jeudi 28 décembre 2023

« Et vous, comment vivrez-vous ? » (Kimi-tachi wa dō ikiru ka) de Genzaburô Yoshino (1937)


Magnifique roman d'apprentissage, d'une profondeur insondable. Certes, le ton très didactique et le vocabulaire simple peuvent laisser penser que cet ouvrage ne s'adresse qu'aux adolescents. Mais si c'était le cas, ce serait déjà un chef-d’œuvre de la littérature jeunesse, par sa force et sa richesse sur le fond. D'ailleurs, c'est ce qu'il est. Son retentissement énorme, des décennies après sa rédaction, en est la preuve éclatante.

Mais ce livre peut aussi se lire à un âge adulte, et n'en est que plus émouvant. Il permet de se mettre à hauteur d'adolescent, en se replongeant dans nos pensées de l'époque, mais aussi nos choix qui ont fait l'adulte que nous sommes aujourd'hui. Qui plus est, l'auteur déploie des valeurs universelles, valables à tout âge et quelle que soit son origine ou son pays. Ce qui est d’ailleurs remarquable, pour un livre écrit en 1937, alors que les totalitarismes étendaient leur emprise sur le monde entier…

Si le style, que ce soit dû à la traduction ou non, peut paraître un peu scolaire, il se dégage de la lecture de ce livre un enthousiasme vivifiant et des sentiments subtils. Il est indispensable de prendre connaissance du contexte de rédaction de ce livre avant de s'y plonger, ce que permet la note introductive signée de l'auteur, Genzaburô Yoshino, dans l’édition Picquier (excellente). Cet ouvrage est en fait le dernier et le point d’orgue d’une collection de seize livres pour enfants, intitulée « Nihon Shukokumin Bunko », soit en français « Bibliothèque de la Jeunesse Japonaise ».

Cette collection est le fruit d’un travail collectif, entre éditeurs et écrivains, autour d’une ligne éditoriale humaniste et progressiste, allant clairement à l’encontre du militarisme forcené qui régnait alors au Japon. Genzaburô Yoshino était éditeur de cette collection, et comme ses partenaires sur ce projet, il a fait plusieurs fois de la prison du fait de ses convictions politiques. Il se trouve que ce seizième ouvrage devait être la clé de voûte de la collection, devant donner sens et perspective à l’ensemble des ouvrages précédents. La tâche était donc difficile et ambitieuse. C’était l’écrivain Yūzō Yamamoto qui devait le rédiger, mais il tomba malade, et ce fut donc Genzaburô Yoshino qui pris son courage à deux mains et s’attela à écrire cet ouvrage.

Genzaburô Yoshino n’est pas un génie de la littérature, ce livre ne vaut donc pas la lecture pour cet aspect. D’où, sans doute, certaines critiques négatives que j’ai lues ici et là, qui me semblent hélas ne s’en tenir qu’à la forme (et donc à la surface)… En revanche, Yoshino était un philosophe, et il avait un grand sens de la pédagogie. Il a ainsi construit des personnages attachants et plausibles : quelques jeunes d’une quinzaine d’années. Et il leur a fait vivre des péripéties classiques à cet âge… Mais en cherchant à en tirer de grandes leçons. Or si la langue employée n’est pas renversante – mais belle pour autant – ce sont surtout les réflexions qui y sont déployées qui s’avèrent tout simplement brillantes.

Avec une économie de mots redoutable, Genzaburô Yoshino réfléchit aux grands problèmes de l’humanité… et aux grandes questions qui font d’un homme et d’une femme des êtres humains dignes de ce nom. L’air de rien, ce livre, progressivement, se révèle un roman d’apprentissage très marquant, traitant de thèmes aussi importants que l’humanité, la société, la nation, la vertu, le courage, l’amitié, l’honneur, la justice, la fraternité, la vérité, la science, l’art, mais aussi la lâcheté, la violence, le mensonge, le remord, les inégalités sociales, la conscience… « Et vous, comment vivrez-vous ? » est donc un livre particulièrement puissant, vibrant d’humanisme, renfermant des passages éblouissants, au milieu d’un roman solaire, célébrant la beauté de l’enfance et de l’adolescence, ces temps de construction de soi si fondamentaux pour tout être humain.

