dimanche 1 mars 2015

« Le Château dans le ciel » (Tenkū no shiro Rapyuta) d'Hayao Miyazaki (1986)

    Après avoir vu tous les longs métrages d'Hayao Miyazaki, dont certains au moins deux fois, j'en arrive à la conclusion suivante. Deux films surnagent parmi cette douzaine d'authentiques chefs-d’œuvre : « Totoro »... et « Le Château dans le Ciel ». Parlons de ce dernier. A mon sens, il s'agit d'un film parfait. Parfait parce que sans défaut, mais surtout, parce que poétique au possible, merveilleux, entraînant, subtil, divertissant tout en conservant une grande profondeur. Ce n'est pas un long métrage aride, parfait car lisse, austère, non, il est parfait pour moi car je n'ai jamais vu mieux. Oui, c'est un film très sensuel. Et poétique, je me répète. J'en veux pour preuve cette magnifique séquence d'introduction : une petite fille tombe du ciel, lentement, doucement, pour arriver dans les bras d'un petit garçon, émerveillé et surpris à la fois. Et c'est là que tout commence. Mélange d'histoire d'amour et d'amitié, mais aussi de pure aventure, « Le Château dans le ciel » est peut-être avec « Totoro » le film le plus universel de Miyazaki. Les valeurs de l'entraide, du courage, de la curiosité, de la débrouillardise, et de l'amour, toujours, y sont exaltées. Et puis cette exubérance visuelle, cette inventivité permanente est extraordinaire. Tout semble possible pour Miyazaki. C'est bien lui qui est allé le plus loin dans le domaine de l'animation, car il est allé chercher ce qu'il y avait de meilleur dans son cœur de poète ainsi que ses yeux et ses mains de dessinateur : un conte pour enfants (et adultes n'ayant pas perdu leur âme d'enfant) intemporel. Avant, je n'attribuais pas la note suprême à ce film car j'avais toujours à l'esprit ce méchant assez manichéen. Et en fait non, peu importe. Le mal existe, il ne sert à rien de le masquer. L'important c'est que le bien triomphe. Que l'innocence vienne à bout de la noirceur qui peut régner dans ce monde. Que des enfants puissent sauver l'humanité, précisément car ce sont des enfants, au cœur pur. Et puis toute cette galerie de seconds rôles, est comme d'habitude chez Maître Miya, réjouissante : des pirates facétieux et maladroits, un vieillard esseulé, perdu dans une mine, un chef ouvrier grognon mais humain... Et comment ne pas évoquer la musique de Joe Hisaishi, qui comme toujours vient sublimer le tout, donner une dimension supplémentaire à un film déjà exceptionnellement riche par bien des aspects ? D'autant que n'ai pas parlé de tout ce mystère autour de Laputa, la fantastique île volante. Cette partie là aussi du long métrage est intrigante, mystérieuse et fascinante. En fait, et j'en reviens à ma conclusion : tout dans ce film est réussi. Tout. Et je crois que je pourrais le revoir des dizaines et des dizaines de fois en étant toujours aussi ému. Rares sont les œuvres dont je peux affirmer cela, tous arts confondus... « Le Château dans le ciel » en fait indéniablement partie.

[4/4]

« Vol de Nuit » d'Antoine de Saint-Exupéry (1931)

