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samedi 1 août 2020

« Scandale » (Shûbun) d'Akira Kurosawa (1950)



    70 ans après son tournage, «Scandale» reste d'une brûlante actualité. Avec son acuité habituelle, Akira Kurosawa y évoque les dégâts d'une presse vampirisant la vie privée des gens pour générer du profit et avilir ses lecteurs, à l'aide de méthodes toujours utilisées de nos jours, à savoir la falsification, le mensonge et la diffamation.

Un jeune artiste (Toshirô Mifune) peignant sur le flanc d'une montagne se propose de reconduire sur sa moto une jeune inconnue égarée (Shirley Yamaguchi). Hélas, il ignore que c'est une célèbre vedette de la chanson et que des journalistes peu scrupuleux les ont suivis, les photographiant à leur insu et répandant dans la presse à scandale la fausse rumeur de leur liaison.

Les deux jeunes personnes font alors appel à un avocat (Takashi Shimura, dans l'un de ses plus grands rôles, particulièrement complexe et émouvant) pour les défendre devant un tribunal. Mais leur avocat s'avère complètement corrompu par la partie adverse, lâche et faible, miné par la maladie qui ronge sa fille (lumineuse Yôko Katsuragi), qu'il aime par dessus tout.

Le récit s'oriente alors vers le combat de l'avocat véreux contre lui-même et les journalistes qui l'ont soudoyé pour perdre le procès. « Scandale » est donc bien plus qu'un plaidoyer contre la presse de caniveau, c'est aussi une bouleversante réflexion sur la confiance et la dignité de l'homme face aux tentations diverses et aux aléas de la vie. Une réflexion sur l'éthique individuelle doublée d'une chronique sociale, un des genres de prédilection de Kurosawa, digne héritier de Dostoïevski.

Comme toujours chez Kurosawa la mise en scène est moderne et sublime, la photographie et le montage sont parfaits... Tous les ingrédients de ce long métrage en font une œuvre touchante et passionnante, un film essentiel et hélas, bien trop méconnu dans la filmographie du cinéaste nippon. Quel dommage que ce long métrage soit aujourd'hui introuvable dans le commerce, une réédition s'impose !

[4/4]

samedi 14 juillet 2018

« Les Salauds Dorment en Paix » (Warui yatsu hodo yoku nemuru) d'Akira Kurosawa (1960)

    « Les Salauds Dorment en Paix » est plus qu'un polar fiévreux. C'est une intense dénonciation de la corruption qui régnait dans le milieu des affaires au sortir de la Seconde guerre mondiale, dans un Japon en pleine reconstruction. Kurosawa mit un point d'honneur à dépeindre les trafics d'influence en tous genres, à une époque où il était de bon ton de louer le redémarrage d'une économie en plein boom... à n'importe quel prix.

Le long métrage de Kurosawa fut donc incompris : pour son premier film sous la bannière Kurosawa Productions, sa propre société de production lui permettant de disposer d'une plus grande marge de manœuvre, le cinéaste nippon n'a pas choisi la facilité, qui aurait consisté à réaliser un « jidai-geki », ou film de sabre historique, genre dont il est le maître incontesté et dont le public asiatique comme occidental est si friand. Non, Kurosawa a décidé de tourner un long métrage contemporain sur un sujet qui peut sembler aride à première vue : des règlements de comptes au sein d'entreprises et de structures para-publiques, entre rétro-commissions, pots-de-vin et complots politico-financiers.

Ce qui est très intéressant, et qui donne l'une de ses grandes forces au film, c'est que Kurosawa s'est bien documenté et qu'il semble savoir mieux que personne comment se déroule un appel d'offre public et quels en sont les biais. Il décortique les rouages économiques des grandes entreprises et de la puissance publique avec le bon niveau de précision pour être suffisamment crédible sans se perdre dans des détails abscons. Et il réussit à donner vie à toute une galerie de personnages pris dans l'engrenage infernal de la cupidité : directeurs, sous-directeurs, vice-président, secrétaire particulier... Rien ni personne n'échappe à son regard acéré.

