« Alouettes, le fil à la
patte » est plutôt considéré comme un Menzel mineur. Or c'est tout le
contraire. Il se hisse largement à la hauteur de « Trains étroitement
surveillés » à mon sens. C'est une critique frontale et très drôle du
régime communiste. Incroyable de se dire que ce film a été tourné en 1968...
L'époque était au dégel et au Printemps de Prague... avant l'invasion soviétique.
Le film sera terminé en 1969. Jiří Menzel le dit lui-même dans son
autobiographie, il pensait que le régime avait appris de ses erreurs et était
prêt à l'auto-critique. Hélas, il n'en était rien... Le film sera interdit de
diffusion, et ne ressortira qu'en 1990, année où il gagnera l'Ours d'Or ex-aequo
à Berlin, un prix amplement mérité.
Ce long métrage est un peu comme un mix entre le cinéma de Philippe de Broca,
léger et gentiment grivois, et l'ironie mordante de Milan Kundera, dont le film
« La Plaisanterie » de Jaromil Jireš, adapté de son œuvre avec
lui-même au scénario, sera un exemple éclatant de son génie littéraire et
comique.
« Alouettes, le fil à la patte » est un portrait collectif de
prisonniers politiques et de prisonnières, enfermées car elles ont tenté de
quitter le pays. Chaque personnage masculin effectuait un métier considéré
comme bourgeois et a sa propre personnalité. Ils sont tous ostensiblement
critiques du régime, mais il ne peut pas leur arriver grand-chose de plus – en
principe – vu qu'ils sont déjà prisonniers. Alors ils se lâchent, pour notre
plus grand bonheur. Mais le régime veille.
Le film est adapté de nouvelles de Bohumil Hrabal, qui fut l'autre grand auteur tchèque de l'époque avec Kundera. Hrabal a écrit le
scénario de ce long métrage : on retrouve son humour omniprésent et burlesque, son
humanisme profond, son goût pour l'anticonformisme. Jiří Menzel a travaillé à
de nombreuses reprises avec lui, et le tandem nous a offert de merveilleux
films, dont le plus connu est bien sûr « Trains étroitement surveillés ».
Notons que la mise en scène de Menzel est magnifique ici, dès les premiers
plans sur une décharge de métaux, qui semble sans fin. La photographie en
couleur de Jaromír Sofr est somptueuse, et la restauration récente du film rend
justice aux sublimes images qu'il a tournées. Jiří Menzel était en outre un
excellent directeur d'acteurs, et il nous gratifie encore ici d'une
réjouissante galerie de personnages.
Le film est complètement jubilatoire, du début à la fin. C'est une œuvre
profondément attachante, avec plein de saynètes tendres et amusantes. Il y a
aussi des passages beaucoup plus lourds et terribles, comme avec ce petit chef
communiste qui révèle à la fin sa perversité, ou ce final, où les personnages
gardent espoir malgré le sort qui s'abat sur eux violemment.
Je n'hésite donc pas à parler de chef-d’œuvre pour ce film. C'est un long métrage profondément original, qui démontre que Jiří Menzel n'était pas juste un amuseur, mais un artiste talentueux et engagé. Un protagoniste essentiel de cette miraculeuse Nouvelle Vague tchécoslovaque.
[4/4]