    « Vol de Nuit » est un roman extraordinaire. A partir de l'aviation, et plus précisément d'une nuit au temps capricieux, Saint-Exupéry nous dit tout de la vie. Certes, d'abord, de la vie des pilotes de l'Aéropostale, et de leurs proches, toujours dans l'appréhension d'un accident mortel. Mais aussi de la hiérarchie de cette organisation, faite de chefs courageux et rudes, de pilotes jeunes et téméraires, et de bureaucrates ratés. Et enfin de cette joie de voler dans les airs, de quitter la terre pour mieux la rejoindre le temps d'une escale brève mais salutaire, de frôler les nuages, de saluer les étoiles,... Ce sentiment de liberté qui étreint les pilotes, nous le ressentons intensément grâce au talent de conteur de Saint-Ex, qui sort sa plus belle plume pour rendre hommage à ses amis pionniers. La poésie est omniprésente dans cet ouvrage, notamment dans ces descriptions magnifiées du ciel et de la nature, belle mais farouche. Mais aussi dans la description de la psychologie et des sentiments des personnages. Le passage sur la femme du pilote est à tomber. Je n'ai rien lu d'aussi beau, sensuel et subtil à la fois. Les personnages sont toujours complexes chez Saint-Ex, car riches de contradictions, comme tout être humain qui se respecte. Ainsi en va-t-il de la figure tutélaire de Rivière, ce chef intraitable, prêt à sacrifier ses hommes pour sa cause, ou plutôt une cause qui les dépasse tous : aller au-delà de ses limites physiques et psychologiques pour servir l'humanité. Toutefois pas de doute, il aime ses hommes, et s'il est particulièrement sévère, c'est parce qu'il veut les préserver de l'erreur funeste. Car dans le ciel, le moindre écart peut signer la fin de l'équipage. Mais Saint-Ex ne nous dépeint pas un chef aride, suffisant : Rivière doute. Qu'est-ce qui vaut plus que la vie humaine ? Qu'est-ce qui vaut que l'on décolle la nuit pour arracher à la pesanteur le courrier, symbole de la vie d'un continent ? Pourquoi vivre, et pourquoi vivre ainsi ? Tant de questions qui restent (apparemment) sans réponse, mais dont Saint-Ex nous fournit, discrètement, des propositions merveilleuses : le courage et l'espérance ne sont pas vains. Et ça, c'est une certitude.

[4/4]

jeudi 12 février 2015

« New York-Miami » (It Happened One Night) de Frank Capra (1934)

« New York-Miami » est la matrice de la comédie romantique actuelle et de la screwball comedy des années 30-40. Tout dans ce film est réjouissant : le couple d'acteurs principaux, au physique si particulier, Clark Gable et Claudette Colbert, les dialogues, vifs et piquants, irrésistibles, la mise en scène, fluide et inventive sans trop en faire, la photographie, réservant de belles séquences, notamment dans la nature,... Ce long métrage fait partie des meilleurs Capra, et autant le dire tout de suite, cela signifie que c'est un film d'une grande qualité et rafraichissant au possible. Un divertissement fin et intelligent, en somme, une rareté à notre époque ! Il paraît que l'ambiance était exécrable durant le tournage, les acteurs ayant été forcés de faire ce film par leurs producteurs : rien ne transparaît à l'écran, c'est dire leur professionnalisme. Au contraire, on sent une grande complicité entre Gable et sa partenaire, pimentée d'un brin d'agacement qui retarde à la toute fin des retrouvailles qu'on espère et qu'on devine depuis le début. Et comment ne pas évoquer l'humour omniprésent ! Que ce soit visuellement ou dans les dialogues, Capra a l'art de rendre le moindre évènement joyeux, de rendre la vie quotidienne euphorique, en partant de détails anodins ou de situations vues mille fois. Comme à son habitude, il utilise les clichés les plus rebattus pour mieux les faire voler en éclat. A ce titre, nombre de personnages sont ambivalents, apparaissant sous une dimension au début, et se révélant tout autre au fil du temps. Je n'en dis pas plus, mais vous comprendrez ce que je veux dire en regardant ce film : Capra a également l'art de surprendre. Rien ne lui résiste, encore moins le spectateur, qui ne peux que fondre devant ces personnages si attachants. En bref, un classique indémodable, et un film au charme envoutant. A voir !

[4/4]

samedi 7 février 2015

« Souvenirs de Marnie » (Omoide no Mānī) de Hiromasa Yonebayashi (2015)