Mais la plus grande des forces de ce long métrage réside bien évidemment dans la mise en scène époustouflante de Kurosawa. Dans un noir et blanc contrasté, bien et mal sont en lutte frontale et en même temps, semblent inextricablement entremêlés. Les cadrages sont maîtrisés à la perfection, et la gestion de la profondeur de champ est comme toujours avec le Senseï magistrale, dans un refus obstiné du banal champ/contrechamp. Les personnages se déplacent dans le cadre, premier plan et arrière plan sont dynamiques, deux figures s'opposent et le troisième personnage, au milieu, passe du premier au second plan, etc. La gestion de la foule est tout autant impressionnante, à l'image de cet essaim de journalistes tel un chœur antique, agissant et réagissant comme un seul homme, commentant le déroulé des péripéties. Le tout tantôt dans de riches intérieurs, tantôt dans des ruines de bâtiments éventrés, dévastés par les bombardements, ce qui donne à ce film une identité visuelle extrêmement forte.

Et bien sûr, comment ne pas citer la scène introductive du mariage, typique de l'art de Kurosawa, avant tout visuel et donc cinématographique : tout est dit en quelques images de la relation qui unit Nishi au clan Iwabuchi et à la fille du patriarche, qu'il s'apprête à épouser. Tout est dit de la tension qui règne, des non dits oppressants, des faux semblants qui rendent la cérémonie éprouvante pour les protagonistes comme pour le spectateur. Le moindre geste, le moindre regard devient ainsi une déflagration d'émotion. Seul John Ford savait créer des images aussi percutantes avec si peu de pellicule, tout en restant dans la sobriété et la retenue.

Il faut également louer le talent des acteurs. Toshiro Mifune en tête, étonnamment sobre, bouillonnant intérieurement mais ne laissant rien transparaître, Tatsuya Mihashi en fils pourri gâté et en frère protecteur, Kyōko Kagawa en femme blessée, Masayuki Mori, méconnaissable en patriarche corrompu jusqu'à la moelle, Kamatari Fujiwara en sous-fifre peureux et Kō Nishimura, incarnant la folie d'une façon qui fait froid dans le dos. Seul l'habituel Takashi Shimura déçoit, trop gentil pour jouer de façon convaincante un pourri.

Toutefois, n'oublions pas la colonne vertébrale de ce long métrage : le scénario. Un scénario bourré de rebondissements, tendu, haletant et plein de suspense. Kurosawa transpose « Hamlet » à l'époque contemporaine et qui plus est au Japon... et une fois encore, ça marche ! Dans d'obscures circonstances, il y a 5 ans, un employé de la société d'Iwabuchi s'est suicidé à la suite d'une enquête judiciaire sur un appel d'offre frauduleux. Et 5 ans plus tard, quelqu'un semble vouloir venger cette mort, et est prêt à tout pour cela.

Mifune / Nishi devient un justicier inflexible, un héros des temps modernes pas tout à fait blanc, tendant même dangereusement vers le noir, gangrené par le mal contre lequel il veut lutter. Perdant peu à peu le contrôle d'évènements qui le dépassent, il se met à hésiter... et dès lors il court à sa perte. On ne joue pas avec le feu sans s'y bruler les ailes. Le bien et le mal ne sont pas ici véritablement distincts, et Nishi est dans cette zone grise où plus rien n'est clair. Quand les hommes de bien commencent à faire le mal pour le combattre, ils perdent peu à peu ce qui leur restait d'humanité.

