jeudi 25 novembre 2010

« Takeshis' » de Takeshi Kitano (2005)

    Un fascinant miroir brisé, un film complètement fou et inégal, à moitié raté mais non dénué d'intérêt pour autant! Contrairement à « Glory to the Filmmaker », « Takeshis' » comporte encore de véritables personnages, permettant une empathie que le second opus de la trilogie de « l'autodestruction de l'artiste » n'autorise pas. Pourtant on pénètre de plein pied dans l'entreprise d'auto-critique (acerbe) de Kitano, il suffit de constater la façon dont il se moque des travers de son art, comme il se maltraite, comme il rit de ses défauts d'artiste et d'homme… Nous avons affaire à un essai rageur, presque nihiliste, comme si le réalisateur nippon réglait ses comptes avec les autres et lui-même : on l'accuse de se complaire dans la violence gratuite? Avec « Takeshis' » il en remet une sacrée couche! On ne compte plus les fusillades ralenties avec sang qui gicle de partout. Et c'est loin d'être fini! Les figures récurrentes de son cinéma comme de sa personnalité schizophrène de cinéaste et de comique trivial viennent hanter le présent long métrage, avec un soupçon d'ironie qui donne au film plusieurs niveaux de lecture bienvenus. D'autant que la structure même du long métrage, onirique, fantasmée, s'avère complexe et confuse, perdant le spectateur dans les méandres du cerveau du japonais. On en ressort tour à tour séduit, agacé, amusé, ému, surpris, écoeuré, déçu ou enjoué : l'art de Kitano vole en éclats, mais s'il ne parvient pas à atteindre l'envergure d'un Fellini le pied de nez à la critique et au spectateur que constitue « Takeshis' » ne manque pas de sel. Plus troublant encore est cette profonde instabilité du film, qui pourtant garde une certaine cohérence : Kitano est en crise, il doute, il s'auto-invective, se met à nu… « Takeshis' » penche dangereusement du côté du néant, il se tient véritablement au bord du gouffre, prêt à sombrer dans le vide (ce qui arrivera en un sens avec « Glory to the Filmmaker »), mais ce qu'il laisse deviner de l'état du cinéaste s'avère terriblement touchant… A ce titre son angoisse, son blocage face aux attentes des uns et des autres, son complexe d'infériorité apparaissent de façon clairement manifeste! C'est une oeuvre qui comporte les défauts de ses qualités : sa liberté, son inventivité, son originalité demeurent tributaires de son relatif inachèvement.

[1/4]

mardi 23 novembre 2010

« Paranoid Park » de Gus Van Sant (2007)

