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mercredi 13 juin 2012

« Medea » de Lars von Trier (1988)


«Medea» est un téléfilm réalisé en 1988 par Lars von Trier pour la télévision danoise, sur la base du script écrit par Carl Theodor Dreyer, script que le "maître" (dixit von Trier en préambule du film) n’eut jamais l’opportunité de porter à l’écran. De part son statut de téléfilm, «Medea» n’est pas souvent cité dans la filmographie du cinéaste et reste un film rare, peu vu et peu commenté. C’est fort dommage tant cette adaptation cinématographique de l’épisode de la vengeance de Médée constitue l’un des plus beaux films de von Trier, et est une œuvre qui se révèle rétrospectivement comme d’une importance capitale dans la filmographie du cinéaste, faisant apparaître pour la première fois dans son cinéma cette figure récurrente de la femme martyr. En ce sens, «Medea» annonce toutes les héroïnes futures du cinéma de von Trier, depuis la Bess de «Breaking the waves» jusqu’à la Justine de «Melancholia», en passant par la Selma de «Dancer in the dark» et la Grace de l’immense «Dogville». A y regarder de plus près, le personnage de Médée apparaît même comme la clé de voûte de tout le cinéma de von Trier, la source d’inspiration première et évidente du cinéaste pour la grande majorité de ses films : la plupart de ceux-ci ne sont finalement que des variations sur les thèmes particulièrement sombres de la légende de Médée. Réalisé en plein milieu de la trilogie «Europe», entre «Element of crime» et «Europa», «Medea» est très emblématique du travail extraordinaire que le cinéaste mène alors sur l’image cinématographique, un travail extrêmement innovant de recherche formelle. Que ce soit au niveau de la photographie et des éclairages, de la mobilité de la caméra, des angles de prise de vue, du montage dynamique, du traitement du son, et des nombreux effets visuels (surimpression, transparence, etc), le cinéaste déploie un langage cinématographique d’une grande richesse, langage qui permet de créer des impressions poétiques remarquables. En cette fin des années 80, von Trier s’impose définitivement, avec le cinéaste russe Sokourov (il serait intéressant, et ce n’est pas la première fois que je me fais la réflexion, d’étudier les similarités entre les films contemporains de ces deux cinéastes et de voir par exemple comment ce «Medea» est proche du «Sauve et protège» de Sokourov), comme le plus grand expérimentateur des formes cinématographiques alors en activité. «Medea» traduit une inventivité de la mise en scène et une richesse visuelle vraiment stupéfiantes. Certains plans aériens des herbes balayées par le vent rappellent la beauté de certaines images marquantes vues chez Paradjanov ou des superbes plans picturaux du «Mère et fils» de Sokourov (décidément!). Malgré cette démonstration technique et esthétique de chaque plan, le film n’apparaît jamais comme un vain exercice d’expérimentation formelle (comme le sera un peu «Europa» justement). Ici, le cinéaste ne s’amuse pas à bricoler des plans originaux. Toute la mise en scène du film est au service d’une impression poétique d’ensemble, très ténébreuse, qui fait de ce «Medea» un poème poignant sur la souffrance et le sacrifice. Il s’agit à n’en point douter du film le plus poétique de son auteur, dans un registre élégiaque que l’on ne retrouvera plus chez lui par la suite. Je pourrai encore m’extasier sur la beauté des paysages, sur la manière dont le cinéaste magnifie les éléments (superbe séquence dans le brouillard, brume balayée par le vent, mer, feu qui illumine les entrailles de la terre, etc…) mais je laisse au spectateur le plaisir de la découverte de ce bijou, plus beau encore que le déjà remarquable «Element of crime». La fin du film, terrible, est totalement bouleversante et nous laisse sous un double choc esthétique et émotionnel. Un petit chef d’œuvre.      
      
