samedi 16 janvier 2016

« Paris est une fête » (A Moveable Feast) d'Ernest Hemingway (1964)

    La récente popularité de « Paris est une fête », avec ces tristes évènements de 2015 que l'on connaît tous, m'a, comme bien d'autres, poussé à me pencher sur son cas. Ne sachant pas à quoi m'attendre, je n'avais pas d'idées préconçues, si ce n'est que le titre me paraissait alléchant. Bien m'en a pris, car qui cherche une succession de scènes de fêtes et de réjouissances dans le Paris des années 20 serait déçu. La fête dont parle Hemingway est ailleurs. Paris est une fête car alors tout y semble simple, et Hemingway y vivait heureux avec sa femme. C'était d'ailleurs peut-être le moment le plus heureux de sa vie, avec la période qui a suivi, avec sa seconde femme, Pauline. Cet ouvrage est construit autour d'une collection de « vignettes parisiennes », chaque chapitre formant à peu près une histoire indépendante des autres, visant à illustrer tel ou tel aspect de la vie à Paris d'alors, ou le caractère et le comportement des nombreux personnages que Hemingway avait rencontrés, des plus illustres (Francis Scott Fitzgerald, Gertrude Stein, Ezra Pound…) aux plus humbles (des serveurs de cafés fort sympathiques, le chauffeur de voiture de Fitzgerald exaspéré par ses excentricités, un ex-soldat de la Grande Guerre truculent…). Outre la galerie de personnages sacrément haute en couleur, ce qui fait l'intérêt de ce livre, c'est la retranscription de « l'art de vivre » à la française. Dans un style presque journalistique, concis (ce qui donne d'autant plus de force au récit), Hemingway nous parle de ses repas plantureux, de ces vins fort appréciables, de ces terrasses de café, si belles, et qui nous sont si chères, jusqu'à en avoir coûté la vie à des gens qui profitaient simplement d'un bon moment avec leurs proches… Hemingway travaillait lui-même attablé à un café, la Closerie des Lilas, et il nous raconte avec précision ses sentiments d'alors, et même comment il écrivait, c'est-à-dire son processus d'écriture, sa ou ses méthodes de travail (fort simples au demeurant). Et cet aspect là de « Paris est une fête » est tout bonnement passionnant, on apprend beaucoup, mine de rien, sur ce sujet. Mais ce qui est touchant, c'est avant tout le portrait qu'il fait de sa femme et de son couple. Ils étaient très pauvres, mais aussi (était-ce lié ?) très heureux. Et comme certains passages le suggèrent, le véritable héros, ou plutôt la véritable héroïne de ce récit, c'est Hadley Richardson, sa première femme. Simple et joyeuse, il semble en effet qu'elle et Hemingway se soient beaucoup aimés, et je crois bien que toute sa vie, il garda beaucoup d'affection pour elle. De sorte, d'ailleurs, qu'elle figure en toute première place du dernier ouvrage qu'il ait écrit avant de mourir. Par bien des aspects, ce livre est réjouissant. Si je devais le résumer en quelques mots, je dirais qu'il s'agit d'une belle photographie, d'un bel instantané d'alors. Mais pas une photo sépia ou en noir et blanc : une photo en couleur, comme celles du musée Albert Kahn, prises au début du XXème siècle et qui nous donnent l'incroyable impression d'y être. Un instantané vivant, qui nous fait revivre cette époque, et par dessus tout combien Paris était une ville magnifique, la ville de tous les possibles. Oui, Paris était, et est toujours bien une fête.

[4/4]

dimanche 10 janvier 2016

« Les Huit Salopards » (The Hateful Eight) de Quentin Tarantino (2016)