    « Souvenirs de Marnie » est un Ghibli à part, par bien des aspects, malgré la qualité toujours aussi irréprochable du dessin. Tout d'abord il tourne autour d'une héroïne mal dans sa peau, timide à l'extrême et de surcroît asthmatique. Les héroïnes vaillantes, fières, courageuses de Miyazaki et Kondo semblent bien loin. Ensuite, l'ambiance est sombre, parfois effrayante. Là encore, plus aucune trace de la joie miyazakienne, voire du comique takahatien. Et enfin, c'est probablement le film du célèbre studio japonais le plus ambivalent. Et là, je dois dire que c'est très particulier. Chaque instant du long métrage (si l'on excepte la fin qui, heureusement, vient tout résoudre en apportant une grande bouffée d'air frais) menace de tomber dans l'excès, un excès que l'on craint graveleux, sordide. Mais non, ouf, on y échappe. Et ainsi de suite, jusqu'aux 10 dernières minutes. Les scènes de tension, presque anthologiques, sont légion, et l'on se demande assez rapidement où le film et son réalisateur veulent en venir. Ghibli nous avait habitué à des longs métrages plutôt francs du collier, directs, simples (mais d'une simplicité salutaire, solaire même). Ici tout est compliqué, tortueux, et toujours à la limite du borderline. Le carcan moral qui soutient, l'air de rien, les précédents films signés Ghibli semble fondre sous la chaleur du cœur en fusion de l'héroïne, prêt à exploser de mal être. Heureusement, donc, la fin vient expliquer et dénouer l'histoire, dont on ne faisait qu'entrapercevoir à grand peine le sens, bien tourmenté, mais rationnel il est vrai, et non dénué d'intérêt au demeurant. Toutefois, « Souvenirs de Marnie » marque bel et bien une rupture dans la production du studio. Miyazaki et Takahata, avec toutes leurs influences, à savoir le cinéma japonais, américain et européen de la première moitié du XXème siècle, surtout, tirent leur révérence. Ils laissent la place, en l'occurrence, à un cinéaste de toute évidence nourri au cinéma japonais de la deuxième moitié du XXème siècle, plus angoissé et terrifiant, plus adulte pourrait-on dire, plus sombre en fait. Et là se pose la question du futur : le studio peut-il poursuivre dans cette direction ? Il doit se réinventer, certes, et faire place nette aux jeunes générations. Mais doit-il pour autant s'engager dans cette voie, au risque d'aboutir à une impasse ? La pause intimée par Toshio Suzuki, le talentueux producteur du studio nippon, est éloquente : Yonebayashi est-il réellement un successeur de taille pour Miyazaki et Takahata ? Rien n'est moins sûr.

[2/4]

samedi 17 janvier 2015

« Le Château ambulant » (Hauru no ugoku shiro) d'Hayao Miyazaki (2004)

    La première fois que j'ai vu ce film, j'ai été extrêmement déçu, ne voyant que ses défauts : une occidentalisation forcenée, voire parodique malgré elle, une certaine mièvrerie (le héros principal est passablement agaçant) et surtout un rendu consensuel au possible. Où était donc passé Miyazaki me demandais-je ? Après un second visionnage, je révise mon jugement, tant j'ai pris plaisir à revoir ce long métrage. En fait, je sais aujourd'hui ce qui m'avait déplu dans « Le Château ambulant » : c'est son côté composite. C'est un amalgame de cultures anglo-saxonne et japonaise, d'histoires d'amour et de guerre, de magie et de réalisme, et le tout, saupoudré de rose bonbon et autres couleurs criardes, m'était apparu fort indigeste. En n'attendant plus rien de cette seconde chance laissée à ce film, ses qualités sont tout à coup ressorties, peu discutables. Tout d'abord la poésie de certains passages est extraordinaire. Rien que ces moments privilégiés confèrent toute sa force au « Château ambulant », en en faisant un dessin animé de grande qualité. De plus, les personnages secondaires (l'épouvantail et le démon du feu notamment) sont savoureux : c'est tout simplement le sel qui donne son goût si particulier à ce long métrage. Et si l'héroïne n'arrive pas à la hauteur des autres personnages principaux des meilleurs Ghibli, elle marque par son abnégation et son courage typiquement « miyazakiens ». « Le Château ambulant » est tout de même un film du maître à part et légèrement en deçà des autres, car on peine à s'identifier totalement au couple principal (vu l'âge plus qu'avancé de l'héroïne et le maniérisme adolescent du héros). Toutefois l'histoire tient la route, et j'ai apprécié l'arrière plan martial, qui une fois de plus donne l'occasion au cinéaste japonais de dénoncer la folie des hommes. L'animation, quant à elle, est toujours irréprochable, même si ce n'est pas le long métrage le plus exemplaire du studio Ghibli à ce sujet. En somme, il faut prendre « Le Château ambulant » pour ce qu'il est : un pur divertissement, dans le meilleur sens du terme. Ce n'est pas le film le plus profond, ni le plus réussi ou le plus émouvant de Miyazaki. Mais l'un des plus réjouissants, et à ce titre, il mérite largement le coup d’œil.