    Encore un joli clip... euh film, pardon, signé Gus Van Sant tout mignon et tout creux… Pour sûr, la bande-son comme la photographie sont soignées, de plus je l'ai déjà dit mais je le répète : Gus van Sant sait filmer, c'est indéniable. Seulement il ne s'arrête qu'à la surface des choses. Et une fois que l'on commence à gratter la surface de ces images... il ne reste rien. Rien ne meut son long métrage, il s'agit juste d'un prétexte pour contempler ses acteurs (j'exagère un peu, mais pas tant que cela). Est-ce un thriller? Nous avons droit à la musique angoissante en conséquence, aux effets visuels et sonores traduisants le désarroi du personnage, à une narration disloquée… Oui certes ça colle, mais ça ne marche pas vraiment. « Paranoid Park » est à lui seul un cliché : un cliché de film de genre, un cliché de film tout court, un cliché de l'adolescence, un cliché du désir amoureux (ou de l'indifférence, son contraire), un cliché du mal-être propre à cet âge, un cliché de l'Amérique… Certes c'est un joli cliché, mais qui éveille quelques « soupçons ». Il suffit d'observer toutes les citations visuelles et musicales convoquées ici (allant d'Hitchcock à Fellini - et Nino Rota - en passant par Béla Tarr) pour avoir une mise en abîme de l'art de Gus van Sant : il copie mais forcément à sa façon, sans pouvoir restituer la saveur de l'original, en ne gardant que l'apparence de ses modèles et maîtres. Une apparence plaisante en un sens, mais vide. Certains passages sont à ce titre particulièrement évocateurs : ceux (trop rares) où Van Sant arrive à capter le regard du héros, à saisir son « intériorité », et non plus seulement un visage figé. Ce sont ces moments qui permettent d'affirmer que tout le reste est dénué de la moindre émotion : il suffit de comparer. Et ces passages plus intenses ne sont que le fruit du hasard : Gus Van Sant pose sa caméra devant l'acteur, essaie sans doute de se faire oublier, et attend qu'il cesse de jouer pour pleinement « être ». Ou plus précisément, ces instants « accidentels » sont là encore à l'image de tout le long métrage : le réalisateur (comme tant d'autres aujourd'hui) ne fait qu'attendre, il ne propose pas grand chose, juste un cadre pour que le film se crée, film qui ne provient donc pas réellement de lui. Ce qui fait sa fadeur et sa superficialité : c'est totalement abscons... mais ça ne dérange personne puisque c'est bien empaqueté. Ah oui au fait, Christopher Doyle était de la partie? Non, rien...

[1/4]

samedi 20 novembre 2010

« La Chute de la Maison Usher » de Jean Epstein (1928)

    Un admirable film français, assez unique dans l'histoire de notre cinéma : imaginez la rencontre entre Edgar Allan Poe, l'expressionnisme et l'impressionnisme cinématographique... Singulier mélange me direz-vous! Le côté fantastique du film, les symboles employés, l'usage de la photographie ou des décors rappellent l'art de nos amis d'outre-Rhin, mais la façon de filmer tout à fait particulière d'Epstein est bien de chez nous, si j'ose dire (d'autant qu'elle n'appartient certainement qu'à lui). Par des travellings audacieux, parfois subjectifs, par des ralentis, des effets de surimpression, il parvient à dire autre chose, à faire sentir le drame intérieur des personnages et le tragique de leur histoire. L'expressionnisme est une fois encore bien présent, mais cette recherche de la sensation, cette autre façon d'impliquer le spectateur est typiquement impressionniste, pour autant que cet adjectif soit réellement pertinent. Il est toujours délicat de regrouper des artistes, et surtout des oeuvres sous telle ou telle catégorie de l'intellect, et je vais donc m'arrêter là dans cet essai de présentation de la « façon de faire » d'Epstein. Cette version de « La Chute de la Maison Usher » est basée en réalité sur deux nouvelles de Poe, mais ne les ayant pas lues, je m'abstiendrai d'évoquer leur adaptation cinématographique. Par contre il m'est aisé de relater mon ressenti quant à l'émotion que dégage ce long métrage, quant aux images,... qui sont pour le moins étonnantes! Ce film regorge d'idées de mise en scène, Jean Epstein a su faire sien le langage cinématographique et à ce titre mérite bien des éloges. Je serai plus circonspect quant à la forme « globale » du long métrage, son rythme surtout, l'enchaînement de ces séquences hautement inspirées : il manque peut-être la cohérence d'un Murnau ou d'un Dreyer pour faire de ce long métrage un chef-d'oeuvre absolu. Toutefois sa puissance et sa poésie sont indéniables, rares sont les films français - ou mondiaux - de cette envergure! « La Chute de la Maison Usher » est un long métrage prodigieusement évocateur même si son achèvement s'avère (relativement) imparfait, un grand film, d'une beauté mystérieuse et envoûtante!