Pour finir, je dois préciser que j’ai lu ce livre récemment, comme beaucoup, car il vient d'être adapté au cinéma par Hayao Miyazaki, sous ce même titre au Japon, et traduit de façon très maladroite et réductrice par le simpliste « Le Garçon et le Héron » en Occident… Comme beaucoup, également, je me suis vite rendu compte que Miyazaki ne s’en est inspiré que de façon très lointaine, ce qu’avaient indiqué certains journalistes à la sortie du long métrage. Mais à vrai dire, en lisant cet ouvrage, j’avais l’impression d’être dans un film de Miyazaki, avec ces mêmes personnages fiers, dignes, profondément humains, vivant la vie à fond. Avec cet humanisme rayonnant et vivifiant, tellement inspirant… Cette joie d’être au monde et de s’accomplir…

Pas de doute, il y a bien une filiation entre ce livre et l’œuvre d’Hayao Miyazaki. Il y a même des liens évidents avec « Le Garçon et le Héron », ne serait-ce que par le héros du film, Mahito, qui a un caractère proche de celui de Coper, le héros du roman. Ou encore avec cette figure tutélaire de l’oncle, même si celle-ci a une place absolument essentielle dans le livre, et plus secondaire dans le film de Miyazaki.

En tout cas, je ne peux que recommander de mettre cet ouvrage dans les mains de tout adolescent de 12 à 18 ans. C’est un livre que j’aurais aimé découvrir plus jeune, et qui m’a fait une très forte impression, alors que je le lis pour la première fois en ayant la trentaine. Et une fois encore, je ne peux que saluer la clairvoyance et le courage de son auteur, Genzaburô Yoshino, qui a écrit une œuvre d’une beauté et d’une intelligence sidérante sur le fond, à une époque particulièrement trouble et délétère. C’est peu dire qu’elle résonne d’autant plus fort aujourd’hui…

[4/4]

jeudi 21 décembre 2023

« La Chimère » (La Chimera) d’Alice Rohrwacher (2023)


Je ne pensais pas pouvoir le dire un jour : voici un film d'Alice Rohrwacher que j'ai apprécié. « Heureux comme Lazzaro » m'avait laissé complètement sur le carreau. Encensé plus que de raison à mon sens, il partait avec d'excellentes et ambitieuses idées sur le papier, mais la mise en images et en scène laissait le tout à l'état d'intentions, de brouillon assez (très ?) poseur...

« La Chimère » est mieux écrit et construit il me semble : il y a un fil conducteur (c'est le cas de le dire), qui donne sens à l'ensemble et à ses parties. On retrouve le goût d'Alice Rohrwacher pour les marginaux et pour les digressions. Et par ses thématiques et ses images, la cinéaste est une fois encore ambitieuse, dessinant à l'écran un portrait multiple de l'Italie, à travers les âges (Étrusques, Rome antique, 18e siècle, 20e et 21e siècles...) et les différentes catégories de sa population, des plus modestes aux plus aisés.

Le film fait également référence aux grands cinéastes italiens du passé, notamment Federico Fellini, source d’inspiration majeure ici (« La Dolce Vita », « Fellini Roma », « Les Vitelloni »...), ou rappelle les personnages de bras cassés à la Mario Monicelli (« Le Pigeon »…). Si les citations sont bien vues et plutôt bien intégrées, elles sont peut-être un peu trop évidentes, comme pour masquer certaines faiblesses.

Certains passages sont en effet plus caricaturaux... Je salue la conscience sociale de la réalisatrice italienne. Mais si parfois l'outrance est bien amenée, d'autres fois elle jure avec le reste du film, plutôt subtil au demeurant. Il y a toujours, également, quelques passages « space » et un côté perché, voire bien allumé, qui me fait un peu sortir du film par moments... Ou encore une difficulté à intégrer harmonieusement plein d'idées qui partent dans tous les sens, certains éléments faisant quelque peu artificiel et forcé.

