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jeudi 5 janvier 2012

« La frontière de l’aube » de Philippe Garrel (2008)

Philippe Garrel est de ces cinéastes qui font toujours le même film, fouillant les mêmes obsessions, brodant encore et encore autour des mêmes motifs. Le cinéaste puise grandement dans sa vie personnelle les thématiques de ses films, avec parfois un certain manque de pudeur et de recul : suicide, manque amoureux, rupture sentimentale, dérive alcoolique, désillusions politiques, espérance quasi mystique en une révolution vue comme la solution aux souffrances des hommes… Cette démarche a le grand mérite de révéler une œuvre éminemment personnelle, ce que Tarkovski considérait comme le principe de base du métier de cinéaste (ne pas séparer sa vie personnelle de son œuvre). Mais lorsque les obsessions du cinéaste participent d’un univers qui nous laisse de marbre, comme c’est mon cas avec le cinéma de Garrel, il devient difficile de trouver un intérêt renouvelé à la vision de ses films... C’est dès lors l’aspect formel de l’œuvre qui devient prépondérant dans la perception qu’on en a. Et à ce niveau, «La frontière de l’aube» constitue certainement l’un des tous meilleurs films du cinéaste. Le film est une tragédie romantique, extrêmement classique dans son principe, le combat entre un amour fou, une passion dévorante, et le confort d’une vie réglée, avec femme, enfant, maison, bref, le bonheur bourgeois. Les amants passionnés seront séparés par le suicide de la jeune femme et tandis que l’homme reconstruira une vie sentimentale plus conformiste et confortable, le fantôme de cette amante défunte viendra le hanter et le tourmenter jusqu’à la mort. Inspiré d’un récit de Théophile Gauthier, le film rappelle certains classiques du cinéma romantique, dans lesquels des amants séparés se retrouvent en rêve ou dans la mort (je pense notamment à «Peter Ibbetson»). Taillé dans un magnifique noir et blanc (la photographie du film est remarquable), «La frontière de l’aube» opère ainsi un glissement dans le registre fantastique, glissement qui élève le film au-dessus de l’approche réaliste habituelle du cinéaste (si l’on excepte ses films expérimentaux). Le film baigne ainsi dans une atmosphère assez étrange, onirique, faite d’anachronismes volontaires (les électrochocs), de scènes de rêves tournées comme des scènes réalistes, et de figures stylistiques au charme suranné : fermetures à l’iris, apparitions fantomatiques dans le miroir. On y voit clairement un hommage de Garrel au cinéma fantastique muet (Murnau, Dreyer, Epstein). Le découpage particulier du film, basé sur de grandes ellipses temporelles, si il participe également de l’atmosphère irréaliste du film, rend malheureusement assez incompréhensibles et invraisemblables certains sentiments ou certaines scènes qui apparaissent alors terriblement exagérés. Le jeu pas toujours très convaincant des comédiens renforce parfois cette impression d’hystérie injustifiée, mais Garrel parvient à nous faire oublier cette faiblesse par sa façon remarquable de filmer ses personnages, et notamment Laura Smet, magnifiée par les gros plans d’une caméra presque amoureuse. On regrettera également quelques dialogues vraiment creux, caractéristiques de la grande naïveté, non pas attachante, mais plutôt agaçante, du cinéaste. Malgré cela, «La frontière de l’aube», dont la beauté n’est cependant pas à la hauteur de celle de son titre, reste certainement l’un des meilleurs films de Garrel.

[2/4]

mardi 3 janvier 2012

« Le vent de la nuit » de Philippe Garrel (1999)

Une quinquagénaire suicidaire, mariée à un homme pour lequel elle n’éprouve visiblement plus grand chose, tente de combler son ennui existentiel abyssal et son manque cruel d’amour et d’affection en se laissant embarquer dans une relation charnelle sans lendemain avec un jeune étudiant en art. Celui-ci, de son côté, cherche un sens à donner à sa vie, tente de se sentir vivant dans ce type d’aventure sexuelle, et essaie vainement de décoller de sa triste réalité en s’adonnant aux drogues, sans y trouver le plaisir recherché. Au cours d’un déplacement en Italie, il rencontre un architecte torturé, ex soixante-huitard ravagé par les désillusions (amoureuses et politiques), dont la femme s’est tuée et qui cherche à se donner la mort… Chez Garrel, c’est bien connu, on ne rigole pas beaucoup. Mais avec «Le vent de la nuit», on atteint de tels sommets dans le caractère dépressif de son cinéma qu’on en viendrait presque à s’inquiéter pour la vie du cinéaste, un survivant dans une génération de suicidés. On retrouve ici les thématiques habituelles de Garrel : la rupture sentimentale, la drogue, la jeunesse perdue, la fin des utopies politiques, la nostalgie d’une révolution manquée… Mais la froideur de la mise en scène (que ne parviendra pas à réchauffer cette Porsche rouge un peu trop grossièrement symbolique) et l’aridité du propos recouvrent le tout d’un impénétrable voile de désespoir. On peine à s’intéresser à ces personnages caricaturaux, déjà morts, et on n’éprouve que peu d’empathie à l’égard de leur souffrance. Toute cette neurasthénie, qui traduit principalement un refus de vieillir, peut paraître au final bien futile, d’autant que Garrel assomme son film sous une gravité et un sérieux trop solennels pour générer une quelconque émotion. Alors certes, émerge de cette résignation totale et sans issue, de cette usure des personnages, une certaine impression neo-romantique, une mélancolie de la nostalgie et du désespoir qui peut ne pas laisser totalement indifférent. Mais ce sentiment est purement mortifère, ne débouche sur rien, ne dit rien, reste l’affaire personnelle de personnages qui ne me concernent pas. Là où Eustache balayait la question du suicide par une pirouette dans «La maman et la putain» (c’est trop sérieux pour qu’on en parle), Garrel ose s’y confronter et met en image son désespoir. Mais il se complaît peut-être un peu trop dans sa souffrance... On peut souhaiter que «Le vent de la nuit» ait eu une vertu thérapeutique pour son auteur mais en tant que spectateur, on reste grandement extérieur à ce malaise. A force de nous marteler que la vie est triste et ne vaut peut-être pas la peine d’être vécue, on finit par se dire que ce film ne vaut peut-être pas la peine d’être vu.

[1/4]