[4/4]

dimanche 11 janvier 2015

Citation du dimanche 11 janvier 2015

« La beauté s’offre à qui sait la voir. »

Paul Valadier
(Conférence « Beauté neuve : le cas du cinéma », le 29 septembre 2014)

« L'Homme de Rio » de Philippe de Broca (1964)

    Le mètre-étalon de la comédie d'aventure moderne. Librement inspiré des Aventures de Tintin (en pagaille : L'Oreille cassée, Le Secret de la Licorne, Les 7 Boules de cristal,...), à l'origine des futurs Indiana Jones et autres OSS 117 signés Hazanavicius, « L'Homme de Rio » parvient à concilier grand spectacle et divertissement de haute volée, grâce à l'interprétation pour le moins excellente de Belmondo (qui réalise seul ses cascades, toutes plus improbables les unes que les autres) et de la regrettée Françoise Dorléac, qui portent à eux deux le film : Bebel (Adrien) en jeune homme athlétique et jamais à cours de ressources, embarqué malgré lui dans des aventures extraordinaires, et Dorléac (Agnès) en jeune femme impertinente, un brin agaçante (c'est ce qui fait son charme), objet de la quête de son compagnon, qui ira la chercher jusqu'au fin fond de l'Amazonie. Tout est réjouissant dans ce long métrage : le charme juvénile des deux principaux acteurs, un méchant machiavélique, les péripéties incroyables et les rebondissements incessants, les vues extraordinaires de la forêt amazonienne ou de Brasilia, encore vide et en construction à l'époque... mais surtout l'humour ravageur qui règne tout au long du film. La façon dont les héros ne se prennent pas au sérieux restera inimitable (excepté justement dans les Indiana Jones, et peut-être dans les 2 ou 3 premiers Pirates des Caraïbes), et confère au long métrage une fraicheur inaltérable : même s'il fait aujourd'hui très daté, « L'Homme de Rio » est toujours aussi bon... comme les Tintin ! Intemporel en somme, ce qui, pour un film de divertissement, sonne comme une réussite rare et appréciable ! Daniel Craig et Matt Damon, remballez vos affaires, rien ne remplacera un bon vieux Bebel, prêt à assommer une douzaine de brutes patibulaires à main nue ou à passer d'un immeuble à l'autre suspendu à un unique câble, à 30m de hauteur, pour sauver sa belle des griffes d'un odieux personnage, et ce à l'autre bout de la planète !

[3/4]

samedi 3 janvier 2015

« Entre elle et lui » de Nathalie Dessay et Michel Legrand (2013)

    Je le concède, les premières fois que j’ai écouté cet album, j’étais déçu par la production ultra léchée et la voix presque mécanique de Nathalie Dessay. Difficile de ressentir la moindre émotion, avec un essai qui me semblait presque factice, forcé. Mais bien malgré moi, à force d’éprouver l’envie de réentendre cet opus et au fil des écoutes, il s’est imposé à moi comme un magnifique aperçu de ce que sait faire de mieux Michel Legrand : des chansons aux mélodies riches et limpides à la fois. Car finalement Nathalie Dessay reste en retrait, et c’est la formidable musicalité des chansons de Legrand qui ressort, leur génie musical (n’ayons pas peur des mots) demeurant un régal sans pareil. Si l’on sent une patte, voire quelques « tics » de composition, force est de reconnaître que l’inspiration de Legrand semble sans limite. Certaines de ses œuvres sont déjà des classiques, et cet album est l’occasion de se rendre compte combien il a su composer des mélodies originales et se forger un style qui n’appartient qu’à lui. Un style qui ravira tout autant les adeptes de musique classique, les amateurs de jazz et les fans de comédies musicales. Le style de Legrand est protéiforme et s’abreuve aux meilleures sources qui soient. Et le tout, loin d’être indigeste, coule comme de l’eau de source, pure et claire. A tel point que je me suis surpris plusieurs fois à écouter le disque en boucle en le relançant une fois fini. Un disque que je recommande donc à tous, inconditionnels de Legrand ou simples amoureux de belle musique.

