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mardi 4 avril 2023

« Takeshi Kitano - Hors catégorie » de Lucas Aubry (2022)

 

Takeshi Kitano est un OVNI au Japon. D’ailleurs, le sous-titre de ce livre est révélateur : Kitano est complètement inclassable, son parcours est unique. A la fois comique irrévérencieux, excessif et fantasque, et acteur/réalisateur de films d’auteurs à la violence sèche, contrebalancée par une certaine poésie, Takeshi Kitano mène de front deux carrières complètement antinomiques depuis des années.

Ce livre à le mérite de retracer l'itinéraire de Kitano, en partant de ses débuts, et nous fait mieux comprendre comment le Japonais a su se frayer un chemin – difficile – pour percer dans le monde de l’art et du divertissement, afin de devenir l’artiste mondialement reconnu qu’il est aujourd’hui.

La vie de Kitano commence dans les quartiers pauvres de Tokyo, avec un père alcoolique et violent qui lui fait honte, et une mère courage qui se sacrifiera pour que ses enfants fassent des études. Mais le jeune Takeshi n’est pas du genre scolaire, au grand dam de sa mère. De petits boulots en petits boulots, il intègre le monde du spectacle, dans des clubs de strip tease et des cabarets miteux.

Homme à tout faire, il tient bon et espère que le grand soir viendra. En attendant, il veut apprendre. Sa rencontre avec le vieil acteur comique Senzaburo Fukami est décisive. Il lui transmet tous ses tours, et peu à peu, Takeshi se découvre un talent d'humoriste.

Durant cette période compliquée, un certain Nirō Kaneko, compagnon d’infortune de Kitano, ronge son frein. Ils galèrent alors que d’autres acteurs ont une ascension fulgurante, incompréhensible... Nirō s’associe avec Kitano, et à deux ils forment bientôt les « Two Beats », un duo comique à l’humour ravageur. C’est le début du succès… Année après année, le duo gagne en notoriété. Jusqu’à ce que Kitano, sous le pseudonyme de Beat Takeshi, devienne une célébrité nationale, une star de la télévision, omniprésent et presque omnipotent.

Il multiplie les émissions loufoques et délirantes : « La Télé du génie Takeshi qui donne la pêche », « Tous ceux qui veulent passer à la télé, venez !! », « La Télé la plus intelligente de Takeshi » ou bien sûr le fameux « Takeshi’s Castle »… Dans un Japon très conformiste, Kitano ose tout, en forçant sur le graveleux et l’humour noir… Et ça lui réussit ! Il devient très populaire, notamment auprès des jeunes, et finit même par être désigné comme une des personnalités préférées des Japonais.

Mais Kitano ne veut pas en rester là. Le destin prend les traits de Nagisha Oshima, qui lui offre une opportunité en or. Il lui propose de jouer dans son film Furyo, aux côtés de David Bowie. Star mondiale, Bowie éclipse Kitano, dans le film et sur les plateaux de télé, lors de la promotion du long métrage. Néanmoins le Japonais a déjà gagné : il sait qu’il peut jouer des rôles dramatiques… et en regardant travailler Oshima, il se rend compte que le métier de réalisateur a l’air très intéressant... Pourquoi ne pas essayer après tout ?

La suite, on la connait. Un premier film qui le lance. Des difficultés pour être reconnu comme un cinéaste et un auteur au Japon, son personnage de Beat Takeshi lui faisant de l’ombre. Un violent accident de moto, qui le laisse presque mort, sorte de tentative de suicide ratée, alors qu’il mène une vie à 200 à l’heure. Puis une reconnaissance internationale, qui culmine en 1997 avec le Lion d’Or pour son chef-d’œuvre Hana Bi, le film de la renaissance pour Kitano.

Tout cela, et bien plus, est relaté dans ce bref ouvrage, très dense et très intéressant. Doté d’une belle plume, sèche et incisive, Lucas Aubry raconte avec talent le parcours du wonder boy japonais. Nourri de beaucoup de détails, avec un sens du récit presque visuel, ce petit bouquin est très plaisant à lire et peut faire figure de référence parmi les livres consacrés au cinéaste nippon. Il ne reste plus pour Kitano et ses biographes qu’à écrire la suite, que l’on souhaite heureuse et foisonnante…

[3/4]

jeudi 29 décembre 2022

« Papicha » de Mounia Meddour (2019)


     Un très beau film, porté par de sublimes comédiennes, libres, courageuses et effrontées. Je ne peux que saluer le cran de la réalisatrice, Mounia Meddour, et de ses actrices, car même aujourd'hui, réaliser un film sur ce sujet suscite l'hostilité (en témoigne son interdiction de sortie en Algérie).

Je salue également le talent de Lyna Khoudri, qui a largement mérité son César du meilleur espoir féminin, mais aussi les autres interprètes, notamment féminines, qui sont toutes et tous excellents. Le quatuor d'actrices principales est particulièrement attachant, chacun de leur personnage a sa personnalité et ses combats à mener.

Quant à Mounia Meddour, son scénario est très bien vu, il brosse avec justesse - me semble-t-il - la complexité et les difficultés d'une époque dramatique, en partant de ses personnages et de leur désir d'émancipation, avec une certaine légèreté qui n'est qu'apparente.

Sa caméra, proche de ses héroïnes, sensible et pudique, est également un de ses atouts, secondée par une belle photographie. Je regrette en revanche sa gestion des quelques scènes vraiment dramatiques. Alors qu'elles sont censées être des moments de climax dans le film, leur traitement m'est paru maladroit, l'émotion aurait dû être bien plus forte compte tenu de ce qui nous est montré.

