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samedi 4 juillet 2015

« Mes Voisins les Yamada » (Hōhokekyo tonari no Yamada-kun) de Isao Takahata (1999)

    Tout comme pour Miyazaki, l’œuvre d'Isao Takahata est un singulier mélange d'influences japonaises traditionnelles et occidentales. On connaît l'attrait particulier qu'a Takahata pour la France, et dans le domaine du cinéma, pour le réalisme poétique des années 1930. Et de fait, toute son œuvre se caractérise par ce réalisme saupoudré d'une poésie tantôt magnifique tantôt comique et exubérante. Là où l’œuvre de Miyazaki baigne dans le fantastique tout en touchant à l'universel, l'universalité de l’œuvre de Takahata vient de ce goût pour la représentation du réel, de la beauté du réel, à la manière d'Ozu (comme Miyazaki ressemble fort à Kurosawa). Ce réel peut être difficile et triste à pleurer (« Le Tombeau des lucioles »), terrible, inhumain (« Le Conte de la princesse Kaguya »), nostalgique (« Souvenirs goutte à goutte »), mais aussi drôle (« Pompoko »)... voire franchement comique : et nous arrivons à « Mes Voisins Yamada ». Derrière le graphisme humoristique, proche de la caricature, tout comme la psychologie des personnages, archétypiques de la famille japonaise moderne, voire occidentale, se cache en fait une ode à la vie humaine, foncièrement imparfaite, et c'est tant mieux ! Derrière tous les défauts de la famille Yamada et leurs péripéties qui n'ont rien à envier aux nôtres (dans la « vraie » vie), se cache en effet la célébration de l'humanité dans toute ses contradictions. Tout comme « Kaguya » est un plaidoyer (en filigrane) pour une vie simple, proche des gens, humaine en somme, « Mes Voisins les Yamada » montre que même la vie de tous les jours est haletante, et qu'en définitive, créer un foyer et bien conduire sa barque sur les flots incertains de la vie est plus difficile qu'on ne le croit, et en même temps l'affaire de l'humanité depuis des millénaires. C'est donc possible ! Et même souvent très drôle, comme les innombrables (més)aventures des Yamada. Entre le père chef de service harassé par son travail et la vie de famille, la mère guère douée pour le ménage, la grand-mère acariâtre, le fils fainéant et la fille témoin de tout ce qui se passe, voilà un portrait tendre et amusé d'une famille on ne peut plus universelle. On se retrouve dans bien des situations, et on rit de bon cœur à toutes ces péripéties bon enfant. Saluons également la technique de l'animation, qui sert tout à fait le propos, et qui mine de rien tient de la prouesse graphique, voire de la franche innovation. En somme, un Ghibli très original et très drôle, à regarder en famille.

[4/4]

dimanche 17 mai 2015

« Souvenirs goutte à goutte » (Omoide poroporo) d'Isao Takahata (1991)

    La première fois que j'ai vu ce film, ça n'a pas manqué : le ton nostalgique, le rythme lent, le manque d'une certaine poésie audacieuse ou de la touche épique miyazakienne, tout cela m'avait déçu. Tout comme pour « Le Château ambulant », maintenant que j'ai donné une seconde chance à ce long métrage sans en attendre la lune, mon avis diffère, et en bien !

Takahata réussit à dépeindre plus que deux époques (les années 1960 et 1980), il évoque avec brio deux âges de la vie d'une jeune femme : l'éveil de l'adolescence et le passage à proprement parler à la vie adulte (fin des études et début du travail). « Souvenirs goutte à goutte » nous conte les vacances d'une tokyoïte de 27 ans, Taeko, qui en prenant le chemin de la campagne, se remémore bien des souvenirs de son enfance, quand elle avait une dizaine d'années.

Les séquences alternent donc entre 1966 et 1982, celles de 1966 étant dessinées à l'aquarelle dans de jolies couleurs, tandis que 1982 est représentée dans les tonalités habituelles et sous le trait caractéristique du Studio Ghibli. Ce qui est intéressant, c'est le côté presque documentaire de l'exercice, car les souvenirs de Taeko rappellent bien des souvenirs qui nous appartiennent : la lutte (à l'usure !) pour obtenir telle ou telle chose de son père ou de sa mère, les cours qu'on juge trop difficiles, l'amour envers son ou sa camarade, les relations familiales avec les frères et sœurs, et bien sûr les parents,... De même pour la jeune femme de 27 ans, quand on approche cet âge, on vit le même genre de problématiques : la question de l'attrait pour un travail pas toujours très intéressant, la question du mariage, le choix de la vie à la ville ou à la campagne,...

Takahata réussit subtilement à aborder bien des thèmes qui nous touchent, et ce sans que l'on se rende compte de l' « artificialité » du dessin (toujours plus que relative chez Ghibli) : en bref, on se croirait devant un film « live » tant c'est bien amené, et plus encore, devant un film d'Ozu, tant ce long métrage respire la lenteur, la nostalgie et le soin apporté aux sentiments les plus fins, sans parler de la qualité toujours aussi prodigieuse de la l'animation. « Souvenirs goutte à goutte » est donc un film hautement recommandable, mais clairement à destination des adultes, sous peine d'endormir les enfants !