[3/4]

vendredi 19 novembre 2010

« Glory to the Filmmaker! » (Kantoku Banzai!) de Takeshi Kitano (2008)

    Regarder un artiste se moquer de lui-même, de ses tics de créateur, des clichés de son art n'est pas des plus déplaisants. En outre, le fait que Kitano rappelle à notre bon souvenir qu'il n'est pas seulement un réalisateur destiné à ne tourner que des films violents de yakuzas ou sentimentaux un peu plan-plans n'est pas en soi une mauvaise idée : même si son statut de comique gras au Japon n'était déjà pas fameux, il n'hésite pas à égratigner son image de cinéaste « établi » d'une façon flamboyante, puérile certes mais pour le moins réjouissante. Ainsi « Glory to the Filmmaker » constitue depuis son titre ironique jusqu'à son achèvement l'expression criante de l'incapacité artistique du réalisateur japonais. Manifestement, à l'époque du tournage de « Glory To The Filmmaker » Kitano traversait une grave crise d'inspiration, mais contrairement à Fellini (clin d'oeil : ici le long métrage est sous-titré « Opus 19/31 »), en portant à l'écran ses errements il n'arrivera pas à « créer » quelque chose, ou du moins pas quelque chose digne d'un tant soit peu d'intérêt (à vrai dire il le fera, mais plus tard, avec « Achille et la Tortue », véritable aboutissement du présent long métrage et véritable réussite cette fois dans la proposition d'une oeuvre digne de ce nom conjuguée à une réflexion sur l'art, riche de sens et d'émotions). Ici l'impossibilité de faire est totale : Kitano s'autodissèque sous nos yeux (il se dédouble d'ailleurs en une poupée inexpressive : on l'aura compris Kitano se caricature à l'extrême), et on peut le voir trébucher encore et encore sans qu'il ne se relève jamais, pour finir triomphant dans un ultime sursaut d'autodérision. Littéralement, Kitano traduit en image son parcours, se montre en train de s'essayer à divers genres de cinéma (sympathiques caricatures de films d'Ozu et autres Jidai-geki), pour finalement revenir à ses premiers amours comiques, faisant la part belle à l'humour absurde et régressif. S'il s'agit bien d'un grand moment de n'importe quoi, assez drôle et intéressant pour comprendre le cheminement de Takeshi Kitano... ça s'arrête là. En effet Kitano rit de lui, mais il rit jaune, et le spectateur fera certainement de même, surtout s'il porte quelque peu d'intérêt à l'art du japonais : c'est amusant d'observer Kitano se cogner aux murs, mais on aimerait (tout comme lui certainement) qu'il réussisse enfin à trouver sa voie.

[1/4]

mardi 16 novembre 2010

« La Voix Solitaire de l'Homme » (Odinokiy golos cheloveka) d'Alexandre Sokourov (1978)

    Dès ses débuts cinématographiques Alexandre Sokourov faisait preuve d'un indéniable talent. « La Voix Solitaire de l'Homme » est un coup d'essai remarquable, un film riche, original et poétique. Par ailleurs Sokourov se garde bien d'expliquer par le langage ce qu'il raconte par les seuls images et sons, et l'on trouve déjà tout ce qu'il développera par la suite dans ses longs métrages ultérieurs : le souvenir, la mémoire, l'homme face à la mort et la vie, l'altérité des choses… Sa démarche est donc tout ce qu'il y a de plus estimable et le « rendu » des plus intéressants. Je ne partage pas en revanche l'enthousiasme sans réserve de certains, pour ma part je ne peux m'empêcher de voir « La Voix Solitaire de l'Homme » comme une oeuvre louable dans ses intentions, moins dans son aboutissement. Il convient de rappeler le contexte de sa création : il s'agit d'un film de fin d'études, comportant d'inévitables défauts inhérents à l'exercice. Sokourov use trop souvent à mon goût de répétitions visuelles, d'inserts assez attendus et « faciles »… D'autant que quand il filme plus simplement ses acteurs la crédibilité et la pertinence de leur prestation (et donc du film) commencent à s'infléchir… Les personnages qu'ils jouent (je ne sais si cela provient du jeu des acteurs ou de l'écriture des protagonistes) s'avèrent être quelque peu artificiels. Par ailleurs ces séquences ont quelque chose de (trop) naturaliste, heureusement qu'elles se voient contrebalancées dans la somme formelle du long métrage! Sokourov aime filmer les gestes les plus banals : ils révèlent en effet beaucoup des personnages, mais ils limitent d'autant plus la portée et l'intérêt de l'oeuvre, du moins à mon sens. Une fois encore j'en attendais manifestement trop d'Alexandre Sokourov, ou peut-être suis-je plus simplement peu sensible à son art, toujours est-il qu'en dépit de grandes qualités son premier long métrage ne m'a pas tout à fait convaincu. Nombre de séquences sont pourtant inspirées! Un film que je qualifierais de beau, à défaut de grand...

