jeudi 27 décembre 2012

« Morgan » d'Hugo Pratt (1999)

    Ultime œuvre dessinée par Hugo Pratt, au soir de sa vie, « Morgan » est à peu de choses près un condensé de la façon de faire de l'auteur italien. Un dessin épuré, une aventure dont l'intrigue est ancrée historiquement (nous sommes à la fin de la Seconde guerre mondiale), un héros moderne, un brin cynique... Morgan est sous-lieutenant dans la Royal Navy. Officier expérimenté, habile et rusé, il écope pourtant de missions anecdotiques, de routine. De son propre aveu, il a plus l'impression de travailler pour la Royal Mail que pour la Royal Navy. Mais les circonstances l'emmèneront là où il ne s'y attendait pas, au gré des vagues de l'Adriatique. Le dernier album dessiné par Hugo Pratt est de qualité. Une qualité qui aura caractérisé toute son œuvre. On peut cependant regretter qu'il manque à « Morgan » cette poésie qui fait les meilleurs albums du dessinateur italien, que l'on compte parmi la série des aventures de Corto Maltese. Hugo Pratt partage avec les plus grands une capacité à faire rêver sans pareille. Dommage que ce dernier opus n'en soit pas l'illustration (affaire de goûts personnels). Néanmoins il s'agit là d'une aventure bien ficelée, un peu brève, mais attachante.

[2/4]

mardi 25 décembre 2012

« Dans un ciel lointain » (In un cielo lontano) d'Hugo Pratt (1996)

    Brève aventure africaine, « Dans un ciel lointain » nous conte les exploits d'un as de l'aviation, le capitaine Pietro Bronzi. Il est italien, et nous sommes en 1940, lors de l'entrée en guerre de l'Italie dans le conflit mondial. Bronzi est amoureux de Luciana Gila, fille d'un colonel, ils ont d'ailleurs prévu de se marier d'ici peu. Hélas, Luciana aime en secret le frère de notre héros, Luca. Et ce dernier ne sait pas comment l'annoncer à son frère. La guerre, et l'affectation de Pietro à Asmara, en Érythrée, viendront les séparer. « Dans un ciel lointain » est une tragédie moderne, se déployant à Rhodes, dans le ciel africain, au gré des sables du désert. L'exotisme du décor vient rehausser la douleur du drame qui se noue. Notons la finesse des sentiments que dépeint Hugo Pratt : c'est une histoire accomplie qu'il nous offre. Certes, elle reste assez classique et ne compte pas parmi les meilleures réalisations de l'auteur italien, mais elle parvient sans peine à nous transporter vers l'Afrique orientale, et nous amène à nous préoccuper du sort d'un aviateur au cœur lourd.

[3/4]

samedi 15 décembre 2012

« La Maison dorée de Samarkand » (La casa dorata di Samarcanda) d'Hugo Pratt (1986)

    « La Maison dorée de Samarkand » est l'une des grandes aventures de Corto Maltese, qui le mènera de Rhodes à la République socialiste soviétique autonome du Turkestan, actuel Ouzbékistan. On ne sait pas trop si c'est à la recherche de l'or perdu du roi perse Cyrus ou de son étrange « ami » Raspoutine, emprisonné dans une prison sordide, que Corto s'engage (toujours cette indécision de l'auteur entre le cynisme et la bonté d'âme)... Toujours est-il qu'il traversera des territoires déchirés par la guerre et la plus grande confusion, entre idéaux trahis, désir de vengeance, soif de pouvoir... Une situation à l'image du début du XXème siècle. Comme à son habitude, Corto ira de rencontres en rencontres : derviches tourneurs, aventuriers sans foi ni loi, espionnes, comédiens défraichis, révolutionnaires... et même son double maléfique! Sans oublier le fidèle Raspoutine, toujours aussi brutal, méchant, terre à terre et opportuniste. Le contraire même de Corto Maltese, (anti)héros romantique et rêveur, perdu dans un passé dont on ne sait rien, ou presque. « La Maison dorée de Samarkand » est d'ailleurs particulièrement marqué par le rêve et l'incertitude, entre la nuit, les songes et les volutes de fumée de haschich. L'onirisme n'est jamais bien loin, et annonce l'orientation que prendra l'œuvre d'Hugo Pratt par la suite, de plus en plus détachée de toute réalité, du moins en ce qui concerne les aventures de notre marin maltais. Un album parfois un peu confus, mais faisant la part belle à l'aventure et à une certaine poésie (même si Pratt a fait encore mieux dans le domaine).