[4/4]

jeudi 10 juillet 2014

« Le Conte de la princesse Kaguya » (Kaguya-hime no monogatari) de Isao Takahata (2014)

    « Le Conte de la princesse Kaguya » est une œuvre très adulte et assez sombre malgré ses atours enfantins. En effet, y est évoquée la vie sur terre d'une jeune fille aux origines surnaturelles, trouvée par un modeste paysan dans une pousse de bambou, et élevée par ses soins avec sa femme. La jeune fille grandit avec des enfants de la bambouseraie, tout aussi modestes que ses parents adoptifs, et elle goûte aux joies d'une vie simple et heureuse. Mais le paysan trouve un jour de l'or et de belles étoffes dans la bambouseraie : il en est convaincu, sa fille est en réalité une princesse. Il se doit donc de l'éduquer en conséquence et de lui offrir une place de choix à la capitale, où elle pourra s'épanouir et épouser un riche courtisan. Mais, pour l'héroïne, cela veut dire renoncer à la vie qu'elle mène et qu'elle aime tant, et à ses amis, trop « rustres » pour elle selon son père... D'autant qu'on lui assigne une marâtre en guise d'éducatrice, et qu'elle doit se plier à des usages proprement inhumains (s'épiler les sourcils, ne plus rire, se noircir les dents, rester cloîtrée chez elle, ne pas participer aux fêtes données en son honneur,...). Le conte prend alors une autre tournure, et vient dénoncer l'avidité des hommes, qui recherchent gloire, richesse et ascension sociale sans limite (on n'est d'ailleurs pas très loin du « Bourgeois gentilhomme » de Molière, même si ce dernier est drôle et léger, bien au contraire du présent long métrage). Takahata enrichit avec intelligence le conte d'origine (daté du Xème siècle) pour opposer deux conceptions de l'existence. Ce qui, en filigrane, malgré son côté désabusé, fait du « Conte de la princesse Kaguya » (et là je vais citer un ami) « un hymne à la vie. Mais à la « vraie » vie. Une vie au contact de la nature, de gens authentiques. Une vie simple ». Je ne retrouve pas chez Takahata la même joie et la même humanité (bienveillante) que chez Miyazaki. Mais certains passages de ce film sont excellents, et surtout, le ton est assez subtil et intelligent pour donner à réfléchir, tout en savourant de jolis dessins. Attention donc, ce long métrage n'est pas vraiment pour les enfants, et il vous laissera peut-être un goût doux-amer à la sortie de la séance. Mais il offre un saisissant portrait du Japon médiéval, et plus encore, dénonce avec force et brio des travers humains plus que funestes. D'une manière telle qu'on ne peut que saluer ce qui sera peut-être le dernier film d'Isao Takahata.

[4/4]

mardi 21 juin 2011

« Pompoko » (Heisei tanuki gassen ponpoko) de Isao Takahata (1994)

    Toutes proportions gardées, si Hayao Miyazaki est un peu le Léonard de Vinci du studio Ghibli, Isao Takahata peut être comparé à Jérôme Bosch, du moins pour ce qui est de ce film. « Pompoko » est en effet une longue métaphore filée sur l'état de notre monde d'un cynisme incroyable, intelligente et guère amène envers le spectateur (surtout lorsque l'on sait qu'il s'adresse en principe à des enfants) : le propos est singulièrement trivial (d'autant qu'il consiste en un miroir tendu à l'humanité), et nous oblige à chercher au delà des images de quoi nourrir notre vision du film. Takahata renonce ainsi au « beau » (et à une subtilité supérieure) pour mettre en scène les travers de l'homme, ce pour quoi artistiquement parlant il ne trouve pas grâce à mes yeux. En revanche, la façon dont il provoque la réflexion est estimable, et mérite qu'il en soit fait mention, tant une fois que l'on remplace les tanukis par ce qu'on veut : les artistes, les japonais, les enfants, les aïnous, les européens, les légendes, la spiritualité... ou simplement les animaux et les tanukis, tout s'éclaire. Les humains deviennent alors les occidentaux face au japonais, les américains face au reste du monde, la majorité face à la minorité, les apparences face à la vérité, la modernité face à la tradition, les hommes face à eux-mêmes... Les différentes péripéties, narrées avec ironie par une voix-off, montrent comment, traqués, les tanukis peinent à prendre le dessus à cause de leur paresse, de leurs passions... mais aussi de leur innocence, de leur naïveté et de leur talent. On peut donc aussi voir dans l'extinction des tanukis la fin de l'art et des artistes, la fin de l'imagination véritable, pure et gratuite, la fin de la tradition ancestrale, du respect de l'ancien temps... Bien peu de solutions sont données pour répondre à cet inéluctable changement, pas loin d'être qualifiable de désastreux : retrouver une éthique, un sens du sacrifice, une ardeur au travail sans verser pour autant dans l'activisme, le stress, le fanatisme, la violence, le renoncement total... « Pompoko » est donc un long métrage typiquement japonais, qui non sans humour et plus que tout dans une grande tristesse relate l'autodestruction d'un monde. Aux enfants de réparer les bêtises des adultes, et aux hommes de corriger leurs défauts : ce n'est guère nouveau malheureusement, mais il faut bien quelqu'un pour le rappeler (« Pompoko » est aussi la métaphore du studio Ghibli et du rôle de l'artiste si l'on pousse la réflexion jusqu'à la démarche de l'auteur). Dommage donc que la forme manque à ce point de finesse, mais pour les admirateurs du studio Ghibli voilà un film qui vaut le détour, d'autant qu'il « casse » un peu le mythe de façon relativement bienvenue.

[3/4]