Toutefois, matérialiser le rapport des Italiens à l’art (antique), dans les années 1980 est une bonne idée. Partout en Occident (voire ailleurs dans le monde), le marché a fini par gangrener tous les domaines de la vie. Le processus avait commencé bien avant, notamment pendant les Trente Glorieuses, mais il s’est radicalement accéléré, de façon décomplexée, dans les années 80.

On en voit les résultats aujourd’hui. Notre modèle de société, ultra consumériste, est à bout de souffle, et détruit tout : l’être humain, la nature, la vie… Et c’est en Italie que cette situation s’est peut-être le plus cristallisée. Pour qui connaît ce pays, la beauté époustouflante y côtoie la vulgarité la plus crasse, ne serait-ce qu’à la télévision, défigurée par Berlusconi. Je ne peux donc que respecter le choix d’Alice Rohrwacher d’avoir choisi un tel sujet (le pillage de tombes étrusques par des gens pauvres), surtout qu’elle a réussi à tisser autour un récit qui se tient.

Finalement, la poésie de l'ensemble, avec un certain nombre de trouvailles scénaristiques et visuelles, a emporté mon adhésion. Au passage, je l’ai peu vu cité par les critiques, mais il y a pour moi également un certain nombre de références sur le fond et la forme à Jean Cocteau, le mythe d’Orphée étant d’ailleurs au cœur du long métrage (on entend même « L’Orfeo » de Monteverdi à un moment). La belle photographie, quant à elle, sublime le tout, et en fait un objet esthétique abouti, une œuvre cohérente, avec une réelle profondeur. « La Chimère » constitue donc pour moi une belle surprise. Sans être un grand film, c’est un long métrage inspiré et intéressant, qui montre qu’Alice Rohrwacher est désormais une cinéaste qui compte.

[3/4]

lundi 18 décembre 2023

« Guerre et Paix » (Voïna i mir) de Sergueï Bondartchouk (1966)


Un peu rude de découvrir en salle les 7h de ce film dans leur intégralité et à la suite : on en ressort en ayant un peu mal au cou et aux jambes... Mais le jeu en vaut largement la chandelle... Évoquer ce long métrage c'est parler d'un monument cinématographique. Je n'ai pas vu la version hollywoodienne de King Vidor, avec Audrey Hepburn, Henry Fonda et Mel Ferrer. Mais nul doute que la version de Bondartchouk constitue l'adaptation ultime du roman fleuve de Tolstoï...

Tout est réussi dans ce film. Tout d'abord le casting : chaque acteur ou actrice incarne à merveille son personnage, sans rien perdre de sa complexité d'écriture, tout en le rendant à la fois attachant et ambivalent. Le rythme permet de construire et développer cet ample récit. Oui 7h c'est long, mais il ne semble pas y avoir un moment de trop, que ce soit dans les scènes intimistes ou dans les batailles. Parlons justement de la direction artistique : on aperçoit bien les 120 000 figurants à l'écran, pas de doute. Ce film est monstrueusement épique : je n'ai jamais vu au cinéma quelque chose qui ressemble de près ou de loin à la bataille de Borodino, véritable enfer sur terre, entre centaines de milliers de soldats qui chargent, mouvements de foules impressionnants et canons crachant un feu infernal... C'est peu dire que le « Napoléon » de Ridley Scott fait minable à côté, sans parler de son écriture mesquine...