[2/4]

« Punch-Drunk Love » de Paul Thomas Anderson (2002)

    Paul Thomas Anderson a décidément bien du talent. Il lui reste encore un long chemin à parcourir avant de pouvoir prétendre à une place conséquente dans l'histoire du septième art, mais depuis ses débuts, il ne fait à mon sens que s'améliorer. « Punch-Drunk Love » est une fois de plus un long métrage original, cohérent et maîtrisé, peut-être plus que « Magnolia », bien qu'il ne possède pas sa puissance et son envergure en raison des codes auxquels il se réfère : ceux de la comédie romantique. La vacuité du cadre et les figures imposées qu'il suppose sont pour beaucoup dans le manque relatif de pertinence du quatrième long métrage d'Anderson, pour autant on ne peut nier sa capacité à dépasser le genre, et surtout à introduire une émotion réelle, c'est ce qui me permet d'être quelque peu laudatif envers « Punch-Drunk Love ». Les personnages sont bien plus caricaturaux que dans « Magnolia », complètement archétypiques, et brident l'émotion par leur manque criant de vérité. Toutefois, le personnage de Barry Egan est l'exception (partielle) à la règle : son traitement complètement surprenant constitue le coeur du long métrage, et est l'élément qui légitime réellement cet essai cinématographique. Il comporte tant de contradictions, est tellement déchiré par son entourage, sa famille, son métier, son époque, sans pouvoir y échapper! On sent une immense et bouleversante tension de son être… Et la retranscription de cet état psychologique et physique est rendue d'une telle manière par Adam Sandler et l'art d'Anderson que je confesse avoir été grandement touché par cet homme sans réelle personnalité, jouet de forces qui en revanche demeurent bien réelles, et relèvent de notre quotidien et notre temps. « Punch-Drunk Love » est une sorte de poème grinçant sur la modernité, maladroit certes (Anderson n'est pas Jacques Tati), mais d'une qualité indéniable. On pourra regretter une multitude d'effets n'apportant pas grand chose, mais ils participent de l'abstraction (et de la beauté plastique) du film : ils possèdent à ce titre un intérêt, même minime. En revanche certains éléments à la signification obscure m'ont paru plus dispensables (à moins que leur sens profond et essentiel m'ait échappé)… Un long métrage relativement mineur dans la filmographie de Paul Thomas Anderson, ce qui veut tout de même dire qu'il comporte un réel intérêt, puisque je me répète Anderson me semble être un réalisateur actuel des plus intéressants.