[3/4]

dimanche 2 décembre 2012

« Sandokan - Le Tigre de Malaisie » (Sandokan) d'Hugo Pratt et Mino Milani (2009)

    Hugo Pratt et Mino Milani ont respectivement dessiné et écrit en 1969, pour le Corriere dei Piccoli, un ouvrage inspiré des « Tigres de Mompracem » d'Emilio Salgari, grand nom du roman d'aventure italien du début du XXème siècle. Le titre de cette œuvre : « Sandokan - Le Tigre de Malaisie ». Cette bande dessinée raconte les aventures d'un pirate malaisien, Sandokan, et de ses hommes, dans leur lutte contre les colons britanniques, personnifiés par Lord Guillonk, décrit comme un « aventurier sans scrupules ». Or ce dernier a une nièce, Lady Marianne, surnommée la Perle de Labuan, à la beauté exceptionnelle. Bien évidemment, Sandokan en tombera fou amoureux, et fera tout pour conquérir son cœur. Il s'agit donc d'une belle histoire d'amour, ancrée dans un contexte historique bien précis (comme la majorité des œuvres d'Hugo Pratt), et baignant dans un exotisme envoûtant. On regrettera la brièveté du récit : Pratt n'a jamais achevé son travail, et les quelques planches qu'il a dessinées n'ont été retrouvées qu'il y a quelques années. Pour autant, c'est une histoire qui mérite la lecture, illustrée de main de maître (le noir et blanc est magistral, le coup de crayon audacieux), et faisant la part belle aux nobles sentiments, que ce soit l'amour le plus pur ou l'héroïsme de notre héros. Une œuvre inachevée, bancale donc, mais pour le peu qu'il nous est donné de contempler, une véritable réussite.

[3/4]

samedi 1 décembre 2012

Citation du samedi 1er décembre 2012

« De même qu’il est mieux d’illuminer que de briller simplement, ainsi il est préférable de transmettre aux autres ce que l’on a contemplé que de contempler seulement. »

Saint Thomas d’Aquin
(Somme théologique, IIa, IIae, qu. 188, art. 6)

samedi 10 novembre 2012

« Les Éthiopiques » (Le Etiopiche) d'Hugo Pratt (1978)

    Faisant suite aux « Celtiques », « Les Éthiopiques » est un recueil de quatre aventures de Corto Maltese. Elles se déroulent en 1918, à la fin de la guerre, dans la Corne de l'Afrique. Corto croisera le chemin d'un bédouin britannique, surnommé El Oxford, et de Cush, un assassin musulman au sacré caractère. Ce dernier se plaît à réciter des sourates du Coran au gré de ses tribulations et de ses meurtres. Il réapparaîtra par ailleurs dans « Les Scorpions du Désert », autres aventures africaines dessinées par Hugo Pratt. Les noms de Lawrence d'Arabie et d'Arthur Rimbaud sont même évoqués. « Les Éthiopiques » est marqué par les antagonismes entre tribus, britanniques et allemands, dans un contexte trouble et un désert qui rend fiévreux. Il s'agit d'une époque marquée par le courage, l'héroïsme, mais aussi la peur, la lâcheté et la mort. Notre marin fera lui-même l'expérience de la couardise! Après tout, de son propre aveu il n'est pas un héros... Corto Maltese est en effet terriblement humain, il est le témoin d'une ère oscillant entre raison et folie (meurtrière), d'un monde qui s'effondre sur lui-même, et à travers ses yeux nous revivons des temps sombres de l'histoire humaine. Néanmoins il y a toujours de l'espoir, celui-ci résidant surtout dans l'imagination et l'onirisme,  mais aussi dans l'amitié et le sens du devoir, nous dit Hugo Pratt l'africain.

[3/4]

« Fable de Venise » (Favola di Venezia) d'Hugo Pratt (1981)

    « Fable de Venise »  est un album charnière, qui fait la transition entre deux aventures de Corto assez denses : « Corto Maltese en Sibérie » et « La Maison dorée de Samarkand », sans pour autant les prolonger ou les anticiper : c’est un épisode à part entière des péripétie de notre audacieux marin. On y retrouve tous les ingrédients de la série imaginée par Hugo Pratt : de l’aventure, du mystère, de l’onirisme, de l’ésotérisme, des rencontres avec des personnages historiques (D’Annunzio…). Mais aussi, au premier plan, Venise ! Venise et ses arcanes, ses sociétés secrètes, ses Chemises noires (nous sommes en 1921), son ghetto juif… Corto Maltese est l’un des grands héros modernes. Aventureux, solitaire, généreux sous ses atours individualiste et désintéressé de tout (sinon de l’argent),... Il est mélancolique, rêveur, mais aussi lucide sur la société de son temps, faite d’illusions, de faux-semblants, de troubles politiques et caractérisée par la crise spirituelle de l’Occident. Il traverse tous ces évènements avec son flegme si caractéristique, et son aplomb salvateur (il réussit toujours à se sortir des mauvaises passes), qu’on peut même qualifier de courage. En cela Corto Maltese est d’un autre temps, d’une époque révolue, certes moderne (avant la Seconde guerre mondiale et notre modernisme forcené), mais gardant une certaine noblesse passée, un goût pour la hauteur d’âme, que l’on ne retrouve hélas plus, ou presque plus, dans les œuvres d’art actuelles.