D'autant que pour poursuivre dans l'épique, Bondartchouk sait utiliser le lyrisme à bon escient et au bon moment. Que ce soit lors de ce bal viscontien, sur le champ de bataille, où les soldats meurent par milliers… En dépeignant un Napoléon fier et intraitable, tel qu'on se l'imagine. Ou encore un jeune soldat qui vient encourager ses vieux camarades, plein d'une fougue juvénile et de l'innocence de quelqu'un qui ignore ce qu'est l'horreur de la guerre... Avec de surcroît cette musique nostalgique, qui serre le cœur lors de passages poignants…

Il y a aussi un panthéisme surprenant, presque tarkovskien, dans cette attention portée à la terre, à la patrie, aux pleines russes immenses et infinies, au son de l'eau, ou au ciel et aux étoiles... Il est également surprenant qu'un film totalement soviétique exalte à ce point la Russie tsariste et chrétienne orthodoxe...

Un certain nombre de critiques le constatent : ce film va bien au-delà d'un geste de propagande. De façon inattendue mais bien réelle, c'est avant tout un film russe... Qui matérialise à l'écran ce qu'est « l'âme russe ». En cela, Bondartchouk évite l’académisme, même si ça et là le ton est parfois un peu trop emphatique. Son film vit, il brûle d’une ardeur incandescente, ce qui lui confère un caractère universel et intemporel, loin d’une image figée. Les personnages sont fougueux, bouillonnants, presque fous… Même la comtesse Natacha Rostov, qu’on imaginait calme et sage, se laisse emporter par une passion dévorante…

En outre, par bien des aspects, le récit adopte un ton humaniste bouleversant. Par-delà les nations et les conflits, les ennemis qui se font face sont avant tout des hommes et des femmes, bien plus semblables qu’ils ne le pensent. Surtout ces peuples « frères » qu’étaient les Français et les Russes (une grande partie du film se déroule dans un français impeccable, en VO !). Ce qui ne rend que plus absurde ces guerres et la barbarie qui en découle toujours, inévitablement… Après le chaos et les massacres, une main tendue, un repas partagé quand on crève de faim, sont le signe qu’il reste malgré tout un peu d’espoir et d’humanité en ce bas monde…

Au-delà des minutes et des heures, du nombre démesuré des figurants, de la grandeur de l’épopée qui nous est contée… Le « Guerre et Paix » de Bondartchouk est un choc visuel, d’un lyrisme dévastateur, marquant l’esprit par un grand nombre de scènes inoubliables. Profitons de sa ressortie actuelle en salle et en support physique : il s’agit d’un grand chef-d’œuvre – oui, osons le dire – à voir au moins une fois dans sa vie.

[4/4]

samedi 25 novembre 2023

« Napoléon » (Napoleon) de Ridley Scott (2023)

 

La bande annonce me l'avait très clairement fait comprendre. Je savais que ce serait nul. Mais je m’étais dit que ça ferait une sortie sympa entre amis. Et puis je comptais voir ce film un jour, donc autant aller le voir sur grand écran. Or c'est encore plus mauvais que ce que j'imaginais... Le long métrage de Ridley Scott consiste en une mise en image très scolaire et très pauvre de la vie de Napoléon, avec des personnages ultra schématiques et binaires, Napoléon en tête. Il y a une absence totale d'angle, malgré la tentative ratée de faire défiler la vie de Bonaparte sous le prisme de sa relation avec Joséphine. Scott balaie en 2h40 l’existence de Napoléon, du siège de Toulon à son décès à Sainte-Hélène, en illustrant platement (et bêtement) le tout. Autant dire que sans parti pris, ce projet était mort-né. Et effectivement, c’est un désastre. Et de ce que j’ai entendu dire, la version longue / Director’s cut qui nous est promise plus tard ne mettra que des rustines, mais n’inversera pas la tendance.

Par où commencer devant cette accumulation de mauvais choix ? Peut-être par ceux que l’on voit tout au long de ces 2h40. Les deux acteurs principaux, Joaquin Phoenix et Vanessa Kirby sont très mauvais et très mal dirigés. Phoenix est très sûr de lui-même, se sent un grand acteur pénétré de génie, croyant incarner son personnage de façon fusionnelle… Mais à aucun moment je n’ai vu Napoléon, je n’ai vu que Joaquin Phoenix jouer un petit mec frustré à l’œil sombre et cabotiner à mort. Je n’ai pas cru une seule seconde à son personnage. Quant à Vanessa Kirby, ce n’est guère mieux. Plusieurs fois les personnages mentionnent son intelligence et son esprit. A aucun moment je ne l’ai vu en faire usage, les dialogues étant d’une indigence sans nom. Et puis pour un film construit sur l’amour entre Napoléon et Joséphine, à aucun moment on ne sent une alchimie entre eux et encore moins de l'attachement pour eux.