[1/4]

lundi 15 novembre 2010

« Bad Lieutenant : Escale à La Nouvelle Orléans » (Bad Lieutenant : Port of Call New Orleans) de Werner Herzog (2010)

    Werner Herzog, toujours là où ne l'attend pas, nous dresse le portrait extraordinaire, car totalement imprévisible d'un homme que rien n'arrête, qui s'en sort toujours, qui se retrouve dans des situations toutes plus improbables et inextricables les unes que les autres, mais qui à chaque fois trouve une parade, une idée qui lui permettra de se relever de toutes ces épreuves. Sa morale vacillante et pour le moins relative en est probablement l'une des raisons, il n'empêche que le personnage joué à la perfection par Nicolas Cage impressionne par son caractère presque omnipotent (omniscient devrais-je dire), tant il déjoue à chaque fois l'instant présent en ayant semé auparavant des moyens de se raccrocher à quelque chose dans tel ou tel cas critique. L'amitié d'untel, le chantage, la violence, la mystification, tout est bon pour qu'il arrive à ses fins. Inutile de préciser combien le long métrage de Ferrara est dépassé (même s'il ne lui est pas vraiment comparable), « Bad Lieutenant : Escale à La Nouvelle Orléans » est autrement plus contrasté, plus riche, plus dense… Il m'a semblé par ailleurs retrouver une certaine idée de notre époque en filigrane : seuls ceux qui ne se fient qu'à eux-mêmes peuvent survivre dans un monde dévasté géographiquement et moralement. Les autres sombrent accrochés à des débris factices d'idoles déchues : ici le « héros » possède une conception bien à lui de l'antagonisme bien/mal, c'est peut-être de là que vient son salut. « Bad Lieutenant : Escale à la Nouvelle Orléans » est donc complètement linéaire, puisqu'il s'agit d'une suite d'événements, chacun engendré par telle ou telle situation. Mais la richesse de la photographie et de la mise en scène, accompagnées de la force du propos et de son caractère profondément équivoque « densifient » chaque moment, que ce soit thématiquement ou visuellement. La structure de ce long métrage est donc merveilleusement bien exploitée, tout à fait à propos, l'interprétation est au diapason, vraiment excellente, les dialogues sont proprement jubilatoires… Bref, ce long métrage est un véritable festival, un régal que je conseille à tous!

[2/4]

jeudi 11 novembre 2010

« En Présence d'un Clown » (Larmar och gör sig till) d'Ingmar Bergman (1997)

    Ainsi donc le voilà ce fameux film tant attendu, l'un des tous derniers opus du grand cinéaste Ingmar Bergman pour la première fois diffusé en France! Alors qu'en est-il ? Passé quelques dizaines de minutes il faut se rendre à l'évidence : « En Présence d'un Clown » n'est pas le, ni même un chef-d'oeuvre enfin « retrouvé » de Bergman, sorti du fin fond de l'oubli pour bouleverser l'art cinématographique. Nous nous retrouvons face à un téléfilm, un vrai, avant tout sérieusement enlaidi par son aspect « vidéo », par sa photographie disgracieuse rendant l'attrait visuel du long métrage pour le moins relatif… Mais Bergman n'est pas le premier venu, et ne se laissant pas démonter il en profite pour se jouer des contraintes : l'esthétique est cruellement artificielle ? Autant faire un film sur l'artifice alors, sur la scène, sur le spectacle, sur l'art, sur le théâtre et bien sûr le cinématographe ! Il dépasse cette esthétique justement factice pour proposer une réflexion doublée d'une mise en abîme de l'art dramatique et du cinéma : on n'est pas loin du théâtre filmé parfois, par moments on y est purement et simplement (et pour cause les acteurs jouent des personnages se produisant sur scène)… Il en résulte ainsi un singulier mélange de ces deux arts, l'essence de ce film ne relève ni purement de l'un, ni purement de l'autre : à l'image de la vie même de Bergman on ne peut les séparer distinctement (même si le cinéaste nous donnera quelque indice pour trancher). De toute façon sa science du cadrage et de la composition du plan, de la direction d'acteur, son talent d'écrivain, de dramaturge et de cinéaste sont là pour assurer au long métrage une envergure digne de sa réputation. Alors oui c'est un « film de vieux », qui sent la fin, la décrépitude morale, physique et spirituelle, oui le Bergman scatophile n'est pas vraiment celui que je préfère, oui le montage n'est pas exempt de tout reproche, oui il a déjà fait mieux… Mais il n'empêche, à 79 ans il a réalisé une fois encore une oeuvre étonnamment riche, dense, vivante et puissante, comme bien peu en ont jamais réalisé de toute leur vie. Schubert domine de son aura tout le film, mais c'est bien Bergman que l'on retrouve dans chacun des personnages, comme toujours torturés par leurs pulsions sexuelles ou artistiques, plus que jamais grotesques (surtout pour ce qui est des protagonistes masculins), l'être rattrapé par la vieillesse et un corps qui se rappelle à eux. C'est comme si l'âge, avec ce qu'il suppose de dégénérescence physique, replaçait le corps et le trivial au centre des préoccupations de l'homme, comme si la matière reprenait le dessus sur l'esprit… Cette fois-ci même la mort perd de sa grandeur, de son caractère terrifiant, pour se réduire à un être obscène, encore inquiétant certes mais d'une grossièreté tantôt risible tantôt repoussante. Rarement un film de Bergman aura été aussi terre à terre, direct jusque dans l'usage de mots et d'images des plus vulgaires. Mais bien des moments de grâce, mélancoliques, graves et déchirants viennent sublimer ce long métrage singulier, complexe et ambigu : l'inspiration n'a décidément jamais quitté le maître suédois, et malgré le ton pour le moins prosaïque d'« En Présence d'un Clown », il nous rappelle ce qui fait qu'un homme puisse s'élever et non sombrer à sa mort. Pour autant, j'avoue avoir du mal avec cette œuvre, difficilement « aimable », du moins en ce qui me concerne.

