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lundi 30 avril 2018

« Largo Winch – L'Héritier » de Philippe Francq et Jean Van Hamme (1990)

    Peu de gens le savent, Largo Winch a d'abord été créé par le célèbre scénariste belge Jean Van Hamme au format roman. Il a ensuite décidé d'adapter ces ouvrages en bande dessinée avec Philippe Francq au dessin. Si je n'ai pas lu lesdits romans, j'ai lu tous les albums BD de Largo Winch à ce jour au moins une fois, et ces derniers temps je me suis lancé dans une relecture de la série depuis le début. J'ai toujours bien aimé cette série, synonyme pour moi de bon divertissement, à prendre au second voire au troisième degré. De fait, j'imagine que les bouquins d'origine relèvent du roman de gare, car les ingrédients de la série sont action, aventure, intrigues politico-financières, attrait pour le billet vert, mais aussi filles faciles (et facilement dénudées) ainsi qu'humour sous la ceinture. Difficile donc de vraiment prendre cette série au sérieux.

Pour autant, je la regarde aujourd'hui avec un œil un peu nouveau. Je me demandais dernièrement, en réfléchissant à un héros tel que Lefranc (ici), quelle pourrait être la profession d'un héros du XXIème siècle. Et je pensais fortement à Largo Winch, car le héros d'aujourd'hui semble être le chef d'entreprise, qu'il soit héritier ou entrepreneur. Il n'y a qu'à voir le succès qu'ont auprès des jeunes des personnes comme Mark Zuckerberg (PDG de Facebook), Elon Musk (PDG de Tesla ou de Space X, ayant le projet de coloniser Mars ou d'implanter des émetteurs dans le cerveau), Jeff Bezos (PDG d'Amazon) ou encore les PDG d'Airbnb, Uber ou Snapchat.

Dans un monde fini comme le nôtre, où quasiment tout le globe est connu, où l'aventure épique semble avoir disparu, quelques années après qu'un pseudo-intellectuel américain (Francis Fukuyama pour ne pas le nommer) ait parlé de « fin de l'histoire » pour qualifier notre époque, une époque gavée d'images, ou le narcissisme règne en maître et où l'argent est roi, érigé comme valeur suprême (au sens propre comme figuré), l'entrepreneur à succès est naturellement le héros auquel (presque) tout le monde veut ressembler. On ne demande plus à notre héros d'être cultivé ou magnanime, juste d'être un bon opportuniste, prêt à tout pour arriver à ses fins.

Tel pourrait être le portait robot de Largo Winch... sauf que Van Hamme est un auteur de « l'ancien monde », du XXème siècle, et qu'il a doté Largo de certaines qualités appréciables. Ainsi c'est un beau gosse volage et casse cou, mais il est également généreux, courageux, fidèle en amitié, et tient à utiliser son argent à bon escient, même s'il n'est pas dupe de la difficulté pour un PDG multi-milliardaire de conserver jusqu'au bout son éthique. Mais ce qui caractérise peut-être le plus Largo est qu'il est quelqu'un de responsable. Il se sent responsable envers ses amis, mais aussi ses salariés et ses clients finaux. La charge de PDG est lourde, très lourde, et il le sait mieux que quiconque. 

D'autant que sa fortune comme sa puissance attirent les requins de tous bords... même – et surtout – au sein de son comité exécutif ! Et c'est là tout le sel de cette série. Son intérêt ne réside pas dans les montages financiers complexes que Van Hamme se plaît à échafauder (et qui nous perdent un peu), mais dans cette lutte de tous les instants entre Largo et ses fourbes top managers, qui ne rêvent que de le faire disparaître pour prendre sa place. Le monde de l'entreprise est ainsi, c'est un véritable panier de crabes où l'on n'est jamais à l'abri de se prendre un coup de poignard dans le dos...

Par conséquent, les aventures de Largo sont souvent palpitantes et pleines d'imprévu. Et si Largo doit beaucoup à Van Hamme, son véritable géniteur... il doit aussi beaucoup, au format BD, à Philippe Francq et à son dessin d'une limpidité exemplaire (« j'essaie de faire du "fouillé-simple" » indique Francq lors d'une interview). Le trait de Francq arrive en effet à concilier deux extrêmes : souci du détail et parfaite lisibilité, le tout grâce à cet héritage de la fameuse ligne claire. Le résultat est bluffant : si Francq s'améliore d'album en album, les premiers étant encore un peu maladroits, il atteint vite une certaine virtuosité, lui permettant de dessiner des plans improbables et de spectaculaires scènes d'action, renforçant le caractère trépidant de la vie mouvementée que mène Largo.

Aventure et rebondissements, complots et trahisons, amitiés et amours d'un soir, grivoiserie et humour... et cette gravité propre à Largo, sorte de mix entre Corto Maltese, James Bond et Thorgal. Voici les caractéristiques d'une série portée par un héros au grand cœur et attachant. Une série bien plus intéressante qu'il n'y paraît au premier abord, comme un miroir de notre époque actuelle et de ses contradictions... mais aussi de ses idéaux.

[3/4]