Il faut dire que le scénario et les dialogues sont d'une rare médiocrité. La période révolutionnaire et napoléonienne fut l'une des plus complexes et des plus passionnantes de l'Histoire. Ici tout est expédié, les nombreux personnages historiques n'ont pas le temps d'exister à l'écran, et sont de toute façon écrits à la truelle, comme tout Américain bas du front le ferait en s'emparant de l'histoire de France pour s'adresser à un public gavé de Marvel, « Barbie » et autres « Mario Bros. » Aucune, je dis bien aucune intelligence dans l'écriture. C'est fou, quand on connaît les traits d'esprit des grands personnages de ce temps... Quand on connaît les personnalités extraordinaires des protagonistes de cette époque, quel que soit leur camp…

Et puis rien sur les institutions créées par Napoléon, qui ont traversé plusieurs siècles jusqu'à aujourd'hui, partout en Europe, pas seulement en France. Rien sur son génie militaire. Rien sur son charisme et son aura, qui ont entraîné des millions d'hommes à sa suite, même dans le camp adverse, où, bien qu'haï il était admiré, voire parfois passionnément révéré. Rien non plus sur ses zones d'ombres comme le rétablissement de l'esclavage. Pensez-vous : trop complexe, pas assez binaire pour le public...

Alors est-ce que la mise en scène sauve Ridley le Petit de la catastrophe ? Eh bien non. Avec le temps, les film d'Uncle Ridley sont de plus en plus laids et de moins en moins inspirés. « Napoléon » est l'un des films les plus moches qu'il ait réalisés. La mise en scène est d'une paresse et d'une platitude sans nom. Aucun plan ne reste en tête. On aurait dit un débutant qui découvre le cinématographe... Une docufiction de France Télévisions aurait fait aussi bien visuellement, et sans doute beaucoup mieux sur le fond. Il y a de la CGI dégueulasse partout, des filtres hideux, des décors auxquels on ne croit pas, des effets spéciaux fauchés, trois pelés en guise de figurants...

Plus jeune j’admirais Ridley Scott. Mais j’ai fini assez vite par comprendre qu’il est toujours resté un chef opérateur, un visuel, un habile faiseur d’images. Il n’a jamais été un auteur, un penseur, un grand artiste. Film après film il nous l’a prouvé, réussissant, on ne sait comment, à réaliser une poignée de chefs-d’œuvre dans sa carrière, brillants sur la forme (mais assez vides sur le fond, déjà à l’époque). Et à côté de ça, il nous a pondu une flopée de trucs bancals et de francs navets. Je n’ai pas encore vu tous ses longs métrages, mais celui-ci est le pire qu’il m’ait été donné de découvrir, et de loin. Déjà, parce qu’il est tout simplement raté sur tous les aspects possibles. Mais en plus car il a l’ambition folle de traiter un personnage et une époque éminemment complexes, en le faisant avec la croyance qu’il va y apporter un regard nouveau, voire corrosif, avec une écriture aussi peu travaillée. Alors que c’est d’une bêtise et d’une vulgarité pitoyables…

Ce film est une débâcle totale... On sait que le personnage de Napoléon est une montagne à gravir. Ridley s'est arrêté en (morne) plaine, alourdi par son égo démesuré, incapable d'arriver au doigt de pied de l'homme que fut Napoléon. Mais bon, pouvait-on en attendre autrement d’un Britannique, et encore plus d’un réalisateur devenu aussi lamentable que Ridley Scott ?