[1/4]

vendredi 5 novembre 2010

« Il nous faut du bonheur » (Schastye nam nuzhno) d'Alexandre Sokourov et Alexei Jankowski (2010)

    Un très beau documentaire, tourné dans deux villages très simples et pauvres de la partie kurde de la Syrie. C'est l'occasion pour Sokourov d'évoquer son ressenti de russe en terre étrangère, ou plutôt son ressenti d'homme tout court : cette fameuse nostalgie à laquelle on pourrait s'attendre est plutôt mise de côté, ce qui prime avant tout c'est la rencontre des deux cinéastes (même si le texte – la voix-off du héros – est de Sokourov) avec des personnes locales. Nous est présenté le portrait de deux femmes, dont l'une est d'origine russe et a émigré à l'âge de vingt ans vers le Kurdistan pour suivre un homme natif de la région. « Il nous faut du bonheur » c'est donc à la fois le portrait d'une déracinée, étrangère à sa propre famille, dont le mari et le fils sont morts fusillés durant la guerre, et celui d'une femme ayant vécu toute sa vie au même endroit, de sa naissance à ses vieux jours. Mais c'est avant tout la recherche de ce qui meut ces personnes simples, de la façon dont elles parviennent à accepter la vie, comment tout ces gens malgré tout ce qu'ils endurent peuvent être heureux : c'est un film sur le regard, d'occidentaux en l'occurrence (si l'on peut considérer la Russie comme occidentale, bien que de nos jours cela semble plus acceptable), singulier mélange de « fiction » et de « réalité » (de film « documentaire »), les auteurs ne cachant par leur présence même si elle se fait par l'entremise d'un héros bien fictif (un médecin dont on prend la place et dont on adopte justement le regard, le point de vue : tout le long métrage est subjectif)... Sokourov et Jankowski s'interrogent donc sur la vie, sur ce qui fait sa valeur, son intérêt, ce qui permet de vivre (le bonheur? Faut-il d'ailleurs traverser le monde pour le trouver?), sur les notions de pays, de nation, sur l'homme (et la femme bien-sûr), encore et toujours, et inévitablement sur le moment de tout quitter, proches, terre, vie... J'ai l'impression que le cinéma de Sokourov, du moins les quelques films que j'ai pu voir, ou en tout cas ce long métrage, tendent tous vers la mort, et cherchent une façon de vivre, cherchent comment faire pour vivre, montrent la vie en ce qu'elle annonce et résiste conjointement à la mort... C'est un cinéma très grave, mais très profond, et en cela très vrai et très vivant : Sokourov laisse libre court à sa pensée comme à sa caméra, captant tout ces moments « inutiles » qui font la beauté des oeuvres d'art, un sourire, un éclat de soleil, une chute d'eau, une famille, la vie... L'esthétique est très belle, les plans en extérieur sont superbes, magnifiquement bien cadrés, la photographie est toujours caractérisée par ces tons sépia, délavés, typiques du cinéma de Sokourov. Bref 50 admirables minutes.

