Le projet d’adapter une énième fois au cinéma le
célébrissime roman de Dumas a été accueilli avec une légère circonspection. Si
le casting semblait alléchant, le réalisateur choisi, Martin Bourboulon,
laissait quelque peu sceptique. Et puis on ne compte plus les adaptations
cinématographiques des « Trois Mousquetaires », qu’est-ce que cette
version allait bien pouvoir apporter ?
Pour ma part, je n’attendais pas grand-chose de
ce film. Toutefois, comme beaucoup je pense, j’étais curieux de cette tentative
non dénuée de courage de ressusciter le film de cape et d’épée, genre pour lequel
les Français se sont révélés à la hauteur de leurs concurrents anglo-saxons.
Certes, on se souvient avec bonheur des « Trois Mousquetaires » de George
Sidney (1948), peut-être la meilleure version cinéma à date, même si elle a un
peu vieilli, riche d’un excellent casting emmené par Gene Kelly en D’Artagnan
et respectueuse du roman de Dumas.
Mais songeons aux films d’André Hunebelle, au diptyque
des « Trois Mousquetaires » signé Bernard Borderie (peut-être la
meilleure adaptation française du roman), ou encore les films d’époque de Philippe
de Broca (« Cartouche », « Le Bossu ») ou Jean-Paul
Rappeneau (« Les Mariés de l’An Deux », « Cyrano de Bergerac »)
et j’en passe… Non, nous Français n’avons pas à rougir, nous savons – ou du
moins savions – réaliser des films de cape et d’épée dignes de ce nom.
C’est donc peu dire que cet opus porté par le
producteur Dimitri Rassam était attendu au tournant. D’un côté car le genre du film
d’aventure et d’époque est très apprécié en France, même s’il a été abandonné
depuis un moment. D’autre part car nous avions des doutes : de tels films
ont-ils encore un sens aujourd’hui ? Peuvent-ils encore passionner le
public, français d’abord, et pourquoi pas international ?
Le résultat est plutôt positif. Oui, « Les
Trois Mousquetaires – D’Artagnan » est un plutôt bon film de cape et d’épée,
qui a su moderniser le genre ainsi que le roman de Dumas, en prenant des
libertés avec le récit d’origine, mais qui font sens et qui sont bien intégrées
dans le déroulement de l’intrigue.
Ensuite, le casting cinq étoiles est vraiment un
atout clé du film. On s’attache à nos quatre mousquetaires, notamment François
Civil en D’Artagnan et Vincent Cassel en Athos, mais aussi Romain Duris en
Aramis et Pio Marmaï en Porthos. C’est une bonne idée d’avoir confié le rôle de
Constance Bonacieux à Lyna Khoudri, actrice prometteuse, et Louis Garrel campe
un excellent Louis XIII, pusillanime et finalement attachant, lui aussi.
De plus, on sent que Pathé a mis les moyens et
tenu à ce que cela se voie à l’écran. Les décors et la direction artistique
sont de qualité, même si l’on pourra émettre quelques réserves sur les
costumes, notamment ceux des mousquetaires, à l’aspect anachronique (tout comme
quelques éléments ici et là).
Enfin, cette version des « Trois
Mousquetaires » verse davantage du côté du film d’action que du film de
camaraderie. Personnellement je le déplore un peu, certains personnages étant
sacrifiés, notamment Aramis et Porthos. Mais d’un autre côté le rythme est
soutenu et sans temps morts, plutôt bien équilibré, avec du suspense et une
machination politique qui maintient notre attention en alerte.
Venons-en maintenant aux défauts du film. Le
premier et le plus criant, c’est la mise en scène de Martin Bourboulon. Elle
manque clairement de souffle et de panache. Ce qui est quand même un sérieux
problème pour un tel film, adapté d’un roman aussi iconique… Certes, certaines
scènes ont un côté épique (trop bref, hélas…), et puis l’humour n’est
heureusement pas absent, plusieurs répliques bien senties nous laissent
esquisser un sourire, même si elles sont trop rares. On sent aussi qu’à
plusieurs moments le réalisateur tente des séquences plus ambitieuses. Mais il
va rarement au bout de ses intentions.
Or pour un récit de cette ampleur, une mise en
scène aussi plate et aussi peu inspirée, c’est plus que regrettable. En effet,
il y a peu, voire pas d’idées de mise en scène. Tout fait très convenu et
prévisible, comme si on avait demandé à un débutant de tourner un film d’époque...
Ce qui est en fait le cas de Bourboulon, sans doute plus à l’aise dans les
comédies familiales qu’il a signées auparavant. Dommage donc, d’autant plus quand
on a un aussi bon casting et de tels moyens financiers… C’est vraiment un gros
gros loupé de la production… Je sais que Bourboulon fait partie d’une équipe
presque d’amis à l’origine de ce long métrage et que c’est un projet collectif,
mais je regrette ce choix d’un réalisateur néophyte pour ce genre de films.
Dans cette continuité, on peut aussi évoquer la
façon de filmer les combats, complètement brouillonne et illisible. L’avantage,
c’est qu’on est plongé dans l’action, avec un côté immersif qui évite de tomber
dans les clichés du film de cape et d’épée passéiste et trop propre sur lui,
avec des batailles rangées et un côté chorégraphie millimétrée pour le moins
artificielle. Le revers, c’est que ces scènes sont fatigantes et qu’on ne comprend
plus qui est qui ni ce qu’il se passe…
Clairement, les auteurs et Martin Bourboulon ont
fait le choix d’un film avant tout immersif, en témoignent la focalisation sur
les personnages (par exemple sur Anne d’Autriche lors de la scène au couvent)
et la suramplification des sons, notamment les nombreux coups de feu. L’action
est donc très voire trop présente, mais au moins cela évite au long métrage de
tomber dans le déjà vu des adaptations précédentes et permet de proposer une
nouvelle approche du film de cape et d’épée : plus sobre et plus réaliste.
Pour finir, autres défauts et non des moindres :
la direction d’acteurs pas assez précise, semblant laisser les acteurs livrés à
eux-mêmes dans des scènes à rallonge, doublée d’un montage qui aurait gagné à être
plus sec. En effet, dans de nombreuses scènes, on sent que la caméra reste trop
longtemps sur les acteurs, dont certains semblent mal à l’aise. Je pense à
François Civil, mais surtout à Lyna Khoudri, leurs scènes à deux étant parfois
gênantes et manquant de crédibilité. Je pense aussi à Vicky Krieps, mal à l’aise
en Anne d’Autriche, même si c’est aussi le rôle qui veut cela. Ou encore Eva
Green en Milady, qui pour le coup surjoue presque alors qu’à la base je trouve que
c’est une bonne idée de lui avoir confié ce rôle.
Au total, j’estime que les qualités de ce film dépassent
ses défauts. N’ayant pas d’attentes démesurées à l’origine, elles sont plutôt
comblées. Je regrette tout de même de ne pas retrouver le panache et l’inventivité
des grands films de cape et d’épées du répertoire français (Bébel dans « Les
Mariés de l’An Deux » ça avait quand même une autre gueule, à la fois
épique et truculent). Néanmoins, je salue la prise de risque et la
demi-réussite, en attendant avec impatience de découvrir en salle le deuxième
volet, consacré à Milady.
[2/4]