Ce qui est triste, c’est que beaucoup de personnes dans le monde et notamment en France vont prendre ce film pour argent comptant, vont boire les bonnes paroles de Tonton Ridley et s’arrêter là, en se disant qu’ils ont bien compris qui fut Napoléon et ce que fut cette époque… Or là, non seulement Ridley a une fois de plus tordu l’Histoire pour en faire son jouet, mais en plus de ça il s’essuie les pieds sur Napoléon et la France.

Il ose dénombrer les morts « causés par Napoléon ». Mais il oublie de dire que Napoléon a d’abord défendu la France, que l’Angleterre, qui n’a jamais été rassasiée par son île, voulait écraser, avec l’aide des autres nations européennes. En écrasant par la même occasion la République. Ce qui gênait les Anglais, ce n’était pas Napoléon, mais la France, qu’ils ont toujours voulu assujettir, ainsi que cette République qui osait montrer une alternative à la monarchie. De plus, Napoléon a d’abord voulu négocier la paix (ce que montre d’ailleurs Ridley dans le film), mais les Anglais lui ont rit au nez. Ils ont voulu la guerre, ils l’ont eue… Même si bien sûr, on sait que Napoléon n’a pas su s’arrêter à temps et a été rattrapé par son hubris…

Donc si vous voulez voir un film mal écrit, mal joué, mal mis en scène, qui viole l’histoire, notamment celle de notre pays, allez voir le « Napoléon » de Ridley Scott. Mais si vous voulez voir un vrai bon film sur cette période, il y en plein d’autres !

Tout d’abord le « Napoléon » (1927) d’Abel Gance, légendaire fresque en cours de restauration, qui devrait ressortir en salles en milieu d’année prochaine, ou son « Austerlitz » (1960). « Guerre et Paix » (1966) de Sergueï Bondartchouk, énorme film de 8h qui ressort en ce moment en salles de cinéma, grâce à l’excellent distributeur et éditeur Potemkine, et qui permet de voir le point de vue adverse. Ne le manquez surtout pas ! Ce même réalisateur a également réalisé un « Waterloo » (1970) paraît-il excellent. Le « Napoléon » (1955) de Sacha Guitry est apparemment une version pleine de verve qui mérite aussi le coup d’œil. J’ai même entendu dire que la mini-série télévisée « Napoléon » (2002) d’Yves Simoneau, avec Christian Clavier dans le rôle-titre, est plutôt réussie, et paraît même un chef-d’œuvre à côté de la version de Ridley Scott…

Donc vous voyez qu’il existe de vraies œuvres cinématographiques dignes de ce nom sur Napoléon, qui méritent bien mieux d’être connues que ce triste spectacle… Un conseil d’ami : n’allez pas gâcher votre esprit, vos yeux, votre temps et votre argent devant ce film. Sinon, je vous aurais prévenu…

[0/4]

mercredi 22 novembre 2023

« Le Garçon et le Héron » (Kimi-tachi wa dō ikiru ka) d’Hayao Miyazaki (2023)

 

« Le Garçon est le Héron » est un film douloureux, à la fois sur le fond et dans sa réception par le public. Car il y est principalement question de deuil : le deuil de son héros principal, la mort qui s’approche pour Miyazaki, conscient de son grand âge, mais aussi le deuil de son public. Miyazaki, avec ce film, et d’ailleurs aussi avec les quelques-uns qui ont précédé, a fait le choix de ne pas reproduire inlassablement une formule éprouvée, mais de créer, une fois de plus, quelque chose de neuf, de différent. Il ne sert donc à rien de regretter les chefs-d’œuvre du passé, Miyazaki ne reproduira pas les mêmes. On peut s’en désoler, ce qui est aussi mon cas, mais il faut l’accepter, car telle est la volonté de cet artiste.