[4/4]

jeudi 1 septembre 2011

« Antichrist » de Lars von Trier (2009)

L’art cinématographique est un art complexe et jeune, ce qui signifie qu’il a encore de très vastes étendues à conquérir et de nombreux domaines à explorer. Je ne crois pas que le cinéma soit mort, comme on le lit souvent, je crois qu’il avance par à coups, avec des moments d’intense créativité, comme dans les années 60, et des moments de vide, comme ces dernières années. Mais il y a toujours, même dans les creux, une poignée d’artistes qui continuent à fouiner, à proposer une vision originale, pas toujours intéressante ou pertinente certes, mais personnelle et réfléchie de leur art. Les œuvres de ces artistes ne doivent alors pas être jugées trop hâtivement, sous peine de passer à côté de quelque chose. Lars von Trier est de ceux-là. Pourquoi ce préambule? Peut-être pour me donner des excuses, car, je dois bien avouer avoir été complètement dépassé par «Antichrist» lors de sa sortie en salles et d’avoir, à l’époque, succombé aux sirènes qui s’allumaient de toute part pour dénoncer la mascarade représentée par ce film. Deux ans après, il me faut revenir sur ce film que j’ai enfin su regarder et comprendre pour réévaluer sérieusement mon jugement passé. Pour commencer, l’histoire. «Antichrist» nous raconte le combat intérieur douloureux d’une femme incapable de concilier ses désirs de femme avec ses responsabilités de mère, identifiés comme deux pulsions contradictoires. De là naît chez cette femme un syndrome psychologique qui la pousse, inconsciemment ou non, à rejeter son enfant. Elle se met à avoir des hallucinations auditives, l’entendant pleurer dans les bois, le torture quotidiennement en lui mettant ses chaussures à l’envers, pour finir par le laisser tomber littéralement de la fenêtre de son appartement, incapable qu’elle est de mettre fin à son ébat amoureux pour endosser son devoir de protection. La perte de son enfant la plonge alors dans un grand désespoir plein de culpabilité. L’inconséquence de son mari, qui entreprend avec elle une thérapie inadaptée de deuil, va réveiller les psychoses endormies de cette femme qui identifie alors la source du mal comme étant son désir, soit sa féminité, donc sa nature de femme et par association, la nature tout court, considérée dès lors comme l’Eglise de Satan. Lorsqu’on a à l’esprit cette lecture du film, celle du parcours psychologique d’une psychotique mal soignée par un mari égoïste, cherchant à oublier sa douleur en s'investissant dans le traitement de sa femme, tout devient clair et limpide. Ce qui pouvait paraître grotesque, exagéré, pure provocation du cinéaste (masochisme, torture, nymphomanie soudaine, etc) devient parfaitement réaliste et cohérent (pour peu que l’on se renseigne un minimum sur ce que peut engendrer la psychose chez un individu). Le film de von Trier apparaît même, dès lors, comme extrêmement bien documenté (le cinéaste a dû s’user les yeux sur Lacan), représentant même un modèle remarquable du genre. Le cinéaste ayant communiqué sur sa dépression à l’époque de la sortie du film, il faut bien voir là le cœur même du propos de son film : une description quasi clinique, d’une impressionnante acuité, d’une dérive psychotique, doublée d’un réquisitoire sévère contre les méthodes de thérapie modernes (que le cinéaste a peut-être expérimentées). Mais si von Trier parle ainsi de ce qu’il connaît à ce moment de sa vie, il n’en n’oublie pas moins sa vision d’artiste. Il dénaturalise ainsi le propos, transposant son film dans le cadre d’une sorte de conte métaphysique, multipliant les références et dressant des parallèles entre le livre de la Genèse, l’iconographie médiévale, la chasse aux sorcières et la démonologie. Dans le film, la femme malade écrit en effet une thèse sur les femmes persécutées du Moyen-Age, thèse qui va cristalliser sa psychose au point qu’elle finira par s’identifier et croire au discours à l’origine des horreurs commises à cette époque, discours qu’elle était initialement censée dénoncer. Lars von Trier profite ici de ces thématiques pour glisser quelques pistes de réflexion très riches sur une certaine responsabilité du discours religieux (la femme étant représentée comme la mère encore vierge) et les nombreux parallèles qu’il dresse ici peuvent conduire à d’inépuisables lectures. «Antichrist» apparaît désormais, comme la plupart des autres films du cinéaste, comme une œuvre riche, intelligente et vraiment stimulante. Quant à la forme du film, c’est peut-être là que le bât blesse, même si le cinéaste déploie ici une esthétique tout à fait logique et cohérente au regard de son œuvre passée, proposant un mélange entre images irréelles extrêmement travaillées, à l’instar de ce qu’il proposait dans «Element of crime» ou «Europa», et images tournées au plus près des personnages, caméra à l’épaule (ce qu’il développa dans le cadre du Dogme). La nouvelle esthétique de von Trier, qui s’affirmera encore davantage dans le film suivant, «Melancholia», n’est finalement que la synthèse de son travail passé sur la forme. Certains reprocheront au film de sombrer dans la surenchère, et accuseront le cinéaste pour le caractère explicite de ses images, cherchant simplement à choquer. Je crois que c’est se tromper sur l’intention du cinéaste qui n’a absolument rien perdu de son art de la suggestion, mais qui bien au contraire cherche à le renouveler. Dans «Antichrist», ce sont pas les actes commis par la psychotique (les symptômes de sa maladie) qui sont suggérés (tout est montré dans le détail), mais, par un retournement très intéressant, la maladie elle-même (ce qui nous place dans la position d'ignorance du mari qui affirmera pourtant avec morgue être le seul à pouvoir comprendre sa femme). De là, la lecture «à l’envers» que beaucoup ont fait du film (moi le premier). Il s’agit pourtant d’un choix au final pertinent qui donne paradoxalement de la profondeur au propos, mais cela est certes beaucoup moins évident que les dispositifs de mise en scène directs et instantanés de films comme «Dogville» ou «Manderlay». Pourtant, l’intention artistique reste bien la même, et j’espère que le temps rendra grâce à ce film, malgré ses nombreux défauts (dont je ne parlerai pas ici, ce n’est pas mon intention). Du moins l’accusation imbécile de misogynie dont le cinéaste a été massivement victime dans la critique journalistique, là où il proposait un film au contraire profondément respectueux de la femme, rejoignant le combat de toutes celles qui ont souffert la vision réductrice ou diabolisante de la femme dans l’histoire, mérite t’elle d’être levée. Une critique qui somma à l’époque le cinéaste de s’expliquer sur son film, ce qu’il est proprement délirant de demander à un artiste. On comprendra mieux alors, sans pour autant trouver ça malin bien entendu, pourquoi Lars von Trier s’est rendu cette année à Cannes en adressant aux journalistes son poing avec le mot «Fuck» tatoué sur ses phalanges... En revanche, je n’arrive toujours pas comprendre pourquoi le cinéaste danois persiste à se rendre, à chacun de ses films, en ce lieu qui a prouvé, depuis de nombreuses années, qu’il n’était plus digne de l’art qu’il prétend pourtant défendre.

