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jeudi 7 juin 2012

« Haut les mains » (Ręce do góry) de Jerzy Skolimowski (version de 1981)


Quel film déconcertant et décoiffant! «Haut les mains» est une sorte de cri de révolte totalement désespéré, d’une liberté folle (liberté de fond et de forme). C’est certainement cette liberté impertinente, presque insolente, qui poussa les autorités polonaises à censurer le film pendant près de 15 ans. En 1981, lors de la sortie officielle du film, Skolimowski y rajouta un prologue de 25 minutes, en guise de réponse à la censure qu’avaient subi l’œuvre et son auteur. C’est de cette version du film dont je vais parler ici, tant ce prologue constitue un petit morceau de cinéma d’une richesse exceptionnelle, qui donne encore plus d’éclat au film original, déjà stupéfiant. Commençons donc par cet extraordinaire prologue, qui peut à lui seul justifier le visionnage du film. Sur le très approprié «Kosmogonia» de Penderecki, Skolimowski monte des images sans lien apparent entre elles et dont l’enchaînement semble fonctionner selon une logique poétique proche de l’association d’idées. Il s’en dégage une impression incroyablement saisissante, d’une grande noirceur, et qui traduit l’inquiétude terrible du cinéaste sur la situation de son pays, la Pologne, dont il annonce très clairement, par des inserts d’image de la ville de Beyrouth détruite par la guerre, la destruction à venir. Mais la manière même dont le cinéaste conjugue des images empruntées à différents lieux et différentes époques permet à cette impression de s’élargir et d’accéder à l’universel. Et c’est alors à une variation sur l’apocalypse que finit par conduire cet hallucinant morceau de pur cinéma, d’une stupéfiante modernité cinématographique. Puis l’image passe de la couleur au noir et blanc, et nous voilà ramenés dans le film original de 1967. Le scénario du film est un prétexte et une parabole : un groupe d’amis, étudiants en médecine, se rend on ne sait trop où à bord d’un train de marchandises. Ce trajet, qui semble clandestin, est entrecoupé de flashbacks sur leur vie d’étudiants à l’époque stalinienne. «Haut les mains» apparaît comme une charge politique sévère contre cette société de consommation qui émerge en Europe et qui ne fait que prendre la suite de la dictature stalinienne. L’une suit l’autre, semble nous dire Skolimowski qui nous montre qu’il n’y a pas d’évolution, pas d’émancipation, pas de libération dans ce nouveau monde qui se met en place. Le train dans lequel sont montés les personnages revient, à la fin du film, à son point de départ : nous tournons en rond, "emplâtrés" littéralement dans le marasme d’une société vidée de sens, liberticide, sans hauteur d’âme, sans profondeur spirituelle et sans valeurs morales… En plaçant son film hors contexte, le cinéaste ne se contente pas seulement d’attaquer le stalinisme des mentalités et des esprits, encore bien présent dans les années 60, comme l’ont rapporté les critiques à la sortie du film. Skolimowski anticipe sur l’avenir de la société et du monde, place son propos sur une échelle intemporelle qui lui donne une nuance profondément désabusée. Si l’humour est bien présent dans le film, qui est même construit comme une succession de gags absurdes, c’est plutôt à une clownerie désenchantée que ressemble au final «Haut les mains». Formellement, le film se présente dans un superbe noir et blanc et fait preuve d’une certaine audace formelle (la surexposition "sale" des flashbacks, avec ces blancs brûlés) mais surtout narrative (Skolimowski atteint ici l'apogée de la radicalité cinématographique vers laquelle semblaient tendre ses premiers films). Il se dégage de ce film une énergie folle et totalement débridée, qui peut parfois aboutir à une certaine confusion. Le film est parfois à deux doigts de basculer dans un délire difficile à suivre, et l’opacité apparente de l’ensemble pourra rebuter certains spectateurs. Ce serait se priver d’un grand film… A réserver donc pour les moments de plus grande disponibilité.    

[3/4]     

jeudi 19 mai 2011

« Essential Killing » de Jerzy Skolimowski (2011)

«Essential Killing», c’est la mise en images d’une traque, celle d’un afghan (interprété par l’acteur américain Vincent Gallo) pourchassé par une armée américaine qu’on entend plus qu’on ne voit. L’homme est d’abord arrêté en plein désert afghan. Il est ensuite conduit dans une prison secrète, mais parvient à s’échapper durant le transfert. Dans cette première partie, Skolimowski parvient efficacement à contextualiser et à poser les enjeux de son film, par l’utilisation de symboles visuels forts. C’est ainsi qu’il lui suffit de convoquer l’uniforme orange et la cagoule blanche de Guantanamo pour suggérer les tortures infligées au prisonnier. Mais la critique de la politique étrangère américaine n’est pas ce qui intéresse ici Skolimowski, qui passe rapidement, en quelques plans, sur cet aspect, pour se focaliser sur la traque de ce fugitif dans les forêts enneigées d’un pays non identifié. La fuite de cet homme, réduit à l’instinct animal (survivre au froid, se nourrir), prend rapidement les allures d’un véritable chemin de croix, jalonné d’épreuves caractérisées par un fort symbolisme judéo-chrétien. Et c’est là que le film ne fonctionne pas. Tout d’abord, cette construction du film par succession d’épreuves tue dans l’œuf la tentative de Skolimowski d’illustrer l’animalité du personnage et le côté instinctif de sa lutte pour la survie. Comment cette fuite pourrait-elle être instinctive alors que Skolimowski est là, derrière chaque arbre de cette forêt, pour tendre un nouveau piège symbolique à son personnage?... Non seulement cela nuit à la vraisemblance de l’ensemble, jusqu’à en devenir presque risible (l’homme marche dans un piège à loup, mange des baies toxiques, se couche à l’endroit précis où tombe l’arbre scié par un bûcheron…), mais cette succession d’épreuves est purement théorique : elle cherche à faire du traqué un martyr. Dès lors le film se révèle froid, distant. Les images se vident de toute densité émotionnelle et le personnage s’avère bien plus déshumanisé par l’arsenal théorique mis en place par Skolimowski que par la situation qu’il vit. Il devient lui aussi symbole. De plus, le symbolisme de certaines situations peut s’avérer parfois grossier (la scène où il force une femme allaitant son enfant à lui donner le sein est ridicule). Il a été dit que le film était «radical» dans son parti pris et sa mise en scène. A mon goût, il ne l’est pas assez, ou, tout du moins, il n’assume pas pleinement sa radicalité. Skolimowski se sent comme obligé d’introduire des séquences de flash-back pour construire un passé et une vie à son personnage, séquences non seulement superflues mais particulièrement vilaines visuellement. Au final, on retiendra 2 scènes qui parviennent un peu à s’extraire de la rigidité théorique de l’ensemble et à proposer un début d’émotion artistique : la séquence des chiens et le dernier plan du film, d’une sobriété salutaire. Ca reste léger…

[1/4]