Affichage des articles dont le libellé est Le Tacon Jean-Louis. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Le Tacon Jean-Louis. Afficher tous les articles

lundi 24 janvier 2011

« Cochon qui s’en dédit » de Jean-Louis Le Tacon (1979)

« Cochon qui s’en dédit » est un film qui est rattaché au cinéma militant, ce mouvement cinématographique des années 60 et 70 oublié par l’histoire "officielle" du cinéma. Il serait pourtant avisé d’étudier aujourd’hui l’influence que ce geste cinématographique a pu avoir sur le cinéma moderne (et particulièrement sur le documentaire ou le cinéma dit social). Parler de geste cinématographique est tout à fait adapté ici puisque il s’agit d’une réinvention (réappropriation) de la façon de faire du cinéma, notamment grâce aux caméras Super 8, légères et abordables, et qui rendent accessible le cinéma à tout un chacun : en cette époque de grande agitation politique, avec une critique du Capital et de la société de consommation de plus en plus radicale et pertinente, les étudiants descendent dans les rues filmer les manifs, les ouvriers filment leurs expériences de grèves et le cinéma devient un outil de revendication et d’émancipation. Cinéma politisé donc. Mais si « Cochon qui s’en dédit » est un film aussi fort et aussi efficace dans sa description de cette machine à broyer l’humain qu’est le productivisme, c’est bien plus pour ses qualités purement artistiques, Le Tacon parsemant son film de visions d’horreurs et de séquences oniriques particulièrement suggestives. « Cochon qui s’en dédit » décrit le quotidien de Maxime, éleveur de porcs dans une porcherie hors sol, sorte de Auschwitz du cochon (le parallèle avec les camps d’extermination est plusieurs fois souligné par Maxime lui-même). Filmé à la manière de Jean Rouch (immersion totale dans le travail et la vie de Maxime qui commente après coup les images tournées), « Cochon qui s’en dédit » est construit autour de cercles dantesques, un peu à la manière du « Salo » de Pasolini, nous enfonçant toujours un peu plus dans l’horreur : celle vécue par les porcs, et celle subie par Maxime. Endetté, aliéné, Maxime est obsédé par la porcherie, est hanté par la maladie et la mort, est poursuivi par l’odeur de la merde. Il est possédé par son outil de travail, jusque dans ses rêves. Et Le Tacon ne se contente pas de le laisser parler et exprimer ses angoisses, il les met en images, comme cette puissante séquence onirique dans laquelle Maxime jette désespérément des cadavres de porcelets dans la parcelle du voisin, cadavres qui lui reviennent fatalement… « Cochon qui s’en dédit » est un film éprouvant, dont on ne ressort pas indemne (cela faisait des années que je n’avais pas détourné le regard d’un écran de cinéma, supportant difficilement ce qui m’était montré). Un film qui appelle l’émeute, comme le dit l’essayiste Leboutte. Mais surtout un film qui, s’il appartient au cinéma militant (qui trouve là son sommet), reste d’abord et avant tout une œuvre de mise en scène, une œuvre de cinéma, une œuvre d’art.

[3/4]