[3/4]

mercredi 31 août 2011

« Melancholia » de Lars von Trier (2011) – (2)

J’apporte un second avis sur ce film (un peu long je m’en excuse, je n’ai pas trouvé le temps d’être plus concis), avis plus positif, tant «Melancholia» ne m’a pas laissé indifférent... C’est que le dernier film de Von Trier parvient à me rappeler à ma vieille passion adolescente pour la poésie de la mélancolie et du spleen (Baudelaire, De Nerval,…) et me semble réactualiser ce sentiment en s’affirmant comme un film incroyablement de son temps, qui retranscrit un courant d’humeur et de pensée parfaitement palpable dans l’imaginaire collectif de la société actuelle, en plein délitement. Et je crois que c’est un talent que de saisir ainsi une facette de l’esprit d’une époque. «Melancholia» peut bien être vu comme une suite à «Antichrist», notamment du point de vue formel. Von Trier approfondit ici le travail plastique réalisé dans son film précédent, proposant quelques scènes monumentales réalisées à grand renfort de moyens techniques qui contrastent avec le corps du film, qui adopte une mise en scène plus simple, proche de ce qu’il développa un temps dans le Dogme, avec caméra à l’épaule. On notera d’autres parallèles formels entre les deux films : même importance du prologue grandiloquent, au ralenti, avec musique à fond les manettes (ici le «Tristan und Isolde» de Wagner), esthétique lorgnant du même côté de la peinture romantique allemande et du gothique, construction claire du film en un prologue suivi de 2 chapitres et d’un épilogue. «Melancholia» apparaît néanmoins comme un film plus simple, presque facile, moins torturé et nettement plus limpide que son prédécesseur, jouant davantage, avec une aisance qui peut s’avérer agaçante pour certains, la corde sensible. Mais cette facilité ne doit pas faire taire l’impressionnante efficacité du dispositif : la scène finale, par exemple, a beau être un peu sur jouée, a beau s’appuyer un peu grossièrement sur la puissance de la musique, a beau user d’énormes dispositifs techniques, dans un registre presque hollywoodien (mais Hollywood n’a jamais su produire une telle séquence), elle n’en demeure pas moins d’une force dévastatrice et d’une violence qui laissent abasourdi. C’est simple, je n’avais pas été ainsi retourné au cinéma depuis longtemps, et il faut louer à ce titre la maîtrise du réalisateur qui sait décidément bien y faire et qui s’affirme là encore comme un très grand directeur d’acteur (révélant notamment Kristen Dunst). «Melancholia» est un film porté plutôt sur l’émotion que sur l’intellect (à l’inverse de certains autres films du cinéaste). Et l’émotion m’apparaît juste (bien plus que dans «Antichrist»), ce qui révèle à mes yeux la guérison du cinéaste. Il me semble en effet difficile de faire preuve de tant d’acuité dans la retranscription d’un état d’âme sans en être sorti. Von Trier regarde derrière lui, à distance, sa dépression, ce qui lui donne une significative justesse de l’observation. Si «Melancholia» s’affirme ainsi comme un film du ressenti (le cinéaste lui-même déclare s’être inspiré d’un état d’âme plutôt que d’une idée), ce qui le rend plus directement accessible et qui explique je crois sa bonne réception critique et publique, il n’en reste pas moins parfaitement cohérent et d’une intelligence qui survole largement la production cinématographique actuelle (à 2 ou 3 exceptions près). Une cohérence que l’on trouvait d’ailleurs déjà dans «Antichrist», film que je réévalue nettement à la hausse après un second visionnage qui m’a apporté la compréhension nécessaire et qui a ainsi balayé ma perplexité initiale (j’y reviendrai certainement). Car sous ses aspects de film nihiliste se cache dans «Melancholia» une retranscription très juste de l’état de désenchantement qui submerge actuellement une partie du monde occidental. Là où beaucoup y ont vu un film illustrant les désillusions d’un cinéaste malade, j’y