    S'il y a quelque chose que je ne comprends pas avec Tarantino et ses adorateurs, c'est le fait de trouver jouissif des mecs qui gerbent du sang, qui se font exploser la tête ou couper le bras à coups de machette... Ou pire, de casser le nez et la mâchoire d'une femme à grands renforts de coups de coude ou de pied. Hilarant. Que ça choque, voire que ça fasse rire (jaune) tellement c'est excessif, à la limite... Mais trouver ça « super fun » ou « jouissif », non là ça me dépasse. Car que nous propose Tarantino ? Un petit jeu de massacre gratuit, bête et méchant, que seuls les sadiques en puissance sauront apprécier à sa juste valeur. Expert du copié collé, Tarantino pompe allègrement sur des vrais cinéastes : Kurosawa, Leone, Godard... qui eux, savaient raconter une histoire. Ici ça se traîne invraisemblablement : 2h47 de film, je veux bien si c'est « Les Sept Samouraïs », où chaque plan est à tomber, et pour le moins beau car travaillé (avec talent faut-il préciser, pour éviter tout malentendu et toute confusion avec le piètre faiseur bas du front qu'est Tarantino). Là on a des champs-contrechamps en veux-tu en voilà, des images sans intérêt, des cadrages mous, des objets qui parasitent les plans, bref une paresse honteuse, mal masquée par cet art si révéré de nos jours de la citation, et non plus de la création, car c'est has been de créer quand il suffit de flatter le spectateur et le critique en plaçant quelques références bien senties ici et là. Tarantino nous prend pour des buses et nous refait pour la huitième fois (car c'est son huitième film, on le saura : trop intelligent le mec, il a mis des huit partout. On m'a dit que c'était le double du nombre de ses neurones, ça doit donc être un signe) le coup du scénario en casse-tête chinois. Sauf que là il s'est pas trop cassé la tête, et qu'un flash back suffira à révéler le pourquoi du comment, sauf qu'en fait on s'en fout. Tout ça pour ça ? Je veux dire, un scénario à l'envers, est-ce là tout l'intérêt, toute la puissance de ce film et de Tarantino ? Un simple exercice de style (pour ne pas dire un effet de manche), est-ce que c'est ça le fameux « Hateful Eight » tant attendu ? Hélas oui, j'en ai bien peur. Un exercice de style vain et douteux (mais là je me répète, je dis ça de chacun de ses films). Des acteurs qui cabotinent à n'en plus finir, une pâle resucée de « Reservoir Dogs », qui avait au moins le mérite d'innover (il faut dire qu'à l'époque on découvrait Tarantino, il ne nous avait pas encore saoulé par sa connerie crasse). Et puis les dialogues, il faut en parler des dialogues. Des tirades de 20 minutes pour parler de la pluie et du beau temps, et accessoirement « chier des nègres » (sic, je cite le Grand Monsieur qu'est Tarantino). Jouissif. Trop jouissif. Le mec sort des blagues racistes à faire pâlir Le Pen toutes les 3 secondes ou nous parle de sa bite pendant un quart d'heure, ça c'est vraiment le summum du jouissif. Bref, je vais m'arrêter là de citer Taranticon pour notre bien à tous, et préfère vous prévenir : si vous avec plus de 15 ans d'âge mental, passez votre chemin.

[0/4]

mardi 5 janvier 2016

« Le Petit Prince » de Mark Osborne (2015)

    Je m'y attendais. La bande-annonce et l'affiche le laissaient entendre : l'adaptation du Petit Prince de Saint-Exupéry se ferait en deux techniques d'animation, en images de synthèse et en stop-motion (animation image par image, ici avec un rendu proche du papier crépon). Très vite la différence se faisait sentir dans ces premiers aperçus du rendu final, et s'est révélée conforme à ce que j'appréhendais lorsque j'ai vu le film : la partie en images de synthèse est très laide, notamment les personnages, qui sont fort disgracieux (sans doute pour ne pas trop faire artificiel s'est-on senti obligé de leur mettre un gros nez et des yeux de travers...). Par contre la partie en stop-motion est belle à pleurer. Ça fait très longtemps que je n'avais pas vu quelque chose d'aussi beau en animation, exceptées les dernières productions du studio Ghibli (et encore). Sans doute faut-il remonter à Youri Norstein, ce grand monsieur de l'animation image par image, hélas proche de la retraite. Oui je le répète, ces quelques moments, qui doivent bien composer le tiers du film, sont à tomber. D'autant que ce sont ces moments qui collent à l'histoire d'origine du Petit Prince, qui faut-il le rappeler, est génialement poétique et profonde. Car oui, j'ai oublié de vous le dire, l'autre partie du film (celle en images de synthèse...) brode autour du matériau originel pour former une autre histoire, sans doute plus proche de la réalité des jeunes enfants d'aujourd'hui. Et là je suis mitigé. D'un côté, la grande machine à « entertainment » anglo-saxonne a encore frappé : humour bancal, merveilleux « forcé » et de pacotille, simili-Ghibli (j'ai d'ailleurs cru voir des références à Chihiro) mais plus proche des défauts des Pixar et autres Dreamworks, fantastique et anticipation déjà vus... Bref, du pilotage automatique. D'un autre côté, cette partie plus actuelle met l'accent sur ce que dénonce à l'origine Saint-Ex dans son ouvrage phare : le désenchantement des adultes, et la prépondérance croissante de l'utilitarisme économique dans notre vie de tous les jours... On n'est pas loin de la fourmilière qu'il redoutait tant et dont il parlait dans d'autres de ses écrits... Donc là, sur ce point, je trouve ça assez bien vu. C'est bien plus grossier que la « vraie » histoire du Petit Prince, mais comparé à n'importe quel long métrage d'animation lambda, ça n'est pas si mal. On retrouve ainsi la dimension philosophique et adulte du Petit Prince tel que pensé par Saint-Exupéry. Pour conclure, je suis donc mitigé en ce qui concerne l'ensemble du long métrage, sorte de matériau composite mal amalgamé... mais conquis par ces passages en stop-motion de toute beauté ! 4/4 pour la partie stop-motion, 1/4 pour la partie en images de synthèse... en arrondissant on arrive à une moyenne de 2/4.

[2/4]