C'est alors que dans un film noir au possible, modèle absolu du genre, intervient une lueur d'espoir et de fraicheur en la personne de Keiko Iwabuchi, cette femme infirme, initialement moquée et méprisée. Les personnages féminins sont rares dans le cinéma de Kurosawa, et plus encore les histoires d'amour. Alors quand Nishi avoue à Keiko l'amour qu'il lui porte en dépit des évènements, cette déclaration est d'autant plus intense et forte. Hélas, ironie du sort, c'est l'amour de Nishi pour Keiko qui le mènera à sa perte, ultime tragédie qui fait que la boucle est bouclée. Oui, les salauds dorment en paix... et Kurosawa signe là l'un de ses plus grands films, un long métrage puissant et noir, désespérément noir.

[4/4]

samedi 24 mars 2018

« Madadayo » (Maadadayo) d'Akira Kurosawa (1993)

    Si vous ne saviez pas que Kurosawa n'était pas seulement l'homme des « Sept Samouraïs » ou de « Ran », alors passez votre chemin. Vous risquez d'être surpris, puisque « Madadayo » constitue bien le parfait aboutissement de la carrière de ce géant du 7e art que fut Akira Kurosawa. Sa filmographie impressionnante (pour qui se donne la peine de réellement la considérer : 30 longs métrages et pas un seul pour lequel il aurait eu à rougir) s'achève avec un dernier regard en arrière, pour mieux franchir le seuil de la mort. Mais loin de cultiver la nostalgie ou le fatalisme, « Madadayo » s'avère être un film d'une simplicité et d'une humilité admirables (simplicité apparente bien sûr). Dépouillé mais comme d'habitude sublime, il s'agit d'une fable sur la vieillesse, et plus encore sur l'humanité.

Comme le fut la vie du cinéaste nippon,  « Madadyo » est traversé par deux grandes thématiques : la transmission du savoir par la relation maître / élève et l'affirmation du pouvoir de l'imagination humaine (d'où l'importance de l'enfance, enfin retrouvée par le vieillard). C'est d'ailleurs l'occasion pour Kurosawa de rendre un dernier hommage à ceux qui furent ses maîtres, qui l'ont forgé enfant ou plus tard lors de ses débuts au cinéma, en particulier Kajiro Yamamoto, celui qui lui apprit son métier. Et Kurosawa, étant devenu  « Sensei » à son tour, profite de l'occasion pour remercier ses élèves (et spectateurs) qui l'ont tout autant construit. Notamment ceux qui l'aidèrent à remonter la pente après cette période noire (cette fameuse perte ?) s'achevant par une tentative de suicide. Mais surtout « Madadayo » est l'occasion pour le maître de délivrer ses derniers enseignements. Parmi tant d'autres, un est particulièrement mis en avant : mais je vous laisse le soin de le découvrir par vous même. Ultime cadeau : ce long métrage se termine par l’un des plus beaux plans de toute la filmographie du grand A. K., et quand on y réfléchit, par l’un des plus beaux plans de toute l’histoire du cinéma.

Merveilleusement riche, subtil et poétique,  « Madadayo » est certainement l'un des adieux les plus émouvants et les plus généreux qu'un artiste ait pu laisser à la postérité, toutes époques et tous arts confondus. A voir absolument, de préférence après avoir visionné une bonne partie de l’œuvre du Sensei !

[4/4]

samedi 5 mars 2016

« Un merveilleux dimanche » (Subarashiki nichiyobi) d'Akira Kurosawa (1947)

