieux dans le domaine).

[3/4]

dimanche 2 décembre 2012

« Sandokan - Le Tigre de Malaisie » (Sandokan) d'Hugo Pratt et Mino Milani (2009)

    Hugo Pratt et Mino Milani ont respectivement dessiné et écrit en 1969, pour le Corriere dei Piccoli, un ouvrage inspiré des « Tigres de Mompracem » d'Emilio Salgari, grand nom du roman d'aventure italien du début du XXème siècle. Le titre de cette œuvre : « Sandokan - Le Tigre de Malaisie ». Cette bande dessinée raconte les aventures d'un pirate malaisien, Sandokan, et de ses hommes, dans leur lutte contre les colons britanniques, personnifiés par Lord Guillonk, décrit comme un « aventurier sans scrupules ». Or ce dernier a une nièce, Lady Marianne, surnommée la Perle de Labuan, à la beauté exceptionnelle. Bien évidemment, Sandokan en tombera fou amoureux, et fera tout pour conquérir son cœur. Il s'agit donc d'une belle histoire d'amour, ancrée dans un contexte historique bien précis (comme la majorité des œuvres d'Hugo Pratt), et baignant dans un exotisme envoûtant. On regrettera la brièveté du récit : Pratt n'a jamais achevé son travail, et les quelques planches qu'il a dessinées n'ont été retrouvées qu'il y a quelques années. Pour autant, c'est une histoire qui mérite la lecture, illustrée de main de maître (le noir et blanc est magistral, le coup de crayon audacieux), et faisant la part belle aux nobles sentiments, que ce soit l'amour le plus pur ou l'héroïsme de notre héros. Une œuvre inachevée, bancale donc, mais pour le peu qu'il nous est donné de contempler, une véritable réussite.

[3/4]

samedi 1 décembre 2012

Citation du samedi 1er décembre 2012

« De même qu’il est mieux d’illuminer que de briller simplement, ainsi il est préférable de transmettre aux autres ce que l’on a contemplé que de contempler seulement. »

Saint Thomas d’Aquin
(Somme théologique, IIa, IIae, qu. 188, art. 6)