[3/4]

jeudi 1 janvier 2015

« Récits de jeunesse » d'Andreï Tarkovski (2004)

    Tarkovski le dit lui-même dans l'un des récits qui composent ce recueil, il n'est pas un bon écrivain. Et ce n'est pas moi qui le contredirai. Ses récits sont assez plats, n'ont que peu de relief artistique, manquent de poésie. A l'inverse, ce sont des récits autobiographiques, crus, plus par le regard sans fard que porte sur lui le futur cinéaste que par un langage vulgaire et grossier qu'on serait bien en peine de trouver parmi ces textes. Tarkovski a beau être sans concession sur sa personne, il n'en conserve pas moins une certaine pudeur. Mais on sent que Tarkovski n'est pas à l'aise avec l'art des mots, il ne suffisent pas à rendre compte de tout ce qu'il veut dire, ils peinent à rendre l'expérience de la vie telle qu'il la perçoit dans toute sa richesse (richesse dont témoigneront ses longs métrages, d'une grande beauté et d'une grande profondeur). Même ses poèmes, assez agréables (bien que parfois tourmentés), sont maladroits et ne frappent pas le lecteur par leur singularité. Ce sont de jolis instantanés de la nature russe (humaine comme végétale). Mais rien d'exceptionnel. Par contre, on sent dans chacun de ces textes, nouvelle ou poème, toute la sensibilité à fleur de peau du cinéaste russe, et surtout une attention portée au détail qui trouvera tout son accomplissement dans des films comme « Stalker », où la nature règne, majestueuse, sublimée par la photographie sépia ou en couleur du long métrage. Plus encore, on ressent ce que vit Tarkovski, ses peines comme ses joies, son émerveillement face à la nature environnante, même si ce n'est pas du même ordre que ce qu'éveille en nous « Le Miroir », peut-être son chef-d’œuvre cinématographique. Clairement, donc, ces « Récits de jeunesse » s'adressent aux inconditionnels de Tarkovski, car ils permettent de comprendre l'itinéraire personnel et artistique de ce cinéaste particulier. Leur valeur tient plus, en effet, du témoignage biographique que d'une quelconque teneur artistique, qui n'est pas encore pleinement épanouie (mais en 1962, année où s'arrêtent ces textes et où Tarkovski achève « L'Enfance d'Ivan », ça ne saurait tarder).

[2/4]

mercredi 31 décembre 2014

« Boudu sauvé des eaux » de Jean Renoir (1932)

    « Boudu sauvé des eaux » est un film étonnant, inclassable. Sorte de fable sociale anarchiste, c'est un bel écrin pour le jeu totalement imprévisible (et très physique) de Michel Simon. Un clochard, Boudu, se jette dans la Seine après avoir perdu son chien. Un bourgeois le voit dans l'eau depuis son appartement parisien, et décide de sauter dans le fleuve pour lui venir en secours. Il le ramène chez lui, et l'habille comme l'un des siens. Mais la nature anticonformiste de Boudu ne s'adapte guère à la bienséance (toute relative) des mœurs de la famille Lestingois. Ce dernier est en effet un bourgeois libéral et généreux, qui entretien une liaison avec sa bonne, à l'insu de sa femme. Comme dans une pièce de vaudeville, l'arrivée de Boudu dans la famille vient rebattre les cartes des liaisons amoureuses et tout faire voler en éclat, engendrant de savoureux quiproquos. Il vient surtout remettre en cause les principes de Lestingois : l'hospitalité, la générosité, la croyance dans la bonté humaine. La séquence finale est extraordinaire : complètement inattendue, elle révèle toute l'ambivalence de la nature de Boudu, qui décidément, ne veut se raccrocher à rien d'autre qu'à sa liberté. Notons que la mise en scène de Renoir est d'une grande qualité, nous avons droit à de beaux travellings, et surtout à de magnifiques prises de vue en extérieur, notamment sur les bords de Seine. Un film assez déroutant, mais typique de l'art conjugué de Jean Renoir et Michel Simon, et à ce titre qui mérite largement le coup d’œil.

[3/4]