    La Nouvelle Vague aurait-elle trouvé en Akira Kurosawa l'un de ses plus illustres prédécesseurs ? Car « Un Merveilleux Dimanche » annonce indéniablement par bien des aspects les films des « jeunes turcs » français : que ce soit par ses thèmes (le couple, l'errance, la société,...), son esthétique, tantôt expressionniste tantôt moderne (et même parfois surprenante d'audace !), toujours sublime, ou encore son traitement : la journée d'un couple fauché dans un Japon d'après guerre, tout simplement. Il faut dire que Kurosawa puise lui-même dans un autre héritage marquant de la Nouvelle Vague : le cinéma français des années 30, et plus particulièrement le « réalisme poétique ». Toutefois l'art de Kurosawa n'appartient qu'à lui, et il fait de ce long métrage qui ne paie pas de mine au premier abord un magnifique moment de poésie, affirmant une fois de plus le pouvoir de l'imaginaire humain (« Un Merveilleux Dimanche » anticipe en un sens « Dodes'kaden ») et même de sa mise en scène : une fois encore sa gestion du cadre, des mouvements, des corps est proprement impressionnante sans jamais alourdir le propos, simple mais touchant. Si la question financière délimite le cadre de l'action (comment passer un dimanche à Tokyo avec 35 yens en poche?), Kurosawa se focalise surtout sur le couple, ses hauts et ses bas, sur les responsabilités ou les enjeux moraux qu'il implique... tout en brossant en filigrane le tableau social d'une époque difficile, un peu dans la veine du néoréalisme italien, autre de ses grandes influences. Si ce long métrage a été longtemps introuvable, il bénéficie aujourd'hui d'une édition DVD digne de ce nom, et ce n'est que justice ! Car il mérite largement sa place au sein de la filmographie du cinéaste nippon : c'est tout sauf un film mineur. Une merveille de plus à mettre au crédit de Kurosawa, à voir absolument !

[3/4]

lundi 14 décembre 2015

« Dersou Ouzala » (Дерсу Узала) d'Akira Kurosawa (1975)

    « Dersou Ouzala » ou la résurrection d'Akira Kurosawa. Après le cruel échec commercial de « Dodes' Kaden », la faillite de la société de production qu'il avait créée avec des amis et une tentative (heureusement ratée) de suicide, Akira Kurosawa revient à la vie avec ce chef-d’œuvre d'humanisme et d'humilité. Émouvante histoire d'amitié, « Dersou Ouzala » raconte le choc de deux cultures, la rencontre de deux hommes qui s'observent, curieux l'un de l'autre, avant de peu à peu se comprendre et finalement vivre une sorte de relation fusionnelle. La présence de la Nature domine tout le film, contre laquelle l'Homme doit lutter (pour l'homme « civilisé ») ou au contraire avec laquelle l'Homme doit vivre en harmonie (pour l'homme « sauvage »). Ce film invite à la modestie pour l'humanité vaniteuse, à relativiser « l'intelligence » et la « connaissance » supposées de la civilisation ou du progrès, surtout lorsque la Nature toute puissante cherche à reprendre ses droits et que seul Dersou, dont on se moquait au début, se révèle apte à comprendre celle-ci et à lutter contre les éléments déchainés. « Dersou Ouzala » est aussi une bouleversante tragédie, pour des raisons que je vous laisse découvrir. Malgré cela, on ressort grandit du visionnage de ce film, émerveillé devant les richesses de la Nature et de l'Homme. Un chef-d’œuvre de simplicité et de profondeur à la fois, d'une incroyable beauté.

[4/4]

dimanche 25 octobre 2015

« Chien Enragé » (Nora inu) d'Akira Kurosawa (1949)