vois pour ma part la mise en images, tel un instantané, d’une humeur morbide qui se répand inéluctablement comme une maladie et qui fait écho à des heures bien sombres de notre histoire. La première partie est à ce titre significative et sa lecture politique illustre magnifiquement le sentiment montant de dégoût et de rejet face à une société de conventions vidées de leur sens, de conceptions du bonheur imposées mais plus en prise avec la réalité des aspirations communes, d’exhortations moralisantes, de scientisme et de positivisme, d’économie prédatrice et d’argent-pouvoir. Sentiment qui conduit par la suite l’héroïne à la paralysie complète et, finalement, à l’acceptation sereine (et même plus, à l’attente désirée) du pire. Le film me semble dès lors agir comme une mise en garde, comme un avertissement jeté à la face d’un monde qui semble succomber lentement à ses démons, avertissement d’autant plus cruel et fort que le cinéaste se dispense, comme à son habitude, de tout positionnement personnel et de tout jugement sur ses personnages. La planète Melancholia joue alors le rôle, à l’instar de la planète Solaris, de révélateur de l’état psychologique de Justine, de miroir de son âme (son nom est explicite à ce sujet), et il n’est pas interdit de penser que c’est bien Justine et sa mélancolie qui anéantissent la Terre, dans une sorte de prophétie auto réalisatrice. Von Trier maltraite quelque peu la bonne conscience du spectateur mais ne cherche aucunement à diffuser des «idées» à travers ce film, et je crois que c’est une erreur que de lui attribuer des intentions qui me semblent fantasmées. Von Trier s'exprimerait à travers Justine et chercherait à nous dire que le monde est mauvais et que sa destruction serait souhaitable? Est-ce bien le sentiment que nous éprouvons après l’épilogue, la satisfaction et le soulagement (et le cinéaste sait très bien faire ressentir de telles émotions lorsqu’il le désire, en témoigne la fin de «Dogville»)? Il me semble plutôt que la fin du film nous laisse dans un profond désarroi… Dans «Melancholia», le cinéaste nous donne à voir et à éprouver une humeur qui est explicitement décrite comme une maladie, une humeur qui conduit à la fin de l’humanité. Le prologue, dont les qualités esthétiques (qui ont pourtant laissé la critique admirative) restent discutables, n’en n’est pas moins extrêmement pertinent du point de vue narratif, en immisçant en nous, dès le départ, le sentiment inéluctable de la fatalité, nous donnant à vivre de l’intérieur la maladie de Justine et à, en partie, la comprendre. C’est là que, à mes yeux, le cinéma de Von Trier peut être qualifié d’intelligent : il appelle dans le même mouvement à combattre le mal (Justine et sa mélancolie), sans succomber facilement à la tentation du bien (Claire et la société qu’elle représente) et nous place dans une position de questionnement, d’interrogation et de remise en question. Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce film (notamment le rapport à l’enfance qu’entretiennent les 2 sœurs) mais cela ne correspondrait qu’à ma lecture personnelle de l’œuvre. Chacun y verra bien ce qu’il veut (et même le pire pourquoi pas), mais cette diversité dans l’appréhension du film n’est que le signe de sa richesse. Alors certes, «Melancholia» n’est pas un chef d’œuvre, la faute à une esthétique surfaite qui ne résistera pas à l’épreuve du temps et qui a fait bien mauvaise école. La faute aussi à un humour qui a perdu de son mordant (voir «Les idiots» ou «Le Direktor») et qui tombe toujours à plat (même en dehors de ses films, lorsque le cinéaste s’exprime), ainsi qu'à un manque certain de sobriété dans la réalisation. Il n’empêche, «Melancholia» reste un grand film, une œuvre maîtrisée de bout en bout, qui ne peut pas laisser indifférent. Les résonances qu’elle entretient avec l’état actuel du monde en font d’ores et déjà un film fortement emblématique.