[2/4]

lundi 1 novembre 2010

« Peur(s) du Noir » de Blutch, Charles Burns, Marie Caillou, Pierre Di Sciullo, Lorenzo Mattotti et Richard McGuire (2007)

    Des grands noms de la bande dessinée actuelle pour une collection de courts métrages autour du thème de la peur, et pas seulement de la « peur du noir ». Toutefois le fait que ces six courts métrages se voient réunis sous cette même idée rend compte des limites du projet : rarement « Peur(s) du Noir » quitte les sentiers balisés du lieu commun. Charles Burns par exemple nous fait du Charles Burns (normal me direz-vous), seulement le doublage scolaire, le rythme lâche et l'animation moyenne ne viennent pas enrichir une façon de faire déjà originellement basée sur le cliché (du mal-être adolescent en l'occurrence)... Je n'étais pas un admirateur de Burns au départ même si je savais reconnaître son talent de dessinateur, pour le coup il aurait mieux fait d'éviter ce passage par le septième art. Marie Caillou nous livre un film d'animation lui aussi fort conventionnel, qui plus est trop limité à mon goût par sa technique d'animation qui le fait lorgner visuellement du côté d'une sorte de « South Park » arty (j'exagère à peine)... Ce sont les deux courts métrages les plus faibles il me semble, avec celui de Pierre Di Sciullo, plus original (des formes abstraites illustrent une voix-off débitant les angoisses du narrateur) mais guère plus convaincant (le propos verse lui aussi dans les généralités d'une certaine représentation « torturée » et surtout nombriliste de notre époque)... Le court-métrage de Richard McGuire n'est pas des plus surprenants, par contre sa maîtrise du noir et blanc est grande, et sa cohérence, son atmosphère restent tout le long d'une intensité appréciable, au contraire des deux premiers courts. Celui de Mattotti est « artistiquement » plus abouti, mais là encore il est loin de faire de l'ombre à son travail d'illustrateur BD, et si sa qualité est certaine il ne me laissera pas en revanche un souvenir impérissable. Le meilleur court métrage est à mon sens celui de Blutch, ça n'est d'ailleurs peut-être pas un hasard s'il est morcelé et intercalé entre ceux de ses confrères. Graphisme excellent, scénario excellent (loin du côté poussif et conceptuel des autres courts) : c'est une sorte de poème assombri par un humour des plus noirs. Attention ça n'est pas le court métrage du siècle bien sûr, mais au regard des autres courts de ce recueil cauchemardesque il se positionne clairement un cran au-dessus. Au final donc pas grand chose à retirer de ce « Peur(s) du Noir » ô combien inégal... Il est d'ailleurs assez désolant de constater que sur six auteurs présents, seuls deux ou trois possèdent une vision vraiment « adulte » de leur art, dans le sens où ils ne mettent pas seulement en images une simple collection de névroses « adolescentes » ou de fantasmes d'une banalité affligeante... Par ailleurs la musique-cliché-de-film-qui-fait-peur n'aide pas à porter le film vers des sphères débarrassées des conventions du genre. Une grosse déception donc, qui tient plus de la déclaration d'intention ou de l'exercice de style qu'autre chose.

[1/4]