    « Chien Enragé » est le premier grand film d'Akira Kurosawa, en ce sens qu'il est totalement abouti aussi bien sur le fond que sur la forme, magistralement filmé, magistralement interprété. Il s'agit tout d'abord d'un film éminemment visuel. Tout en jeux de regards, en suggestions, en significations. Le jeu de l'ombre et de la lumière, l'effet de la chaleur sur les corps, les détails qui délivrent les réponses de l'enquête, le mouvement des personnages, et bien sûr leur regard. Le regard fiévreux de Mifune, jeune inspecteur qui s'est fait voler son arme de service, ce damné revolver qui le rend malade. Et puis la composition du plan, toujours aussi parfaite, souvent construite autour de trois acteurs : tantôt pyramidale, tantôt avec le personnage central en évidence, parfois l'un de dos, toujours avec ce soin, cet art du beau, et cette force picturale. Ensuite l'interprétation de Mifune et de Shimura force le respect : crédibles à 200%, ils sont véritablement leurs personnages. Mais les seconds rôles, comme toujours chez Kurosawa (et les Grands du 7e art) ne sont pas en reste, de la danseuse au maudit voleur de pistolet. Enfin et surtout le fond, le scénario. Dans ce film, Kurosawa se fait le témoin et le peintre de l'après guerre. Dans ce pays et ce contexte apocalyptiques, il oppose deux voies : la droiture, la vertu, le courage et la ténacité, incarnés par Mifune, et la chute, le désespoir, la violence, le néant, personnifiés par Yusa, le voleur de revolver. Mais ce qui fait la force exceptionnelle de ce long métrage, c'est qu'un rien les sépare. Tous deux se sont fait voler leurs affaires en rentrant de l'armée, tous deux ont vécu la guerre et ses traumatismes. Mais l'un a tenu, l'autre s'est effondré. Pourtant tous deux sont comme des frères jumeaux, presque des égaux, tels que représentés dans un fameux plan en fin de film, où ils se jettent dans un champ, presque dans les bras, épuisés, moralement et physiquement, l'un à la poursuite de l'autre, mais semblables par bien des aspects, l'un n'allant pas sans l'autre, à l'image de ce Japon qui se relève difficilement de la guerre, avec sa face lumineuse et sa face obscure. Tout ça est dit en un plan. Toute la force du cinéma de Kurosawa réside dans ce plan, où le fond se coule dans la forme pour ne faire qu'un seul et même matériau cinématographique. C'est la grandeur de son art, de son cinéma. Mais « Chien Enragé » ne se limite pas à ce plan. C'est avant tout une enquête trépidante, inlassable. Ce sont deux courses poursuites d'anthologie. C'est un Tokyo chaotique, agonisant sous la chaleur. C'est un des plus grands films noirs de l'histoire du cinéma. Oui, le premier grand chef-d’œuvre d'Akira Kurosawa, et loin d'être le dernier.

[4/4]

jeudi 19 décembre 2013

« La Forteresse cachée » (Kakushi toride no san akunin) d'Akira Kurosawa (1958)

    « La Forteresse cachée » est un pur divertissement, mais un divertissement de grande qualité, denrée plus que rare dans le paysage cinématographique actuel. Akira Kurosawa use pour la première fois du format cinémascope, mais le maîtrise déjà : sa science du cadrage fait de chaque plan une image mémorable.
 
Et le scénario s'avère haletant : un territoire japonais, le fief Akizuki, est décimé et occupé par un fief rival, celui des Yamana. La princesse du clan Akizuki cherche alors à quitter ses terres, avec l'or de sa famille, pour faire renaître sa dynastie. Elle est accompagnée de fidèles compagnons, et l'on suit donc la fuite des héros, cherchant à tromper la vigilance des Yamana.
 
Sans compter que l'on est guidé dans ce périple par deux anti-héros : les paysans cupides Tahei et Matashichi, très drôles. « La Forteresse cachée » est parcouru d'un certain pessimisme, assez sombre, et en même temps d'un souffle réjoui, plein d'espoir dans le renouveau, et empreint d'une joie parfois picaresque.
 
Ainsi, « La Forteresse cachée » est un grand film d'aventure, une fresque épique qui n'a certes pas la profondeur des « Sept Samouraïs », ni l'éclat formel du « Garde du corps » (encore que) ou de « Sanjuro ». Mais c'est un long métrage en tous points réussi, émaillé de scènes d'anthologie : le combat à cheval de Rokurota, la danse du feu, les différents rebondissements...
 
N'oublions pas les acteurs, tous excellents, des deux paysans en passant par la princesse ou Mifune, égal à lui-même. Mentionnons pour finir la présence, en filigrane, de préoccupations sociales, typiques du cinéma de Kurosawa. « La Forteresse cachée » devient alors un film initiatique, notamment pour la princesse, qui reconsidère son peuple et apprend de son périple.
 