[3/4]

mercredi 24 août 2011

« Melancholia » de Lars von Trier (2011)

    Dans la droite lignée d'« Antichrist », « Melancholia » est un film profondément désespéré, sorte d'anti-« Ordet » à tous points de vue. Tout dans ce film ramène l'homme à l'état d'erreur de la nature, transitoire et périssable sur la Terre (avec en plus cette noire ironie du danois qui ne laisse pas grand monde indemne)... On retrouve de surcroît la représentation de l'angoisse humaine qui parcourt toute la filmographie du cinéaste, et qui ponctue ici et là le long métrage à grands renforts de crises, pleurs et autres situations sordides. De ce point de vue, Lars von Trier est le digne héritier de Bergman et de son existentialisme tourmenté : il adopte une vision on ne peut plus crue sur la vie et parvient une fois de plus à tétaniser le spectateur sur son siège avec une histoire pourtant difficilement crédible sur le papier. Mais il ne l'égale pas à mon sens, d'une part parce qu'il n'a pas l'économie de style du cinéaste suédois, d'autre part car il ne parvient pas à dépasser ses obsessions sexuelles pour offrir des films plus profonds et plus riches. « Melancholia » est parfois inspiré visuellement parlant, mais les quelques plans savamment composés sont d'une laideur à faire pâlir n'importe quel photographe outré à la mode (et Dieu sait qu'il y en a). Le reste du temps, nous avons le droit à une photographie joliment éclairée, mais qui peine à se départir des canons publicitaires. L'interprétation quant à elle est appréciable, mais demeure sans réel éclat... Kirsten Dunst a reçu un prix d'interprétation à Cannes, ça devient une routine maintenant... On reste sur sa faim, et l'on commence à se dire que l'ami Lars n'a plus grand chose à dire, sinon qu'il se sent mal, et pour cela n'a pas de honte à nous le faire comprendre avec grossièreté et emphase... Bref, c'est kitch et dépressif au possible : Lars von Trier à au moins le mérite de tenter un nouveau mélange cinématographique, même si c'est peu dire qu'il ne lui réussit pas.

[1/4]