Néanmoins ce ne sont que de légers défauts, inhérents à tout premier long métrage. Et celui-ci est justement très réussi. Mounia Meddour nous livre un film fort et audacieux, qui mérite qu'on ait autant parlé de lui à sa sortie. Hâte de découvrir le second long métrage de cette prometteuse réalisatrice !

[3/4]

samedi 10 décembre 2022

« Les Bonnes Etoiles » (Beurokeo) d'Hirokazu Kore-eda (2022)

 

    Pour qui connait le cinéma d’Hirokazu Kore-eda, « Les Bonnes Étoiles » ne constituera ni une surprise ni une rupture par rapport au reste de sa filmographie. On pourra également soupirer face à certaines maladresses, une forme de naïveté… assez naïve, avec des bons sentiments et de l’humour qui peuvent paraître presque forcés…

Pourtant, je trouve qu’il s’agit d’un vrai bon film, qui renouvelle l’art de Kore-eda. Il semble que son escapade en France avec « Vérité », que je n’ai pas vu, ne nous ait pas donné un grand film. « Les Bonnes Étoiles » n’en est peut-être pas un non plus. A vrai dire, il affiche une modestie qui pourrait le faire ranger hâtivement dans la catégorie « film mineur » pour Kore-eda.

Mais je ne suis pas de cet avis. En s’échappant en Corée, il a redonné un coup de fouet à sa façon de faire, tout en restant dans une certaine continuité. Tout d’abord, au niveau des thématiques traitées, une fois de plus il s’attache à étudier les relations familiales, notamment maternelles, paternelles et filiales. « Les Bonnes Étoiles » est un magnifique film sur la famille, un de plus à mettre au crédit de Kore-eda.

Et une fois encore, il s’empare d’un sujet social pour traiter ce thème inépuisable de la famille. Le point de départ de ce long métrage est l’une de ces fameuses « baby box », ces boîtes aménagées, assez courantes en Corée (et au Japon aussi), où des parents et notamment des mères déposent leur enfant, pour qu’il soit récupéré par des associations et peut-être être adopté, dans l’espoir qu’il vive dans de meilleures conditions qu’auprès de sa famille biologique.

Bien sûr, ce genre de démarche est tout sauf anodine, elle est même particulièrement douloureuse, pour la mère… et l’enfant. Qui a peu de chances de retrouver un jour ses parents, et pas tant de chances que cela de se faire adopter. « Les Bonnes Étoiles » vous fera donc écraser quelques larmes, car c’est vraiment un film émouvant.

Mais là où Kore-eda traite ce sujet avec talent, c’est qu’il ajoute de la légèreté et un grain de sable (de folie ?) qui vient gripper ce « système » déjà fragile, en la personne d’escrocs à la petite semaine, dont l’inénarrable (et toujours aussi excellent) Song Kang-ho, qui vont récupérer le bébé de notre héroïne et tenter de le vendre à des parents souhaitant adopter un enfant.

Kore-eda nous dépeint ainsi une bande de bras cassés, toute une galerie de personnages bancals et abîmés par la vie, qui vont en quelque sorte reformer une famille bricolée, un peu folle et délirante… et terriblement attachante. Un beau moyen de nous montrer qu’une famille ne repose pas forcément sur un même sang partagé, mais sur un amour mutuel. Un amour pas toujours assumé (il y a beaucoup de pudeur dans ce long métrage), mais manifeste.

En cela, « Les Bonnes Etoiles » est un film aux personnages sublimes, des personnages complètements imparfaits, mais auxquels on s’identifie, et qui peuvent nous faire passer, en un claquement de doigts, du rire aux larmes. C’est aussi un « feel-good movie » qui s’assume, en témoigne la bande-son qui fait très cinéma indépendant américain, à la « Little Miss Sunshine », ce qui est tout sauf une insulte pour moi, tant ces deux films me semblent de belles réussites dans leur genre.

Pour finir, je voudrais mettre l’accent sur deux autres qualités de ce film dont je trouve qu’on ne parle pas assez. Tout d’abord, il prend la forme d’un très sympathique road trip, qui mène nos (anti)héros sur les routes de Corée. Kore-eda nous offre ainsi des vues superbes du Pays du Matin Calme, un pays que j’ai redécouvert grâce à ce film, entre montagnes aux forêts à perte de vue, plages de sable fin, zones périurbaines d’une poésie moderne…

Ce qui me permet de faire le lien avec l’autre point que je tiens à souligner : les magnifiques prises de vue qui émaillent ce film. La photographie est vraiment très belle, et les cadrages, les sujets filmés et la composition des plans, font qu’on se retrouve régulièrement face à des images bluffantes, qui font penser à du Edward Hopper contemporain. Ce sont ces plans géométriques sur des lignes électriques, la pluie qui coule sur une vitre, le reflet d’un visage qui répond au reflet d’un autre…

Lors de l’avant-première à laquelle j’ai eu la chance d’assister, en présence d’Hirokazu Kore-eda, ce dernier nous a indiqué qu’il n’a regardé qu’un seul film pour préparer ce long métrage : « Le Fils du Désert » de John Ford. Et je trouve que « Les Bonnes Étoiles » est du même acabit, sans être aucunement un décalque du long métrage de Ford : c’est un très beau film humaniste, à la fois léger et profond, drôle et touchant. C’est un classique instantané (oui), un film intemporel, qui selon moi va rester. Peut-être pas un chef-d’œuvre. Mais un jalon clé dans la filmographie de ce formidable cinéaste japonais, et un film qui compte déjà pour moi. Et pour ça, arigato Kore-eda-san.

[3/4]