Sans être le plus grand des Kurosawa, ce film remonte sans cesse dans mon estime à chaque fois que je le revois, et je finis par penser qu'il figure dans ce qu'il a fait de mieux. Un long métrage de bien belle facture qui réserve un agréable moment de cinéma.

[4/4]

vendredi 30 mars 2012

« Dodeskaden » (Do desu ka den) d'Akira Kurosawa (1970)

    Véritable explosion de couleurs, « Dodeskaden » n'en demeure pas moins une chronique sociale des plus pessimistes et des plus poignantes. C'est la vie des pauvres parmi les pauvres qu'Akira Kurosawa nous narre ici, leur quotidien comme leurs rêves les plus fous, le récit alternant entre réalité sociale et séquences surréelles. Si les personnages hauts en couleurs (c'est le cas de le dire) sont un des principaux atouts du film, on est surtout subjugué par la maîtrise formelle du japonais. Ne se refusant aucune expérimentation, pour son premier passage à la couleur il met la barre très très haut, il peint tout ce qui peut l'être, utilise chaque élément du cadre, associe avec talent toutes sortes de tons... Malheureusement le public de l'époque fut insensible ou trop décontenancé par ce film novateur, causant la ruine de la compagnie de production que Kurosawa avait créée avec ses amis. Les conséquences furent désastreuses : Kurosawa tenta de se suicider, certains de ses ex-partenaires (comme Masaki Kobayashi) ne se relèveront jamais de cet échec financier... Pourtant quel film ! Bien que pessimiste, il est souvent drôle, toujours poétique et terriblement émouvant. Et surtout très beau! Comme dans un certain film d'Isao Takahata, l'éclat de la forme permet de contrebalancer la noirceur du propos, n'en atténuant ni la vérité ni la portée, mais en introduisant une part salutaire d'espoir, que les être humains portent ici en eux pour la plupart. Encore un chef-d'œuvre pour Akira Kurosawa, bouleversant et inoubliable. 

[4/4]

lundi 26 mars 2012

« L'Ange ivre » (Yoidore tenshi) d'Akira Kurosawa (1948)

    Une fois de plus, voilà un remarquable long métrage de la part d'Akira Kurosawa. Il explore les bas-fonds du Japon d'après-guerre, en dépeignant la misère d'un cloaque putride et des baraquements qui le bordent, dans lesquels officie un médecin alcoolique. Ce dernier, joué par Takashi Shimura, tentera tant bien que mal de soigner un jeune yakuza, magistralement interprété par le bouillonnant Toshiro Mifune. Mifune que l'on croise pour la première fois dans un film de Kurosawa, début d'une longue et fructueuse collaboration qui nous offrira nombre de pépites cinématographiques. Pour l'heure, parlons de « L'Ange ivre ». C'est un film de jeunesse pour Kurosawa : le huitième sur une longue série d'une trentaine de longs métrages. Mais Kurosawa n'est plus un débutant depuis longtemps (à vrai dire dès son premier long métrage l'on sentait une puissance d'expression sans pareille), et « L'Ange Ivre » bénéficie d'une réalisation au cordeau, sous haute influence expressionniste. Les cadrages sont soignés, les lumières sculpturales, les angles de vues osent des plongées et contre-plongées... Kurosawa se permet même une incursion dans l'onirisme. Mais avant tout, « L'Ange ivre » est une histoire digne de Dostoïevski, l'histoire d'un médecin au grand coeur qui se prendra d'affection pour un yakuza égoïste, fier et querelleur. Notons que le personnage du médecin préfigure la figure de Barberousse, du film éponyme de Kurosawa. Pour finir, il s'agit donc d'un excellent film, comme tout long métrage du Sensei qui se respecte.

[3/4]