[3/4]

mercredi 7 novembre 2012

Citation du mercredi 7 novembre 2012

« Je me refuse simplement mais absolument à confondre la conscience de l’artiste, qui est une chose, avec sa sincérité, qui en est une autre [...]. Cette conscience exige que nous développions en nous le bon ouvrier. Mon objectif est donc la perfection technique. Je puis y tendre sans cesse, puisque je suis assuré de ne jamais l’atteindre. L’important est d’en approcher toujours davantage. L’art, sans doute, a d’autres effets, mais l’artiste, à mon gré, ne doit pas avoir d’autre but. »

Maurice Ravel
(Esquisse autobiographique, 1928)

lundi 29 octobre 2012

« Peter Ibbetson » d'Henry Hathaway (1935)

    Un film étrange, empli de mélancolie, et beau. C'est l'histoire d'un petit garçon et d'une petite fille séparés trop vite par la vie, d'un amour perdu à jamais inguérissable. Dans des décors intérieurs comme extérieurs somptueux, baignés par une photographie nuancée à l'extrême, se noue le drame de deux vies qui s'aiment à en mourir. « Peter Ibbetson » est une œuvre à mi-chemin entre le préraphaélisme et le surréalisme. Dirigée avec goût, la mise en scène réserve des moments d'onirisme pur du meilleur aloi. Tout n'est certes pas parfait dans ce long métrage, un peu maladroit, un peu surfait parfois. Mais son côté gauche et surtout sincère, presque naïf, est touchant. Gary Cooper excelle en jeune homme rongé par le passé. Ann Harding laisse moins affleurer une réelle humanité, son visage est quelque peu glacial, sa beauté est froide. Mais nos deux interprètes parviennent tout de même, de concert, à donner chair à cette histoire d'amour qui brave le temps et l'espace. On retiendra particulièrement le début et la fin du film, qui s'imprimeront durablement dans l'esprit du spectateur. Un des sommets du cinéma américain des années 30.

[3/4]

jeudi 18 octobre 2012

« Like someone in love » d'Abbas Kiarostami (2012)

    Quelque peu décevant. A l'aide d'une mise en scène sobre et d'un scénario simple mais ingénieux, Abbas Kiarostami nous brosse le tableau d'un Japon (mais ce pourrait être ailleurs) meurtri par la modernité. L'individualisme règne, tout comme la mélancolie ou la solitude, dans un décor bétonné et illuminé de néons, tandis que l'amour (digne de ce nom) est le grand absent. Comme à son habitude, le cinéaste iranien nous gratifie de pérégrinations en voiture. Soit. Chose bienvenue, quelques pensées profondes émaillent le long métrage, la plupart venant de la bouche du sympathique Watanabe Takashi, vieux professeur de sociologie. Ce dernier fera la rencontre de la jeune Akiko, prostituée de son état, et harcelée par son violent petit ami. Cette rencontre illuminera la vie de nos deux protagonistes, même s'ils n'auront pas le temps de faire plus ample connaissance et de vraiment s'apprécier. Et c'est là que la bât blesse. Kiarostami n'arrive pas à nous extraire de son spleen pour nous proposer une fable de l'acabit de ses meilleurs films. Il en avait pourtant la matière et les moyens, il avait de surcroît de bons interprètes. Il n'approfondit pas non plus son étude, trop superficielle, de la modernité. La fin brutale annihile tout espoir d'avoir affaire à une œuvre dense, et surtout de qualité. Le talent de cinéaste et de conteur d'Abbas Kiarostami n'est pas à mettre en doute, le long métrage est porté par son regard pudique sur une relation qui n'aura pas lieu, qu'elle soit corporelle, amoureuse, ou tout simplement humaine. Mais son achèvement soudain vient signifier l'impasse dans laquelle s'est engouffré Kiarostami. A trop vouloir jouer le réalisme, l'art de l'iranien a perdu de son sel et de sa saveur. « Like someone in love » est un long métrage inabouti, et c'est bien dommage.

[1/4]