Pour celles et ceux qui rêvent d’un nouveau film « façon Miyazaki », avec le merveilleux exaltant qu’on lui connaît, je leur conseille de s’orienter vers le Studio Ponoc… Avec la mise en garde que ces derniers me semblent faire du « sous-Miyazaki », un ersatz qui en a vaguement la saveur, mais clairement pas le goût ni le génie…

C’est le risque que courait Miyazaki, de faire un best of de sa filmographie, de capitaliser paresseusement sur ses glorieux acquis. C’était d’ailleurs un peu le cas avec « Le Château Ambulant », à mon sens, même s’il s’agit tout de même d’un grand film. Certaines et certains diront que c’est en un sens ce qu’il a fait avec « Le Garçon et le Héron », en reprenant des idées de pas mal de ses autres films. Certes, mais elles sont là davantage pour faire le bilan, et sont mises au service du propos déployé ici. Il ne s’agit pas de « bêtement » satisfaire le client… pardon, le spectateur, ce que Disney, DreamWorks and co. savent très bien faire quant à eux.

Avec « Le Garçon et le Héron », Miyazaki livre son film testament, le film d’un homme de 82 ans, qui jette un regard en arrière sur sa vie, et réfléchit à l’héritage qu’il va léguer à la postérité. C’est donc une œuvre emplie de gravité, d’une certaine tristesse, mais aussi de la beauté absolue et de la poésie si chères au Sensei. Désolé donc, mais vous ne trouverez pas ici un « Chihiro-bis », un « Mononoké-bis », ni même un « Le Vent se Lève-bis », même si « Le Garçon et le Héron » contient un certain nombre de réminiscences de ces films passés.

Miyazaki nous propose ici une méditation profondément personnelle sur la vie, la mort, l’amour, le rêve… Et notamment une élégie sur sa mère, dont la maladie, lorsqu’il était jeune, l’a profondément marqué, et dont le décès l’a sans doute laissé bouleversé à jamais… J’ai appris que Miyazaki ne pouvait retenir ses larmes lorsqu’il travaillait sur certaines séquences avec le personnage de la mère. Signe évident que ce long métrage parle avant tout de son amour filial et du grand vide qu’a laissé sa mère après qu’elle ait quitté notre monde.

Ce passage d’un monde à un autre est aussi la grande ligne directrice de ce film. Le jeune héros, Mahito, personnification de Miyzaki jeune, tente de percer le mystère de la mort, en allant dans l’Autre Monde. Mais seuls les morts savent ce qu’il y a après la vie, il n’y a pas d’aller-retour vers l’au-delà, juste un aller simple…

Ainsi, Mahito ne peut s’aventurer dans le tombeau sans perdre la vie. Son aventure lui permet en revanche de faire son deuil, de mieux comprendre le sens de la vie, et de dire au revoir à sa mère, pour mieux retrouver une maman d’adoption. Je vois donc ce film comme un poème lyrique de Miyazaki adressé à sa mère, qui m’a pour ma part beaucoup ému.

J’y vois aussi sa déception de ne pas avoir trouvé d’héritier, notamment en la personne de son fils Goro, ou encore parmi les autres dessinateurs du Studio Ghibli ou du pays. On sait tous que la faute lui incombe en partie, lui qui n’a pas su leur faire une véritable place… Miyazaki avait aussi déclaré faire ce film pour son petit-fils, peut-être est-ce lui aussi qu’incarne Mahito, ce jeune garçon courageux et combatif, qui grandit sous le regard de ce grand-oncle magicien, autre avatar d’Hayao Miyazaki.

Dans tous les cas, on le voit, il s’agit bien d’un long métrage éminemment personnel. Mais qui est aussi en prise avec notre temps. Curieusement, il y est moins question directement d’écologie (thème cher à Miyazaki) et davantage de bouleversement du monde (autre thème récurrent chez Maître Miya). Avec ces animaux (humains ?) qui se sont reniés, ou ces perruches belliqueuses, représentant la résurgence des totalitarismes, qui prospèrent de plus en plus aujourd’hui.

Comment, dans cette situation, construire et non détruire ? Comment construire le beau, la paix, l'harmonie, l’amitié et l'attachement, entre les êtres et les peuples ? La vision de Miyazaki semble pessimiste et la solution qu’il avance bien fragile. Elle tient en un mot : l'amour.

[4/4]